«Non, je ne peux pas voir avec les yeux la couleur des gens. Je peux sentir, oui. Comme la main sent la chaleur. Mais c'est pas la magie Kestra'chern. Les Kestra'chern ont pas de magie. C'est les Dons, les pouvoirs de l'esprit. Partout les gens ils ont des Dons. Mais à Valdemar plus, parce que avant ils avaient pas la vraie magie, juste celle de l'esprit.» Elle n'était pas certaine d'être la meilleure placée pour expliquer l'histoire des Dons à Valdemar, mais Ean semblait avoir besoin d'un cours sur la question.
«Il y a beaucoup de Dons, chez les humains, mais aussi chez les non-humains. Ici, à Valdemar, on surveille beaucoup les Dons, on apprend les utiliser bien. Il y a beaucoup de Dons. Toi, tu connais déjà le Don de la Magie, celui pour faire la magie comme dans les histoires. Il y a aussi le Don de Paroles par l'Esprit, pour parler avec les gens sans ouvrir la bouche, juste d'esprit à esprit. Il y a le Don de Vision à distance, qui permet de voir plus loin que les yeux voient. Il y a le Don de voir dans le temps, le futur ou le passé, en dormant, ou parfois en touchant des objets. Il y a le Don de Télékinésie, pouvoir bouger les choses sans les mains. Ou le Don de faire du feu juste avec l'esprit. Il y a aussi le Don de lire les esprits, pour savoir ce que pensent les gens. Ça, c'est les Dons des Hérauts, les gens en blancs qui protègent le pays. Il y a aussi le Don des Bardes, qui fait vivre la musique aux autres quand on joue. Il y a le Don de Guérison, pour soigner le corps plus vite. Et il y a l'Empathie, qui est le Don que j'ai beaucoup. L'Empathie, c'est sentir les émotions des gens, mais aussi transmettre des émotions aux gens.» Elle sourit.
«Je peux pas dire quelle couleur tu es à l'intérieur, parce que c'est pas comme ça que je regarde avec mon Don. Liane est une petite fille oui, elle voit avec des idées simples. Moi, je suis une adulte, d'une culture très différente, je vois avec des choses de ma culture...» Elle jeta un coup d'œil amusé à Ean.
«Mais je lis pas dans toi, Ean. Je peux sentir comment tu ressens, si je veux, mais je le fais pas, parce que c'est pas juste de le faire. Sauf quand j'ai pas le choix... Certains moments particuliers on sent forcément les émotions de l'autre.»
Bien souvent, les gens "normaux" avaient peur des gens Doués. Ils leur prêtaient les comportements qu'ils s'imagineraient avoir s'ils possédaient eux-mêmes ces Dons. Pourtant, l'éthique était enseignée aux Hérauts, aux Bardes, aux Guérisseurs et ils respectaient tous un code de déontologie très strict.
Quant à la question de la couleur qu'Ean pourrait avoir, elle amusait beaucoup Pluichantante; c'était une manière assez subtile de demander ce qu'elle pensait de lui. Elle aurait aimé pouvoir lui répondre, pour lui faire plaisir. Mais elle se représentait plutôt les autres à travers des visualisations, des concepts, c'est-à-dire à travers des noms traditionnels Tayledras ou K'Leshya. Les noms que les gens portaient ici ne reflétaient en rien leur personnalité, tandis que les noms de son peuple étaient censés refléter l'essence de la personne, son caractère, mais aussi ses intérêts, et la manière dont elle-même se percevait. C'était la raison pour laquelle beaucoup de jeunes gens abandonnaient le nom donné par leurs parents pour s'en choisir un en adéquation avec eux-mêmes.
«Mais si tu veux savoir ce que je vois en toi, je peux te dire comment je pourrais t'appeler, oui, même si je te connais pas depuis assez longtemps... Je pense quelque chose comme Rêveacier, oui Brumeacier... Mais Rêveacier c'est plus juste.»Elle n'était pas certaine qu'Ean ait la sensibilité nécessaire pour comprendre ce qu'elle exprimait dans ce nom. L'acier, car Ean était un homme assez dur et froid, surtout au premier abord. Charmant, séduisant, mais gardant toujours un ferme contrôle sur lui, sur ses émotions. Le rêve, parce qu'il avait une sensibilité d'artiste, des envies, des désirs, une volonté d'aller au-delà de ce que lui offrait le quotidien. Mais l'acier et le rêve, c'était aussi ce qu'il lui avait offert dès leur première rencontre. Bref, ce nom, à peine esquissé dans l'esprit de la Kestra'chern possédait déjà une forte symbolique.
Aux questions qu'elle avait posées pour meubler un silence un peu gênant, Ean fit une réponse qu'elle ne comprit pas bien.
«Euh, ton pays utilise la magie? Ou Valdemar? Valdemar utilise la magie depuis pas longtemps. Et c'est quoi le rapport de la magie avec la langue?»Elle-même n'en voyait aucun.
Pluiechantante fut presque désolée de devoir décliner la proposition d'Ean de jouer les amoureux pour mieux surveiller. Cela aurait été tellement plus agréable. Mais l'utilisation de son Don requérait une certaine concentration qu'il lui ferait assurément défaut dans les bras accueillants de l'artisan. De plus, elle avait besoin d'être assise pour pouvoir se consacrer pleinement à son Don.
Elle ne se soucia pas de la méthode employée par Ean pour trouver l'inconnu blond. Elle était bien trop occupée à résister à l'assaut des autres, puis à scanner la foule. Quand elle parla, ce fut de manière à peine consciente, tant elle était immergée en elle. Mais une voix familière parvint cependant à l'atteindre, et elle réalisa qu'Ean lui parlait. Elle ouvrit les yeux et tourna lentement la tête vers Ean. Elle mit du temps à reconstituer ce qu'il lui avait dit. Elle était tellement immergée en elle-même que parler une autre langue que la sienne lui semblait difficile.
«Non, il a pas vu. Sinon...» Elle frissonna à cette idée.
«Sinon Liane aurait eu des soucis, oui. Et... je sais pas comment Liane a vu, avec ses yeux à elle ou autrement.»Elle constata alors qu'elle était complètement serrée contre l'artisan, et que contrairement à ce qu'elle avait pensé plus tôt, la proximité d'Ean l'aidait à garder son calme face à la multitude d'émotions qui la traversaient. Car la rigueur, la rigidité intérieure d'Ean agissaient comme une chape de neige fraîche, étouffant les sons, lissant le paysage.
«Lacacier aussi, tu es...» murmura-t-elle avant de l'embrasser dans le cou.
Ce contact intime lui transmit une multitude d'émotions: scepticisme, douceur, légère incompréhension, envie (?) ou besoin de chaleur, peur (?). Mais elle buta très vite sur son sang-froid, la laissant sur sa faim, déçue. Mais Pluiechantante ne s'attarda pas sur ce détail, préférant enfouir son visage dans le torse d'Ean. Elle était heureuse qu'il soit là, et elle le lui fit sentir en partageant ses émotions.
[Ean ressent le bonheur de Pluiechantante, comme une chaleur irradiant d'elle. S'il n'a jamais connu d'Empathe, c'est assez perturbant pour lui.]Elle ferma à nouveau les yeux et se remit à chercher. Malheureusement, malgré l'aide d'Ean, elle ne parvenait pas à sentir qui que ce soit de malintentionné, de noir, de fou*. Elle espérait qu'ils finiraient par le trouver, pour pouvoir le suivre et le faire arrêter. Mais rien n'était moins sûr...
«J'ai peur de pas voir parce qu'il est plus calme... Les autres jours, il redescend maintenant. On doit le voir!»Elle tenta de donner plus d'énergie, de s'ouvrir davantage, pour percevoir plus loin. Elle avait le sentiment que quelque chose flottait juste au-delà de son rayon de perception*. Mais peut-être était-ce simplement son désir de trouver cet homme qui la parasitait.
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[ Maintenant c'est sur un 9 ou un 10 ]