*quel abruti!*Elle le regarda droit dans les yeux.
"Ton propre bien est important… tu es important oui. Tu as le droit d’être important…"Elle doutait qu'il l'entende cependant. Déprimer, s'enfermer dans son monde de douleur, dans sa solitude, c'était au fond bien plus réconfortant que d'essayer d'aller mieux. Le bonheur, c'est un travail de chaque instant, le malheur ne demande que de se laisser couler.
Manuchan ne digérait pas qu'un soigneur s'occupe de lui, qu'on ait estimé qu'il avait besoin d'aide. Mais ce n'était pas une raison de minimiser l'engagement de la Kestra'chern, et encore moins de l'insulter. Pluie secoua la tête, faisant claquer sa langue.
"Toi, tu comprends pas les gens comme moi. Tu comprends pas l'Empathie. Tu crois que soigner est un métier… soigner c'est une part de soi. Quand tu souffres pour ceux que tu soignes, c'est pas pour les obligations professionnelles. Et le Kestra'chern, c'est pas le Guérisseur vert… le Kestra'chern c'est l'oreille qui entend, la main qui attend, les bras qui portent…"Comment pourrait-elle retourner à sa vie en sachant qu'ici quelqu'un souffrait tant? Comment pourrait-elle ignorer tant de peine?
"Je n'ai pas dit que je suis ton amie maintenant. J'ai dit que je pourrais devenir ton amie. Je parle mal, mais toi tu comprends de travers, comme tu préfères. "Visiblement, son discours avait réussi à toucher, un peu au moins, le mage. Il avait décidé de la mettre à l'épreuve… Pluie oscillait entre amusement et irritation.
Elle prit la lettre et commença à la lire, regrettant de ne pas mieux parler le rethwellan…
Pluie n'avait jamais compris les raisons qui poussaient les gens à écrire des lettres. Quand elle avait quelque chose à dire à quelqu'un, elle le lui disait en face. De plus, elle trouvait que les mots doux, les phrases tendres prenaient une tournure dramatique et ridicule une fois figée sur du papier.
Cette lettre en état un très bon exemple. Le visage de la femme restait parfaitement neutre, mais elle avait de la peine à ne pas faire la grimace devant tant de bons sentiments dégoulinants. Elle n'avait rien contre les mots doux ni contre le romantisme, mais à ses yeux l'amour s'épanouissait très bien par lui-même. Nul besoin de l'entourer de tant de mots.
"Je ne dis pas tout cela pour te faire culpabiliser, comprends-le, mais simplement pour expliquer ce qui est. "
Elle n'était pas certaine du sens du mot "culpabiliser", mais le contexte semblait fournir à lui seul la réponse… et à son avis, il écrivait très précisément pour faire culpabiliser son amant.
"Je pense sincèrement que cette douleur est justifiée, tout autant que le serait une douleur physique."
Pluie ne pouvait qu'être d'accord avec ces propos.
"Retourner dans la forêt peut-être, ou encore visiter…un autre monde où je pourrais peut-être être serein, enfin."
Les gens qui parlaient aussi facilement de mourir étaient rarement ceux qui passaient à l'acte…
"Personne n’est à même de m’aider, c’est une chose dont je suis convaincu depuis bien longtemps maintenant, je suis trop complexe et retors mentalement."
Pluie soupira mentalement, le mot "retors" échappait à sa compréhension, mais le reste était limpide. Quel splendide mélange: mélo, chantage au suicide, orgueil.
"Sans parler du fait que bien des gens ont tendance à me fuir où à ne pas oser trop de franchise face à quelqu’un d’aussi puissant que moi. Même si je ne l’étais pas, ma simple position de mage suffit à en faire reculer plus d’un et je ne peux pas cesser de l’être encore une fois."
La jeune femme dut se contenir pour ne pas prendre l'air agacée.
"C’est aussi pour cela que je ne considère pas que je m’apitoie réellement, parce que tout ce que la vie a pu jusqu’ici me donner de bon, elle me l’a fait payer au centuple et je ne peux rien modifier à tout cela."
Ce n'était pas s'apitoyer, ça??? Pluie se demandait ce que cela pouvait bien donner, quand le mage s'apitoyait.
La Kestra'chern alla jusqu'au bas de la lettre et la redonna au mage. Elle n'avait pas tout compris, bien que le language utilisé soit très simple. Mais elle avait saisi l'essentiel, et elle était partagée entre deux envie: gifler le mage ou le serrer dans ses bras.
Elle ne fit ni l'un ni l'autre. Elle avait des choses à dire, mais elle devait prendre garde à la manière dont elle formulerait son opinion. Elle ne craignait pas la "puissance" du mage, elle craignait de le blesser.
Elle se décida pour l'honnêteté. S'il voulait la mettre dehors après, tant pis, au moins aurait-il entendu une fois quelques vérités désagréables.
"Tu dis que tu veux pas qu'il pense qu'il est coupable. Je crois que c'est le contraire, oui. Tu veux qu'il pense qu'il est coupable. Il a été ton amant, oui. Il te connait. Il sait que tu es fragile, tu vas souffrir qu'il soit pas là. Pas besoin de le dire. Et c'est pas joli de faire du chantage… tu es plus un gamin… tssss… si vraiment tu veux mourir, prends un couteau et un bon bain chaud. On alors va te perdre dans la neige. Mais utiliser ça...c'est que tu veux pas mourir, oui. Et franchement, tu insultes les gens, en plus de te lustrer le poil… euh non, ça existe pas ça dans ta langue comme expression. Tu crois que tu es le seul qui dit "Personne peut m'aider?" Tu as quel âge en vrai? Parce quand tu dis ça, on dirait que tu es pas adulte, oui, que tu es un ado… Si les gens veulent pas être avec toi, c'est pas à cause de la peur oui, mais parce que toi tu les veux pas, parce que tu es tellement mieux qu'eux… Tu insultes les gens. Peut-être tu fais pas exprès. Je sais pas… Mais pour moi tu as besoin d'une claque et ensuite d'un câlin. La claque pour être si petit, le câlin pour le cœur blessé. "