Début de la 4e décade d'Automne 1485
Méra avait beaucoup réfléchi à ces histoires d'espionnage et de succession de Wylan. Et son opinion sur le sujet était la même que presque dix ans auparavant: elle n'avait aucune envie de succéder à Wylan. Travailler sous ses ordres lui plaisait. Mener des missions aussi. Mais la gestion totale du réseau, l'organisation, le stress, très peu pour elle. Elle n'était tout simplement celle qu'il fallait pour cela. Le problème était qu'il n'y avait personne d'autre de disponible.
Elle avait tenté d'en parler à Wylan, mais celui-ci était bien trop pris par ses missions à venir pour réellement prêter attention à ces récriminations. Or, Méra avait besoin qu'on l'écoute. Elle avait toujours estimé avoir une vision juste d'elle-même. Elle savait où étaient ses forces et elle avait parfaitement conscience de ses faiblesses. Elle était trop prompte à s'emporter, trop insouciante aussi pour avoir dans ses mains la sécurité du royaume. Pourquoi Alemdar et Wylan ne le voyaient-ils pas?
Finalement, elle avait décidé de se tourner vers la seule personne habilité à discuter de cela avec elle. Éloïse ne pourrait sans rien faire pour l'aider, mais au moins pourrait-elle écouter. Elle lui avait donc demandé une entrevue.
Ce qu'elle avait oublié, c'était qu'aller chez Éloïse, c'était devoir porter des habits civiles. Pire que cela, une robe!
Quand elle sortit de leur chambre à coucher, toute apprêtée et pomponnée, Jarhindel attendait sagement dans son fauteuil préféré. Il n'aurait raté le spectacle pour rien au monde, l'enfoiré. Et il manqua de s'étouffer de rire en voyant Méra s'avancer dans la pièce.
«Je te préviens, si tu dis un mot, tu fais une seule remarque, je t'écorche vif et j'expose tes parties intimes sur la porte de la salle d'armes!»
Méra se sentait ridicule. La robe - qui lui allait encore parfaitement - devait déjà être démodée quand elle en avait hérité, dix ans plus tôt. Si la couleur flattait plutôt son teint - elle était rose vif - la coupe était ridicule. Trop de fanfreluche et de dentelles à son goût.
Elle se dépêcha de se mettre en route. Alors qu'elle franchissait la porte, elle entendit l'éclat de rire de son amant. Il allait voir...
Une litière et quelques ampoules plus loin....
:On a pas idée de faire des chaussures aussi inconfortables! Une jupe passe encore, j'aime plutôt bien les larges que j'ai, en laine, pour l'hiver. Mais pourquoi des trucs pareils aux pieds?:
:Ah ça... c'est un outil s'asservissement comme un autre, ma chère.:
... Elle arriva enfin chez Éloïse. Elle sonna et attendit qu'on l'introduise. Enfin, elle se retrouva assise face à la jeune femme.
«Putain, Éloïse... je crois que je préfère encore retourner sur le front que de remettre un jour cette horreur!» Elle soupira. Au moins avait-elle réussi sa coiffure, un entrelac de fines tresses rehaussées de perles blanches et de rubans du même rose que la robe. «Bref... comment vas-tu? Et Leif?»