Maya accorda un regard plein d’innocence et un sourire légèrement ironique à Eoghan. Elle savait autant se comporter comme une gamine normale et agaçante que comme l’étrange messager divin qu’on voulait qu’elle soit. Avec Eoghan, c’était souvent son côté enfantin qui ressortait. Mais il fallait dire qu’il était assez facile de le mettre sur la défensive.
« Tu peux y aller alors. » répondit-elle d’un ton léger sans se soucier de son surnom de « petite fille ».
Sa fierté n’était pas mise en cause car les autres adultes la regardaient comme la Voix d’Aanor et non comme la petite sœur un peu peste qu’elle pouvait être.
Elle ne s’occupa plus de lui, alors qu’il s’éloignait, rapidement rejoint par Loelia. Cette dernière avait prévenu Eoghan qu’elle partait avec le soldat. Celui-ci n’avait plus du tout son air trop concentré sur la conversation, et semblait totalement détendu. Il sourit quand il vit qu’on le regardait, et fit signe qu’il était prêt. Il regarda ensuite Loelia s’éloigner pour rejoindre le coin cuisine avec un léger soupir d’exaspération : il n’allait pas attendre trois plombes ! Heureusement, Gaylee refusa l’aide de la ménestrelle :
« Allez détendre vains dans bain tant que l’eau être chaude, nous être assez. Je vous envois Nyaeve après. »
Son mari venait d’ailleurs de les rejoindre, et il donna une petite tape, gentille mais ferme, à la jeune femme :
« Je vous ai dit d’aller vous reposer, et que nous parlerons après. »
Le soldat attendait toujours de guider Loelia.
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Pendant ce temps, Fitz présentait officiellement Maya. Cette dernière hocha la tête gracieusement pour saluer, et sourit gentiment à son protecteur. Oléis et Ashun ne semblaient pas vexés des précautions de Fitz – Oléis s’avouait en fait qu’il aurait agi exactement de la même manière. Ils laissèrent l’homme continuer son petit discours. Oléis se concentrait à nouveau plus sur lui que Ashun. Mais Fitz semblait avoir besoin de réponses plus que de donner des explications. C’était bien normal, et pour une fois, Maya sembla un peu gênée. Elle n’avait rien dévoilé encore d’intéressant. Elle ne savait pas elle-même trop ce qui la retenait, mais Indra n’avait encore rien dit, et elle n’osait s’autoriser à trop en dire… Et même si tout le monde la croyait presque omnisciente, il y avait tellement de choses qu’elle ignorait !
Le plaidoyer de Fitz l’avait émue, surtout sa prise à parti, et elle se mordilla les lèvres. Oléis la regarda. Elle regarda Ashun. Enju avait toute l’attention de celui-ci. Maya fit alors un léger signe de tête à Oléis :
« Dites lui ce que vous savez sur le Glaive, s’il vous plait ; demanda-t-elle.
- Hé bien… Commença Oléis, un peu mal à l’aise, regardant Fitz. Le Glaive est la main armée de la Déesse sur cette Terre. Il doit défendre Aanor contre les agressions. Être en première ligne contre le Mal. Si j’ai bien compris, le pouvoir d’Aanor passe ici par son Elue première, son prophète si vous préférez… Maya. Qui est aussi Grande Prêtresse de Son culte. Même si, sans vouloir vous vexer… Vous êtes un peu plus … jeune que ce que je pensais… Bref… (Il se reprit). L’autre chose est un artefact très puissant, empli de magie divine. L’Orbe d’Aanor. Vous êtes là pour aider le monde à protéger cette Orbe et Maya. Pourquoi vous…
- Parce que vous aviez l’âme faite pour ça. Même les Dieux ne peuvent décider pour le Destin. C’est tombé sur vous parce que vous êtes fait pour protéger, parce que votre Histoire a fait qu’Aanor peut compter sur vous. » conclut Maya.
La main de la jeune fille se mit à caresser la main marquée de Fitz.
« Cette marque est la marque d’Aanor et de notre culte. Je crois qu’elle vous sert autant à pressentir lorsque le Mal est dans les parages, qu’à vous guider vers Elle, et agir contre le Mal, contre l’Ombre. » expliqua-t-elle.
Oléis hocha la tête :
« Et vous allez être notre Guide aussi, Seigneur Fitz. » Et ce n’était pas une question.
« Tout ira bien. » chuchota alors Maya gentiment.
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Nyaeve s’en sortait pas mal avec la nourriture. Gaylee avait validé son idée de ragoût et lui avait donné de quoi jouer du couteau. Masten et Selm semblaient très intéressés par la manœuvre, mais la menace de la jeune mage avait fait effet. Ils s’étaient prudemment mis assez loin, mais écoutaient de toutes leurs oreilles.
Après avoir renvoyé Loelia, la kyrill se reconcentra sur leur conversation. Elle confirma les premières impressions de la jeune femme, en précisant tout de même que n’étant pas mage, elle pensait sincèrement qu’une démonstration par quelqu’un d’autre serait mieux pour qu’elle comprenne comment ça marchait… Et soudain, elle sursauta :
Hé ! Moins fort ! Vous n’avez pas besoin de crier. La moitié de la compagnie vous a entendue, je crois. Vous n’avez qu’à vous concentrer sur la personne à qui vous souhaitez parler, et uniquement sur elle, pour le moment.
- Ca serait mieux. Nous avons failli avoir une attaque. fit une autre voix mentale, d’un ton un peu amusé.
C’était clairement une voix mâle – que Gaylee présenta rapidement comme le père de Masten, toujours dans son coin avec sa femelle et la mère de Selm. La voix continua :
C’est comme lorsque vous vous concentrez sur un sort, vous ne devez pas vous éparpiller. Concentrez-vous sur votre interlocuteur et canalisez votre pensée. Restez ancrée, comme si vous aviez ancré vos boucliers magiques. Je vous apprendrai à le faire quand j’aurai fini mon travail actuel, si vous le souhaitez.
Gaylee avait haché menu des champignons visiblement frais du jour, et elle s’affairait à préparer l’assaisonnement. Elle semblait assez contente d’avoir Nyaeve qui s’intéressait autant à leur pays.
Notre Cour est très complexe. Il y a de nombreux rangs, avec des nobles qui ont beaucoup de pouvoir, des terres et des sous, et d’autres dont le titre n’est qu’honorifique. Ils sont répartis en « partis » : les progressistes, les traditionnalistes, … Tous ces gens ont des envies, des désirs pour leur pays… Mais en général ce sont des gens qui veulent toujours plus de pouvoir. Oléis a le sens de la Terre. Lui, il est stable, ainsi que tous ceux qui ont ce Don. Le clergé est très puissant aussi. Nous avons presque la même religion qu’à Karse – mais le culte d’autres Dieux est accepté bien qu’assez mal vu en haut lieu. Nous autres, le Clan – le Clan regroupe tous les non humains- nous avons nos propres partis, et des représentants à la cour des humains. Nous sommes essentiellement progressistes. Disons qu’environ… Un Iftellien sur quinze est un non humain. Et vous pouvez me poser vos questions ( vous pouvez hacher moins fin, ça sera plus consistant). Nous avons une sorte d’Empereur. Il fait partie de la famille majeure du Parti le plus puissant, et tant que son parti est majoritaire, le pouvoir se passe de père en fils. Il doit avoir l’appui du clergé cependant, sinon des élections peuvent avoir lieu dans la noblesse pour le remplacer ou lui imposer un Premier Conseiller. expliqua Gaylee.
Masten et Selm avaient désespéré, et étaient repartis jouer plus loin. Quant à la kyrill, elle venait d’ordonner à son mari de retirer la marmite de tisane du feu, et de la remplacer par celle qu’elles allaient utiliser.
Les kyrills sont comme les hertasis : pas de viande. Les dihélys non plus n’en mangent pas. Mais tous les autres, vous en avez besoin pour vous tenir au corps. Vous êtes attentionnée, dame Nyaeve. C’est une qualité hautement agréable. Nos petits amis auront une sorte de gruau de grain et du foin. Nous, nous mangerons les légumes et la sauce mais pas la viande. conclut Gaylee.
Leur tâche allait s’achever, quand la viande fut plongée dans le bouillon où cuisaient déjà les légumes. La kyrill assaisonna, puis se tourna vers Nyaeve :
A votre tour d’aller vous laver. Nous parlerons plus tard. Je dois m’occuper de vos compagnons dans les chambres et aux bains. Je vais vous emmener.
Les deux gamins, le griffon et le kyree, se levèrent vite, et rejoignirent la mage :
On peut venir ?
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Bien qu’Ashun garde une oreille prête à intervenir dans la conversation que Maya et Oléis avaient avec Fitz, toute son attention était tournée vers Enju. Il sentait chez elle un mélange confus d’émotions difficiles, et sentait que cela avait autant un rapport avec ce qui se passait en général, les parchemins et… lui. La décision de prendre les parchemins et les lui donner semblait trop dure à prendre. Les multiples hésitations n’ébranlèrent pas la patience du prêtre, qui ne bougea pas tant qu’elle ne fut pas prête. La mise en garde ne l’étonna pas :
« Tout document recélant des secrets sont dangereux, Enju. Et nous qui en manipulons tous les jours, nous le savons. Vous le savez. Je le sais. Anshuu le savait. » expliqua-t-il doucement.
Il prit précautionneusement les documents, et vit avec satisfaction que la Karsite reprenait ses réflexes de secrétaire. Il hocha la tête :
« Nous allons nous éloigner un peu alors, pour les laisser discuter. J’ai besoin de me concentrer. Avez-vous déjà réussi à déchiffrer une partie ? Ce n’est pas une langue très commune. Elle est très vieille. C’est un mélange de vieux karsite et de vieil iftellien. » commença-t-il en se levant péniblement.
Il alla s’installer dans un coin de la salle, plus à l’écart, dans une chaise rembourrée, et commença à lire le temps que sa nouvelle assistante arrive.
« Racontez moi. Je pense que je peux traduire. Et faire ce que mon frère avait commencé sera ma manière de lui faire hommage. »
La voix se brisa légèrement sur la fin.
[ Loelia : tu suis donc l’homme pour aller prendre un bain. Dans une salle du haut, deux bacs ont été remplis d’eau chaude, et des pains de savons attendent. Séparés par des draps pour protéger leur intimité, le soldat en désigna un comme celui réservé aux dames pour le moment. Il s’éclipsa rapidement pour te laisser tranquille, et signala que tu peux fermer la porte de l’intérieur tant que tu es dedans. Tu dois cependant se dépêcher pour que les autres puissent se baigner aussi.
Une fois dans l’eau, l’épuisement se fait sentir. Dans l’eau chaude, tu te détends largement. Tu sens qu’à l’intérieur, tu vibres encore, comme si la musique était toujours en train de résonner. Tu te sens sur le point de découvrir quelque chose… mais la fatigue est trop grande, il faut que tu sortes du bain avant de t’endormir. Une fois séchée et rhabillée, ça va mieux. Mais aller t’asseoir au chaud semble nécessaire. Tu peux retourner en salle commune ou demander au soldat toujours devant la porte un endroit avec un lit.
Eoghan : quand tu regardes le soldat suspect, tu ne vois plus rien d’inquiétant. Quand tu pars enfin pour le bain (d’ailleurs passant près des griffons, de la kyree et de la porte, le nœud de ton estomac se resserre, puis se désserre : tu es soudain presque sûr que demain l’orage sera fini mais tu peux ne pas en être conscient), malheureusement la place est prise par Loelia. On te propose d’aller dans une autre salle. Là, un nouveau bac vient d’être déposé, fumant. Quand la porte se referme sur ton guide (un soldat) , tu te rends compte que tu n’es plus seul. Indra, le Chat de Feu, est là et te regarde. Il a l’air mystérieux, comme d’habitude. Il ne dit rien – le peut-il ? – mais te regarde fixement. Il fronce le museau, puis… disparait. Le bain semble tellement attirant… mais le Chat voulait-il dire quelque chose ?
Nyaeve : l’intervention du griffon confirme qu’on t’a entendu. Le regard des dihélys, des kyrills, des petits, et même des griffons et de la kyree vers toi, confirme qu’on t’a bien entendue… Aucun humain ne semble avoir été gêné. Le ragoût commence, et on te ‘met à la porte’. Gaylee t’ammène au bain, que Loelia vient de quitter. Le soldat devant la porte est toujours là. Il salue, Gaylee te laisse seule. Tu peux te laver, et une fois rhabillée tout va mieux… Sauf que quand tu veux sortir, la porte ne s’ouvre pas. Et le soldat ne répond pas derrière.
Enju : tu peux presque voir une larme dans les yeux d’Ashun. La ressemblance avec Anshuu est presque obsédante… tu crois comprendre. Mais surtout tu sens qu’il tente de contrôler son chagrin en se plongeant dans les manuscrits. Et comme avec Isabeau, quelque chose semble se passer. Il marmonne doucement, lisant à mi voix. Il semble comprendre… Un reflet du feu fait rayonner son pendentif de prêtre… et la voix d’Anshuu murmure dans un souffle, uniquement audible par la jeune femme : « tu as fait ton devoir. Merci. »
Fitz : les premières réponses arrivent. Le contact de Maya est réconfortant, tout comme la chaleur douce dans ta main, comme si elle validait leurs propos. Ton passé est très présent dans tes pensées, ce que tu en sais, ce que tu en as compris… ]