A croire que les éléments lui faisaient clairement payer son retour...
Plus la caravane s'approchait de Haven, plus la colère céleste s'était intensifiée et c'était aujourd'hui des trombes d'eau glacée malgré la saison qui s'abattait impitoyablement sur les voyageurs, impassibles malgré tout. Les chevaux avançaient dans la boue, les oreilles baissées, l'encolure courbée, comme imperturbables.
Enveloppée dans un manteau de daim, la chevelure dissimulée sous la large capuche, Kayann esquissa un sourire ironique en constatant qu'elle était trempée jusqu'aux os, qu'elle aurait tout bonnement pu chevaucher à moitié nue, le résultat n'aurait guère été différent. Et quelle présomption que d'imaginer que ce déchainement météorologique tenait au simple fait que la Shin'a'in revenait sur ses pas, après de longs mois d'absence...
La tempête avait découragé la troupe à tenter une conversation avec son voisin, et c'est silencieusement qu'ils rejoignaient la ville, chacun perdu dans ses pensées.
La jeune femme ne dérogeait pas à la règle. Tant de questions se bousculaient dans son esprit... Qu'allait-elle trouvé en rentrant? Avait-elle encore des amis là bas? Serait-elle d'une quelconque utilité après ce qu'elle appelait sa désertion? Sur fond de drame politique, une interrogation la tenaillait malgré tout. Le reverra-t-elle, lui?
Devant elle, toutes les images du passé défilaient comme autant de piqûres d'insectes. Sa tête semblait engluée dans un mélange de remord, d'amour, de crainte et de nostalgie. Qu'on la trouve morose au sein du groupe n'était que le prénom de ce qui se déchainait au fond d'elle, tandis que son cheval avalait les lieues qui la séparaient des réponses. Rester était devenu impossible. Revenir lui paraissait aujourd'hui encore en dessus de ses forces. Mais elle n'avait guère eu le choix. C'était ça, ou la folie.
Malgré les temps perturbés et la guerre imminente, le convoi arrivait en un seul morceau, et sans incident majeur à déplorer.
Un cri interrompit brusquement le fil confus des pensées de la Shin'a'in. Le chef de fil annonçait Haven comme proche. En levant les yeux, Kayann devina au loin les remparts s'esquisser derrière le rideau de pluie. Son coeur soudainement se mit à battre la chamade. Plus question de reculer, désormais. Comme pour se donner du courage, Kayann fit claquer sa langue pour redonner du coeur à sa monture et se laissa porter.
Bientôt, ils firent halte aux portes de la ville, où il fallait montrer patte blanche avant d'y pénétrer. Un soldat détrempé s'approcha rapidement d'elle afin de l'interroger. Kayann, presque attendrie par les boucles blondes dégoulinantes encadrant le visage encore enfantin du garde, mit pied à terre pour lui répondre dans sa langue:
Bonjour, je suis venue avec ce convoi, mais je viens en ville pour quelques affaires privées, avec quatre chevaux que je compte vendre. Je ne suis armée que de cela...
A ces mots, elle sortit de son fourreau une petite dague légère mais meurtrière, qui ne la quittait pas, puis remonta un pan de sa selle pour présenter une épée sobre qu'elle dissimulait.
Son regard se posa ensuite sur le jeune garçon, et s'en remit à lui pour la suite. Par dessus, son épaule, Kayann apercevait déjà l'entrée de la ville et s'étonna d'entendre un bruit sourd, violent et saccadé envahir l'espace, avant de se rendre compte qu'il ne s'agissait que des battements de son palpitant.