Liane semblait ravie de conduire la danse, et malgré sa petite taille, elle prit avec énergie les mains de Pluiechantante. Elle tenta de lui expliquer le fonctionnement de la danse de salon avec ses expressions enfantines. La jeune femme n’était pas beaucoup plus avancée. Elle imaginait qu’il s’agissait de bouger les pieds de manière à effectuer de grands cercles… c’est en tout cas ce qu’elle avait vu.
Liane commença à déplacer un pied, puis le second. Elle trébucha, se reprit et recommença. Cela ne ressemblait que de très loin à une danse, mais on ne pouvait demander à une enfant de cet âge d’avoir la coordination nécessaire pour danser à peu près correctement. Puis Liane s’écria soudain qu’il manquait la musique. Aux yeux de Pluie, ce n’était pas indispensable, mais la petite fille, elle, trouvait cela très important. Elle se mit donc à chanter, plutôt à hurler une imitation approximative de musique de bal.
Pluiechantante dut réprimer une grand éclat de rire. La robe était tellement serrée qu’elle était certaine de la faire craquer si elle riait trop fort. La petite hurlait à plein poumon, à peu près juste malgré tout, avec un sérieux comique. Le bric-à-brac alentours absorbait heureusement la majeure partie du son. Mais la Kestra’chern était certaine qu’on pouvait les entendre depuis les escaliers du palier supérieur.
« On… danse oui. » parvint-elle à répondre, secouée d’un grand rire silencieux.
Après quelques tours maladroits supplémentaires, Pluiechantante décida de changer un peu la donne. Avec peine, elle se baissa, attrapa la fillette, la cala sur sa hanche, remonta et se remit à tourner sur elle-même, avec plus de grâce cette fois. Elle aimait beaucoup l’effet de la jupe quand elle dansait. Le tissu, légèrement irisé, donnait l’impression d’onduler comme de l’eau. Elle allait peut-être la garder, finalement. Il lui suffirait de retoucher le haut pour le rendre plus confortable, en rajoutant un tissu de contraste. Elle réduirait aussi l’amplitude du jupon, en lui ôtant les parties rigides. Après tout, elle n’avait aucune robe de bal, cela lui serait donc réellement utile. Et puis la robe ne manquerait à personne. Elle avait été oubliée ici depuis fort longtemps, et vu la couche de poussière tapissant les lieux, on ne venait que rarement par ici. Pluiechantante avait découvert l’endroit en se perdant, alors qu’elle cherchait la salle réservée à la Vision à Distance.
Après quelques tours de plus, la jeune femme commença à avoir des petits problèmes d’équilibre. Elle dut s’arrêter quelques instants.
« Je te montre après, comment on coud les jolis vêtements, oui? Comme ça, tu peux aider pour faire le costume pour Adrian. Comme une vraie épouse… »
A son âge, Liane devait être capable de réaliser quelques coutures droites, du moment qu’on la guidait. Et cela plairait à la nourrice de constater que Pluiechantante était aussi capable d’initier la petite fille à des activités traditionnelles, plutôt qu’à des « bêtises ».
Pluiechantante se remit à tourner, mais cette fois dans le sens inverse.
« Et ton papa, il danse aussi avec toi? Je connais pas lui… Tu me montres une fois? »
L’histoire familiale de Liane était un peu bizarre. Son père était connu de tous, mais il n’avait jamais réellement reconnu la fillette. C’était quelque chose que Pluiechantante ne comprenait pas. Qu’on ne souhaite pas se marier malgré la naissance d’un enfant lui paraissait tout à fait normal. Son peuple procédait ainsi. Mais qu’on ne reconnaisse pas sa paternité la choquait. Quelle honte y avait-il à avoir une petite fille aussi charmante? Surtout que d’après ce qu’elle avait compris de la noblesse, les hommes étaient presque encouragés - en tout cas pas découragés - à aller planter des bâtards un peu partout. C’était les femmes qui se devaient d’être vertueuses avant et pendant leur mariage. L’attitude du père de Liane n’avait donc aucun sens à ses yeux, que ce soit du point de vue de sa culture, ou de celle de Valdemar.