Auteur Sujet: Un placard pour deux  (Lu 2513 fois)

Yvelin

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Un placard pour deux
« le: 08 mai 2020, 19:06:34 »
2e jour de la 5e décade d'Été 1485 - Auberge de la Rose des Vents

Sortir du Palais procura une sensation inhabieuelle à Yvelin. Il se sentait étrangement coupable, mal à l'aise, comme s'il outrepassait une quelconque règle tacite. Il n'avait pas quitté l'enceinte royale depuis qu'il avait été chassé de chez lui, de peur de croiser son père en ville. Il ne saurait comment réagir. Ni comment son père se comporterait avec lui. Il n'avait pas envie de le découvrir.

Micha lui avait donné rendez-vous à la Rose des Vents plutôt qu'à l'Arpenteur. Cela signifiait donc qu'ils ne feraient que discuter. Et si l'orfèvre n'avait rien dit, Yvelin avait déduit de son dernier message que lui aussi avait fait les frais de Firen. Or, la dernière chose qu'il souhaitait était de lui attirer des ennuis.

Pour Yvelin, la Rose des Vents était un lieu empli de souvenirs. Il y était venu, en tant qu'apprenti, pour participer à des soirées musicales ou discuter théorie avec des amis. Ce n'était le repaire habituel des Bardes - ceux-ci se retrouvaient plutôt au Rossignol - mais l'endroit était toujours bondé d'étudiants des Collegia.

Ce qui ce soir lui posait un énorme problème. Mais il ne pouvait pas revenir en arrière. Et il avait besoin de voir Micha.

Quand il passa la porte, il avait l'impression de se rendre à un examen. Il se sentait extrêmement nerveux, le regard des autres lui pesait énormément. Il se dirigea vers une table plutôt à l'écart de l'animation, dans un coin. Peut-être pourrait-il ainsi éviter qu'on vienne lui parler.

Malheureusement, à peine s'était-il installé qu'une jeune fille l'approcha. Elle avait l'air gênée et curieuse. Il l'avait déjà croisée dans les couloirs du Collegium des Bardes et à des soirées musicales. Elle devait approcher de la fin de sa formation.

«Je... je voulais juste te dire que... enfin... je comprends et si jamais tu veux parler...» Elle regardait ses pieds en rougissant. Yvelin, d'abord sur la défensive, se mit à se demander si elle n'allait pas lui demander de sortir avec elle. «Moi aussi, quand mes parents ont réalisé que j'étais shaych, ils m'ont dit de ne jamais revenir...Je... je sais combien c'est dur.»

«Je...» Il s'arrêta net. Micha se tenait derrière la jeune fille.
« Modifié: 09 mai 2020, 17:34:09 par Yvelin »

Micha de Girier

Re : Un placard pour deux
« Réponse #1 le: 17 août 2020, 18:25:00 »
Micha arriva juste après Yvelin. À vrai dire, il le vit s'engouffrer dans l'auberge. Il le perdit des yeux le temps de rentrer lui aussi dans l'établissement. Puis il le repéra de nouveau au fond de la salle. Mais une jeune fille le rejoignit avant lui.

Moi aussi, quand mes parents ont réalisé que j'étais shaych, ils m'ont dit de ne jamais revenir...Je... je sais combien c'est dur.

Ah. Yvelin était sorti du placard, manifestement. Et vu la lettre qu'avaient reçu les De Girier, Micha se doutait très fort de comment il en avait été éjecté. Connard de Firen.

"Bonjour jeune fille, je suis sur que le Barde Yvelin est ravi de votre compassion, mais il a malheureusement un rendez-vous d'affaires, avec moi et je suis un peu pressé. Pourriez-vous revenir le voir une autre fois?"

Le renvoi était courtois, mais sans concessions.

Quelques politesses plus tard, les deux hommes étaient seuls. Aussi seul que possible dans une auberge bondée.

"Alors comme ça, c'est de notoriété courante, maintenant, pour toi? C'est lui, non?"

Yvelin

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Re : Un placard pour deux
« Réponse #2 le: 18 août 2020, 13:42:53 »
Le cœur d'Yvelin tomba comme une pierre dans sa poitrine. Il sentit les derniers soubresauts alors qu'il s'écrasait au milieu de ses autres organes, lui donnant la nausée. Micha avait-il entendu le commentaire de la future Barde? Avec un peu de chance, non. Mais la chance était justement ce qui faisait défaut à Yvelin ses temps.

Ne parvenant pas à rassembler ses pensées, il laissa l'orfèvre se charger de chasser l'impudente. Il tenta de se composer une expression neutre. Il parvint à la maintenir quelques instants. Puis les paroles de Micha se chargèrent d'entailler son masque durement sculpté. Il se brisa en mille morceaux. Yvelin déglutit péniblement.

«Euh...je...» À quel point avait-il entendu les paroles de la jeune fille? Peut-être pourrait-il mentir?  Malgré lui, ses yeux cherchèrent ceux, magnifiques, de Micha. «Je...»

 Les mots refusaient de sortir. Il ne voulait pas en parler. Il voulait que Micha ignore tout de sa situation. Mais il était trop tard. Il croisa ses longs doigts fins devant lui et concentra son regard sur un détail du bois de la table. Il se força à adopter une attitude calme et détachée à mille lieux de ses émois intérieurs.

« Ne t'inquiète pas, Micha. Ton nom n'a jamais été mentionné. Ma... situation... ne saurait donc t'affecter. Cependant, je pense qu'à l'avenir, il vaudrait mieux qu'on ne te voit pas en ma compagnie... je ne voudrais pas qu'on t'associe à moi.» Tout en gardant le regard baissé, il esquissa un sourire triste. «Même s'il est vrai que ton mariage te protège sans doute de ce genre de... ragots.»

Il prit une grande inspiration et leva la tête. Malgré l'angoisse, il était heureux de revoir Micha. Il aurait aimé l'embrasser, le serrer dans ses bras. Il se contenterait d'admirer ses traits magnifiques.

«Comment vas-tu? La vie de jeune marié te convient-elle?»

Micha de Girier

Re : Un placard pour deux
« Réponse #3 le: 19 août 2020, 12:24:11 »
Putain, depuis cette foutue lettre, Micha avait l'impression qu'Yvelin s'était transformé en bout de savon. Il essayait de l'attraper, de le toucher et le jeune barde lui sautait des mains. C'était extrêmement frustrant.

"C'est pas ce que je t'ai demandé, Yvelin."


Il soupira, espérant évacuer un peu de sa frustration. Puis il se concentra.  Il ne devait pas se laisser égarer par l'habileté rhétorique du barde.

"Écoute, Yvelin. Si j'ai tenu à te voir, c'est pas pour que tu m'annonces qu'on se verra plus. Ou pour parler de mon mariage. Tu... Tu sais de quoi de veux parler!"

Il plongea la tête dans les mains, se frotta le visage et releva la tête.

"Ce mariage devait me rendre le contrôle de ma vie, j'ai l'impression de ne plus rien contrôler. Mon père a reçu une lettre. Je suis sûr qu'elle est de Firen. J'ai du dévier leurs soupçons, je..."

Il replongea dans ses mains.

"Je ne sais pas si ça a marché."

Il leva un oeil vers Yvelin:

"Ton père a reçu la même lettre, hein? Je suis désolé. C'est ma faute s'il t'a pris pour cible..."

Yvelin

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Re : Un placard pour deux
« Réponse #4 le: 20 août 2020, 08:16:34 »
Yvelin était certes Barde, mais il n'avait jamais été doué pour jouer la comédie. Encore moins devant quelqu'un cher à son cœur. Il sentit les tentatives de Micha de l'atteindre, de se reconnecter avec lui. Et malgré toute sa volonté, son masque de détachement laissa peu à peu la place à un visage triste et épuisé.

«Ce n'est pas de ta faute, Micha. J'ai choisi de m'opposer à lui. J'avais conscience des risques. Tu n'es pas responsable...» Il détourna les yeux. «Ne minimise pas ma décision en te l'attribuant, s'il te plaît. Je... suis un adulte. Ou en tout cas, je ne suis plus un enfant, vu... que je n'ai officiellement plus de père.»

Il fit de son mieux pour contrôler le tremblement de sa voix quand il prononça ces derniers mots. Pourquoi s'acharnait-il à parler encore et encore de cela? N'avait-il toujours pas compris à quel point c'était douloureux?  Mais comme on ne peut s'empêcher de venir taquiner une dent cariée du bout de la langue, il finissait toujours par mentionner son père. Et à chaque fois, son cœur se tordait de douleur.

«Je suis désolé, Micha. Sincèrement. J'espère que ton père a été convaincu. N'y a-t-il aucun moyen de s'assurer qu'il te croie? C'est pour cela que je pense qu'il serait plus sage qu'on ne te voit pas trop en ma compagnie. Avec la réputation que...»Il soupira tristement.«Disons que s'il reste des gens pour ignorer mon orientation sexuelle au Palais, j'en serais le premier surpris. D'autant que non seulement on me sait Shaych, mais en plus, on pense que je vends mes charmes à des hommes plus âgés.» Un sourire cynique lui vint aux lèvres. Un sourire que nul n'avait jamais vu sur son visage encore innocent. «Après, quand on te regarde, on doit bien se douter que tu n'as pas besoin de payer pour qu'un jeune Barde désespéré se jette dans tes bras.»

Yvelin ne savait plus s'il tentait de plaisanter ou de blesser. La frontière était si fine... Mais blesser les autres ne le soulagerait pas. II le savait.

Il leva ses grands yeux bleus sur Micha et lui offrit le premier vrai sourire de la soirée.

«Et je n'ai pas envie qu'on ne se voit plus. Mais il serait plus sage de le faire. Au moins provisoirement.» Il glissa sa main sous la table, à la recherche du genou de Micha, qu'il effleura légèrement. «Ce serait étrange que tu cherches ma compagnie alors que tu as une jeune et belle mariée à la maison...»
« Modifié: 20 août 2020, 11:54:50 par Yvelin »

Micha de Girier

Re : Un placard pour deux
« Réponse #5 le: 23 août 2020, 21:06:20 »
Micha se redressa comme si Yvelin, au lieu d'affirmer son indépendance, l'avait giflé. Ah vraiment, il le traitait en enfant? Ah vraiment, être adulte, c'était ne plus avoir de père.

Crispé, fâché, l'artisan écouta néanmoins son "amant" compatir à sa situation. Et en rajouter une couche. Parce que maintenant il se payait les services d'Yvelin, d'un jeune homme désespéré?

Quand le vrai sourire arriva, il était trop tard, la fureur rugissait déjà dans les veines de l'artiste. Il ne le reconnut même pas pour tel, tant sa fureur était vive.

"Oh et puis merde. Je vois que tu as bien réécrit notre histoire comme cela t'arrange. Depuis la fête, je me tue a essayer de calmer tes grands élans romantiques masochistes, mais puisque tu tiens à être malheureux, soit malheureux. Seul."

L'héritier de Girier posa une pièce sur la table, pour la consommation qu'il n'avait pas commandée et se leva abruptement pour quitter la salle.

Yvelin

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Re : Un placard pour deux
« Réponse #6 le: 24 août 2020, 08:53:42 »
Yvelin avait bien trop à gérer de ses propres souffrances pour prendre conscience de celles d'autrui. Chaque jour était une bataille menée contre le désespoir, le sentiment d'abandon, l'envie de simplement renoncer. Pourtant, il était heureux de voir Micha. Alors pourquoi était-il incapable de simplement le dire?

Puis, les mots de l'orfèvre le figèrent de panique. Il ne put articuler un mot tandis que celui-ci lui renvoyait ses paroles - largement déformés - à la figure. Yvelin était sonné. Il ne comprenait pas ce qui venait de se produire. Il avait tenté d'ouvrir son cœur, malgré la douleur, malgré l'intuition criante qu'il ferait mieux de se taire. Et en effet, il aurait mieux valu qu'il ne dise rien.

Il fixa longtemps la porte par laquelle l'homme qu'il aimait s'en était allé, peut-être pour toujours. Il ne pleura pas. Il ne montra aucune émotion. Un sentiment  douloureux d'abandon l'écrasait totalement. Il peinait à respirer, à penser. C'était la deuxième fois en peu de temps qu'un homme qu'il aimait le rejetait.

Si cela se produisait à nouveau, c'était sans doute qu'ils disaient la vérité, non? Il était un mauvais fils. Il n'était même pas capable d'être un bon amant.

Il prit une longue inspiration.

Chaque douleur, il l'étouffa. Chaque émotion, il la fit taire. Patiemment, il enferma dans une petite boîte la peine, la détresse, le désespoir, la peur, le regret. Il y rangea tout ce qui le faisait souffrir, tout ce qui le faisait douter. Enfin, pour la première fois depuis longtemps, il se sentit calme.

Micha avait eu parfaitement raison de le quitter. Il se demanda un bref instant d'où lui était venu l'orgueil de penser qu'il aurait pu être à la hauteur. D'une main distraite, il enleva le grenat à son oreille et le rangea dans sa poche.

Il se frotta les yeux et se leva. Dans un coin de l'auberge, un groupe de Bardes et de ménestrels discutaient et jouaient. Il plaqua un sourire sur son visage et s'approcha.

«Je peux me joindre à vous?»

[RP CLOS]
« Modifié: 24 août 2020, 09:19:36 par Yvelin »