Lorsqu’elle avait quitté le domaine familial pour la capitale, la rouquine savait qu’elle risquait de ne jamais y remettre les pieds. Ou, du moins, de ne pas y remettre les pieds en tant que Dyalwen de Bordebure. Officiellement, elle était partie pour apprendre à maîtriser son Don et parfaire ses connaissances dans les autres domaines qui lui seraient nécessaires pour sa vie future. Mais elle savait très bien ce que sa famille envisageait pour sa vie future. La même chose que pour toutes les filles nobles. Un mariage avec un homme qui aurait quelque chose à apporter à son frère : alliance, argent, appui, terres, peu importait du moment que ça profiterait à Dubhán et à Bordebure. Et peu importait si ça signifiait qu’elle devait quitter sa famille, sa maison… et les chevaux. C’était le lot de toutes les filles. Même si l’idée de ne lui plaisait pas – du tout –, même si elle n’avait aucune envie de finir sa vie à tenir une maison et à élever des enfants, c’était son devoir. Et elle n’avait pas le choix.
Du moins, ne l’avait-elle pas jusqu’à ce que Tisia plonge son regard dans le sien.
L’amour et la compréhension qu’elle avait lus dans les yeux du Compagnon et qui se déversaient à présent dans son esprit, tandis qu’elle avait le visage enfoui dans sa crinière, étaient incroyables. À part son frère, elle n’avait jamais eu d’amis proches à Bordebure et, une fois qu’il avait rejoint la capitale, elle n’avait plus eu personne à qui se confier réellement ou avec qui partager ses appréhensions. Mais, là, elle n’avait même pas besoin de les partager. C’était comme si Tisia les connaissait déjà et les faisait disparaître. La crainte de ne pas être à la hauteur, l’angoisse sourde de devoir se plier à des règles qui ne lui convenaient pas, … tout s’évanouissait pour être remplacé par la certitude qu’elle avait enfin trouvé sa place et l’amie la plus fidèle dont elle pouvait rêver.
La voix d’Isabeau finit toutefois par percer la bulle de bonheur qui l’enveloppait, et Dyalwen se détacha de Tisia pour se tourner vers la Héraut, un sourire incrédule collé sur le visage.
« Je… »
Il lui fallut quelques instants pour retrouver ses capacités de réflexion et remettre les mots de la Blanche en ordre puis de leur donner un sens. Elle faisait partie du Cercle. Elle. Ça semblait juste impossible. Comme elle l’avait dit à Liane, le jour de son arrivée, elle n’avait rien d’une héroïne, et… Et le nez de Tisia se posa dans le creux de sa main, coupant court à ses réflexions.
« Merci… commença-t-elle par répondre aux félicitations de la jeune femme, avant que ses neurones ne se remettent en marche et ne lui permettent de voir plus loin : Qu’est-ce que je dois faire ? Je veux dire, à part rester avec Tisia – pour ça, elle n’allait pas se faire prier. Qui je dois aller voir ? »