Auteur Sujet: Comédie urbaine  (Lu 3050 fois)

Yvelin

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Comédie urbaine
« le: 10 septembre 2020, 10:23:48 »
1er jour de la 9e décade d'Été

Yvelin s'était fait beau. Autant que ses moyens limités le lui permettaient. Il avait enfilé sa tunique rouge la plus seyante, ciré ses bottes et tenté de coiffer sa tignasse - en vain, malheureusement. Il avait aussi remis une boucle à son oreille, un petit anneau d'or tout simple. Il ne voulait pas que le trou se referme. Il voulait se laisser une chance de pouvoir y accrocher un jour à nouveau un bijou d'importance. C'était sentimental et idiot, il le savait. Mais aurait-il été un vrai Barde s'il avait agi différemment?

Devant l'immense porte de la demeure Trevale, il se sentit intimidé. Ce n'était que la deuxième fois qu'il entrait dans une demeure noble. Il avait chanté chez des bourgeoises fortunées, souvent, mais malgré leurs tentatives, la splendeur de leur logement ne pouvait égaler celle de cette maison. Un instant, il se demanda s'il était censé passer par l'entrée des domestiques. Puis il se souvint que son statut était équivalent à celui de n'importe quel héritier d'une grande famille. On lui devait le respect. Il l'oubliait trop facilement.

Il se força à respirer lentement, pour dissiper l'angoisse. Il était le Barde engagé par dame de Trevale. Il était à sa place et personne ne pouvait contester sa légitimité. Après tout, elle l'avait préféré à Firen.

Yvelin actionna le heurtoir et attendit. Bien vite, un domestique vint ouvrir. La vue de l'écarlate lui suffit à inviter le Barde à entrer.

«Bienvenue à vous, Barde Yvelin. Puis-je prendre vos affaires?»

Instinctivement, Yvelin resserra la main sur l'étui de son luth.

«Je ne laisse personne s'occuper de mes instruments.»

«Très bien. Par ici, je vous prie.»

On le guida vers un petit salon meublé à ce qui devait être la dernière mode en matière de décoration d'intérieur et le serviteur s'éclipsa. Yvelin se retrouva seul à attendre.

Polygraphe

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Re : Comédie urbaine
« Réponse #1 le: 16 septembre 2020, 19:12:58 »

Owen de Trevale

Owen était probablement un des jeunes hommes les plus chanceux du pays.
S'en rendait-il compte ?
Bien sûr que non.

L'effort le plus grand qu'il avait du faire dans sa vie avait du avoir lieu avant sa naissance, quand il s'était assez accroché à l'utérus de sa mère pour ne pas finir en drame familial, comme les trois quart des grossesses de la Dame de Trevale.
Le reste de sa vie, il n'avait jamais eu à prendre la moindre décision par lui-même. Et celui lui convenait à merveille.
On l'avait considéré comme un miracle, un garçon, un héritier vivant, enfin !
On avait répondu au moindre de ses désirs.
On avait découvert qu'il avait une peur panique des chevaux alors on l'avait gardé à demeure pour ne pas qu'il se ridiculise au Collegium, et on lui avait pris un précepteur.
On avait vite réalisé ses limites intellectuelles et on s'était mis à la recherche d'un régisseur extrêmement compétent pour faire le travail à sa place quand il hériterai.
Puis on lui avait cherché une femme, avec le fol espoir que des gènes différents des siens pourrait s'accorder aux siens, à bout de souffle.
Et ladite femme, devant son infertilité prévisible, avait trouvé le moyen de lui faire croire le contraire en lui offrant non pas un, mais deux enfants !

En bref, Owen était un homme stupidement heureux qui n'avait vécu jusque-là que pour manger et coucher avec sa femme, et qui découvrait à présent le sens d'un bonheur plus vrai en s'occupant de ses enfants.
Il était peut-être idiot, mais il avait bien compris combien cette descendance relevait du miracle - chut, qui a dit adultère? - et s'était tout de suite attaché à eux, avant même leur naissance.
Il délaissait un peu la salle à manger et la chambre à coucher pour passer des heures dans la nursery. Les nourrices n'en revenaient d'ailleurs pas. Elles avaient trouvé ça touchant, avant de changer d'avis devant son comportement face à elles. Rien ne devait aller de travers avec ses héritiers. Et Owen De Trevale savait se montrer pénible.

"Owen?! Nous avons une visite!"

Son fils dans les bras - car Owen bien sûr avait une préférence pour le garçon - il répondit en hurlant:

"Je suis occupé, plus tard!"

Mais il entendait déjà le pas léger et rapide de son épouse. Fleur passa la tête dans l’entrebâillement de la porte de la nursery, et sans un regard pour ses jumeaux, elle lui adressa une moue charmeuse.

"Owen s'il vous plait, il s'agit du Barde que j'ai engagé pour la fête en l'honneur des jumeaux. Je lui ai proposé de venir les voir, il a l'air de beaucoup aimer les enfants. Et il nous fera une proposition de chanson."
"Je n'ai pas besoin d'être là pour ça, et les enfants non plus. Ils vont attraper froid!"
"Owen, je vous en prie. Il fait parfaitement chaud dans toute la maison, et je ne vais pas faire montrer un Barde dans nos pièces privées. Je sais que vous êtes très fier de nos jumeaux, n'avez-vous pas envie de les montrer ?"

A la façon dont elle se tenait, et le regardait, il le savait perdu. Il était incapable de résister à sa femme. Elle le connaissait par coeur et savait exactement comment le faire plier. Et la voir là, penchée vers lui, le décolleté pigeonnant ayant gardé les rondeurs de sa grossesse, il ne pouvait tout simplement pas lui dire non.
Il se leva, son fils dans les bras, et une des Nourrices tendit sa fille à Fleur qui balbutia avant d'attraper maladroitement le bébé.
Et c'est ainsi chargé que le couple Trevale descendit dans un des petits salon du rez-de-chaussé.

"Barde Yvelin, c'est un plaisir de voir que vous avez répondu à mon invitation. Je vous présente mon époux, Owen."

Owen connaissait la réputation du barde en question. Il en avait entendu parler par un ami du Grand Conseil, et il n'oubliait jamais rien. Il n'aimait pas trop les Shay, sans vraiment savoir pourquoi. Mais il faut dire qu'ils étaient si souvent de tout bord dans ce milieu qu'il était difficile d'en trouver un doté d'une morale correcte. Et Fleur avait insisté...

"Barde Yvelin" salua-t-il simplement.

Il s'assit sur un large fauteuil - il fallait au moins ça pour son postérieur - son fils dans les bras.
Fleur fit une légère révérence et continua:

"Voici notre fille, Camélia, et notre fils, Ambroise."

Les jumeaux, âgé de 4 mois, étaient aussi blonds que leur mères. Owen était ravi qu'ils aient hérité de ses magnifiques cheveux.

"Je vous en prie assez-vous."

Elle le fit et commanda d'un ton doux mais ferme:

"Du thé."

Puis après avoir essayer de caler correctement sa fille - sans succès, elle demanda à Yvelin:

"L'inspiration a-t-elle été au rendez-vous ?"

Une domestique arriva à cet instant, portant un lourd plateau de thé fumant, ainsi que de nombreux gâteaux qui firent saliver Owen. La cuisinière était laide à faire peur, mais elle faisait de fameuses pâtisseries !
« Modifié: 16 septembre 2020, 19:19:30 par Polygraphe »

Yvelin

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Re : Comédie urbaine
« Réponse #2 le: 22 septembre 2020, 10:29:52 »
Quand Fleur entra dans la pièce accompagnée de son époux, Yvelin ne put s'empêcher de penser que le destin avait dû bien s'amuser à réunir ces deux-là. Même s'il n'était sans doute pas le mieux placé pour en juger, Yvelin trouvait Fleur ravissante. Un peu trop évaporée et superficielle à son goût, mais on ne trouvait rien à redire à sa plastique. De plus se dégageait d'elle une joie de vivre, une légèreté et une gaieté propre à illuminer la pièce. Owen, au contraire, était laid, mou, sans énergie et sa simple présence faisait regretter à Yvelin de ne pas se trouver à un endroit plus intéressant... à un cours de mathématique, par exemple.

Heureusement pour tout le monde, les deux bébés étaient d'adorables poupons blonds et potelés. Ils avaient visiblement eu le bon goût de prendre du côté maternel. Bien que, s'il en croyait les rumeurs qui circulaient, il fût très peu probable qu'Owen en fût le père. Et en le voyant de plus près, difficile de donner tort à la rumeur. Yvelin doutait sincèrement qu'il y ait un jour quoi que ce soit de suffisamment vigoureux en cet homme pour mettre une femme enceinte.

Yvelin s'avança à leur hauteur et esquissa la courbette attendue. Chez les Bardes, l'étiquette était enseignée avec beaucoup d'insistance et respectée scrupuleusement. Il attendit que le couple soit installé pour prendre place lui-même.

«Vos enfants sont tout à fait charmants. Et je ne peux qu'admirer le goût avec lequel vous les avez nommés. Nul doute qu'ils seront un jour les coqueluches de la cour.» C'était bien ce que désirait leur mère, après tout. Et s'ils avaient de la chance, ils seraient aussi beaux et futiles qu'elle. «Et je suis persuadé qu'ils hériteront de leur père la rectitude et une morale sans reproche.»

Tout autre compliment n'aurait pu être que mensonge, il s'était donc creusé la tête à la recherche de quelque chose de positif à dire sur Owen. Même ses alliés le trouvaient stupides. À dire vrai, il n'avait personne au Palais ayant une réelle bonne opinion de lui. Au mieux, on le qualifiait d'inoffensif.

«Et oui, l'inspiration a été au rendez-vous. Et vous savez, quand on est Barde, il est moins question d'inspiration que de travail. À force de composer encore et encore, d'improviser et de se produire, nous apprenons à construire des musiques et des textes à partir de minuscules détails. Alors une histoire aussi riche que celle de votre famille ne pouvait manquer de m'inspirer.»

Il offrit son plus beau sourire à Owen et Fleur. La bonne revenait maintenant avec le thé et fit le service.

«C'est vraiment une superbe maison que vous avez là. J'imagine que vous devez susciter bien des convoitises!»

Fleur de Trevale

Re : Comédie urbaine
« Réponse #3 le: 23 septembre 2020, 15:56:51 »
Yvelin savait parfaitement tourner ses compliments et ils furent reçut avec un gracieux sourire de Fleur. Owen, très sensible à la flatterie, se rengorgea, ce qui lui donna un peu l'air d'un dindon.
Il était en effet intimement persuadé d'avoir une morale irréprochable. La rectitude par contre, il ne savait pas ce que ça voulait dire, mais ça avait l'air flatteur.

"Vous brisez un peu la magie, Barde Yvelin. Moi qui imaginait les vôtres déambuler, rêveurs, attendant l'inspiration presque divine..." plaisanta à moitié Fleur, le ton légèrement badin.

Légèrement, parce qu'Owen était jaloux, et que même si le Barde n'aimait pas les femmes, elle ne pouvait s'empêcher d'instaurer un rapport de séduction avec les hommes.

Après plusieurs acrobaties qui eurent le mérite d'amuser sa fille, Fleur réussit à la poser contre son épaule, la tête blonde de Camélia dépassant juste ce qu'il fallait pour qu'elle puisse voir le monde de ses grands yeux bleus. Sa mère étant installée légèrement de biais, le bébé pouvait observer Yvelin, même si elle ne voyait guère d'une longiligne forme rouge. Mais ça changeait assez pour la captiver.
Fleur, qui savait recevoir et boire son thé avec un art consommé, se retrouva tout à coup gauche, une tasse fumante à la main, un bébé de l'autre côté qu'elle ne voulait pas risque de brûler, tout de même.
Elle avait beau essayer de paraître naturelle, il était clair qu'elle n'avait pas l'habitude d'avoir ses enfants dans les bras.

"Des convoitises? Oh je ne crois pas, bien que notre Nom soit illustre, n'est-ce pas Owen?"


Celui-ci, en train de s’empiffrer de choux à la crème, lui lança un regard un peu perdu, puis s'empressa d'avaler sa nourriture, manquant s’étouffer. Fleur se retint tout juste de fermer les yeux de dépit.

"Oui, les Trevale sont importants. Je suis Grand-Conseiller vous savez."

Fleur jeta un oeil à la décoration de son salon et ajouta:

"Nous aimons en tout cas recevoir dans une atmosphère et une ambiance paisible et élégante. Et si par convoitise vous voulez dire envie, je prends ça pour un compliment"

Mais effectivement, cette magnifique maison avait été plus que convoitée par les cousins d'Owen qui rêvaient d'en hériter. Mais elle leur passait sous le nez. Et Fleur ne les laisserait pas tenter de la reprendre.
Mue d'un sentiment protecteur, elle resserra inconsciemment sa prise sur sa fille et plongea son nez dans les fins cheveux blonds de Camélia pour en humer l'odeur si particulière des nourrissons. Ce geste spontané la surprit elle-même.

"Nous avons hâte d'entendre ce que vous avez composé. Je crois que les enfants sont sensible à la musique. N'est-ce pas Owen ?"

Après tout, il les connaissait bien mieux qu'elle.
Owen, qui avait reprit son activité principale, à savoir manger, essuya rapidement les miettes tombées sur Ambroise et acquiesça.

"Ca oui, ils aiment beaucoup m'entendre chanter."

Fleur sourit avec tendresse, touchée au fond qu'Owen puisse se méprendre à ce points sur sa voix. Elle avait rarement entendu quelqu'un chanter si faux.
« Modifié: 23 septembre 2020, 18:16:34 par Fleur de Trevale »

Yvelin

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Re : Comédie urbaine
« Réponse #4 le: 30 septembre 2020, 12:41:45 »
Yvelin trouvait Owen encore plus ridicule que ce que les portraits qu'on avait dressé de cet homme laissait suggérer. Son imbécillité, sa fatuité, son contentement manifeste étaient tellement évidents que le jeune Barde devait usait de tout son art pour ne pas se moquer de lui. Pour se faciliter encore la tâche, il décida de ne s'adresser qu'à Fleur, à moins qu'Owen ne lui laisse pas le choix.

«Votre maison est idéalement située, et on sent que la décoration est du fait de quelqu'un doué d'un goût sûr et raffiné.»

D'une certaine manière, c'était facile de dire ce qu'on attendait de lui, surtout à quelqu'un comme Fleur de Trevale. Être charmant, admiratif voir flagorneur ne lui posait aucun problème, du moment qu'il n'en pensait pas un traître mot. Alors pourquoi était-ce si difficile de dire les mots attendus quand le cœur y était?

Il chassa cette pensée en sortant son luth de son étui. Il n'avait pas le temps pour se morfondre sur ses erreurs.

«Les bébés aiment la musique, c'est certain. Pour leurs jeunes esprits, elle est plus facile à comprendre que la voix et la parole. Car s'ils n'en comprennent les mots, ils perçoivent les émotions qui l'habitent.»

*Jargon pseudo-mystique de Barde: fait!* entendit-il Liselle murmurer à son oreille. Il retint un sourire en accordant son instrument.

«Voyons si ma musique saura les atteindre.»

Il entama l'introduction en reprenant la progression mélodique des couplets. Il avait choisi une musique plutôt solennelle, d'aucun aurait dit pompeuse. Mais il ne doutait pas un instant qu'elle soit du goût des deux parents, lesquels ne semblaient vivre que pour et par les ors de la cour.

♪Dans les terres à l'est où le jour naît,
La roche est dur, le vent tranchant,
mais le sol est riche et vivant
et l'eau chante en clapotis gais.

"Trevale je nomme ces lieux,
car ici meurent trois vallées,
formant cette plaine baignée
de lumière, bénie des Dieux."

Ainsi parla le premier père,
de cette famille réputée.
Puis après lui son fils aîné,
rendit cette terre prospère.

Chaque illustre enfant des trois vals,
reprit le flambeau et la quête,
Paix ou guerre, victoire ou défaite,
Rien n'entamait leur idéal.

C'est de cette illustre lignage
qu'Ambroise et Camélia sont nés.
Sous le regard de leurs aînés,
qu'ils reçoivent leur héritage.

De leur mère, nous leur souhaitons
de prendre la grâce, la beauté,
pour qu'ils ne cessent d'amener,
joie et gaieté dans leur maison.

De leur père, l'illustre lignée,
la rectitude, la noblesse,
pour qu'ils saisissent sans faiblesse,
le flambeau de leur destinée.♪



Il reprit la mélodie des couplets une fois encore puis plaqua les derniers accords.

«Je peux évidemment ajouter encore quelques couplets, si cela vous semble nécessaire.»

Fleur de Trevale

Re : Comédie urbaine
« Réponse #5 le: 01 octobre 2020, 20:22:18 »
Et de riche, aurai-t-on pu rajouter pour la décoration. Car en effet, ni Owen ni Fleur n'avaient compté pour décorer et meubler ce salon. Avaient-ils seulement conscience de la valeur des choses ?
Owen non. Fleur en avait une vague idée, du moins réalisait-elle à présent ce qu'était l'indigence, et donc le manque d'argent. Et encore... Il ne lui restait qu'à mettre en œuvre ses projets de bienfaisance avec la Lieutenant Jehane pour le réaliser pleinement. Mais jusque-là, elle avait trouvé mieux à faire. Organiser une fête pour les jumeaux, par exemple.

Yvelin entama sa chanson, et Fleur eut un grand sourire en écoutant ce qu'il avait composé. Elle regarda Owen, pour avoir son ressenti, mais lui se contenait de s'amuser de celui des enfants, subjugués.
Elle en profita pour lui passer Camélia - il savait très bien porter les deux nourrissons en même temps, il fallait dire qu'il y avait de la surface sur laquelle les poser - et récupérer l'usage de ses deux mains.
A la fin de la chanson, elle applaudit comme une enfant.

"Oh, Barde Yvelin, c'est fantastique, merci !"

Elle se tourna vers Owen:

"Ne trouvez-vous pas, Owen ? Je n'ai jamais entendu de chanson à la gloire de notre Nom, nous serions donc les premiers à en avoir fait faire une."
"Non, vous avez raison, je n'ai jamais entendu parler d'une chanson propre aux Trevale".

Et on pouvait faire confiance à la mémoire d'Owen.

"Nous pourrions chanter..." elle compta sur ses doigts " les quatre premières strophes pour des fêtes de famille, cela ferait une sorte d'hymne ?"

Là, Owen plissa les yeux pour comprendre ce que sa femme voulait dire, puis fini par répondre:

"Si vous voulez"

Et cette réponse lui valait la plupart du temps une tranquillité royale. 

"Je ne crois pas qu'il y ai quoique ce soit à rajouter. J'ai hâte de l'entendre lors des réjouissances,"

Elle tendit un plateau de gourmandise à Yvelin puis demanda:

"Jouez-vous autre chose que du Luth ? Pour ma part, je ne suis pas bien douée."

Dans la quête d'accomplissement de jeune fille bien née étudiant au Collegium des Non-Affiliés, Fleur avait eu droit à une éducation musicale. Mais elle avait trouvé son professeur barbant - bien trop vieux et pas du tout séduisant - et n'y montrait aucun talent.


Yvelin

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Re : Comédie urbaine
« Réponse #6 le: 05 octobre 2020, 09:04:11 »
Avec le temps, Yvelin avait appris à accepter les compliments… au moins quand ceux-ci concernaient sa musique. Il répondit donc à la remarque de Fleur d'un gracieux sourire.

«Je vous remercie Dame de Trevale.»

Il la laissa ensuite manoeuvrer son mari jusqu'à ce qu'il estime son intervention opportune. Elle avait un réel talent pour ça, c'était évident. Le pauvre imbécile n'avait aucune chance.

«Si vous désirez, je peux faire rédiger une partition pour vous, à mettre dans vos archives?»

Il aurait pu le faire lui-même, évidemment. Il était capable d'écrire élégamment si c'était nécessaire. Mais il y avait des scribes spécialisés pour réaliser de telles partitions. Yvelin n'avait aucune envie de leur voler leur travail. Et très honnêtement, il n'en avait pas le temps.

«Et je me réjouis de jouer pour vous. Avez-vous prévu un orchestre pour la fête? Si vous désirez, je peux vous recommander des ménestrels de talent qui sauront égayer la soirée sans accaparer l'attention de vos convives.»

Bien souvent les nobles s'entêtaient à engager des Bardes, persuadés que les ménestrels étaient indignes de leur rang. Pourtant ces derniers étaient bien plus adéquats dans la plupart des événements mondains. Qui avait envie de voir ses invités simplement incapables de détacher leur attention de la musique?

Yvelin se servit d'une mignardise qu'il tenta de tenir avec élégance. Il ne cesserait jamais de remercier son professeur d'étiquette pous tous ses bons conseils!

«Le luth n'est que mon deuxième "meilleur" instrument, en fait. J'ai une affection particulière pour le théorbe, mais celui-ci s'utilise surtout dans des ensembles et très peu pour accompagner la voix seul. Et sinon je maîtrise les petites percussions: tambourin, petit tambour, timbales… Et je peux tenir une partition simple à la flûte à bec, si je m'entraîne. Et vous, jouez vous d'un instrument, ma Dame? Et vous, sieur de Trevale?»
« Modifié: 20 octobre 2020, 12:10:34 par Yvelin »

Fleur de Trevale

Re : Comédie urbaine
« Réponse #7 le: 20 octobre 2020, 07:28:30 »
Fleur adorait se faire appeler Dame de Trevale, même si ce n'était pas vraiment juste. Elle n'était que l'héritière. La vraie Dame de Trevale étant à Trevale justement, et bien en vie.
Mais puisqu'à Haven il n'y avait qu'elle, elle se considérait comme une sorte de représentante du Nom, méritant d'être traité avec les mêmes honneurs que sa belle-mère.

"Vous pourriez faire ceci ? Oh ce sera parfait. Vous avez l'air tout à fait compétent, je vous fait entièrement confiance à ce sujet, n'est-ce pas Owen ?"

Ce dernier hocha la tête, sans même prendre la peine d'ouvrir la bouche pour autre chose qu'engloutir des petits fours.
Il était tellement facile de gagner la confiance du couple Trevale ! Il était même surprenant qu'ils n'aient pas eu d'ennuis plus graves à cause de ça. Pour le moment.

"Vous savez jouer de tous ces instruments ? C'est tout à fait incroyable ! Je suis impressionnée ! Car moi malheureusement, je n'ai aucun talent, je crois, pour la musique. Je n'étais pas  très assidue. Ce qui explique que je connaisse si mal votre Collegium. J'aimais assez le clavecin, mais il fallait apprendre le solfège, et le professeur n'était pas... inspirant."

Fleur savait jouer parfaitement du pipeau en revanche. Quant à son époux...

"Mon précepteur n'a détecté aucune... disposition pour la musique. Il a donc préféré se concentrer sur d'autres compétences." récita Owen pour une fois de façon presque convaincante.

En écoutant Owen, on pouvait se dire finalement qu'il n'y avait pas de cas désespéré si lui arrivait à répéter ce qu'on attendait de lui. Parfois.

"Peut-être nos enfants auront envie d'étudier la musique, qui sait?"
"Quoi? Ambroise aura trop de choses sérieuses à apprendre pour le perdre à chantonner." réagit Owen. "Camélia fera ce qu'elle veut, c'est une fille, c'est différent."

Fleur eut du mal à ne pas écarquiller les yeux devant tant d'impolitesse et de préjugés. La façon de penser d'Owen n'était pas une surprise, mais elle faisait en sorte qu'il la garde pour d'autres milieux. Et elle estimait avoir encore de belles années devant eux pour le faire changer d'avis. Mais ça n'empêchait pas ce genre de situation déplaisante d'arriver, malheureusement .
Pleine de respect pour Yvelin, sa personne et son talent, elle intervint avec douceur:

"Owen, vous être injuste. Je suis certaine qu'Ambroise saura vous convaincre de lui permettre tout ce qui le rendra heureux."

Le jeune homme regarda son fils et eut un sourire attendrit.

"Je suis certaine que vos parents sont très fier de vous, Barde" rajouta Fleur dans l'espoir de faire oublier l'impair de son mari.

Yvelin

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Re : Comédie urbaine
« Réponse #8 le: 20 octobre 2020, 13:24:31 »
Yvelin prit mentalement note de parler de la fête à Liselle. Elle serait sans doute contente d'avoir un contrat supplémentaire, surtout dans une famille aussi aisée. Il lui faudrait aussi remettre au propre ses partitions pour pouvoir en faire copier une édition lisible par d'autres... du travail supplémentaire pour lui. Mais il le compterait dans ses gages.

La suite de la conversation prit un chemin des plus habituels pour Yvelin. Et Fleur réagit comme attendu, quand il fit la liste des instruments qu'il maîtrisait. Il négligea presque ostensiblement de répondre à Owen, qui de toute manière ne semblait absolument pas intéressé par la conversation, et adressa un sourire charmant à Fleur. Après tout, il était évident qu'elle était la tête pensante du couple, aussi absurde cela puisse paraître.

«C'est normal pour un Barde, vous savez. Après tout, nous nous consacrons corps et âme à la musique, et elle mérite d'avoir les serviteurs les plus diligents et habiles qui soient.» Il sourit. «Si vous appréciez le clavecin, pourquoi ne pas prendre un tuteur pour continuer votre formation? La musique forme les esprits, et il n'y a pas d'âge pour apprendre.»

Deux poncifs à la suite... Yvelin était en grande forme! Il lui faudrait éviter de fréquenter trop de nobles écervelés à l'avenir, où il risquait de perdre à jamais la capacité à faire des réflexions autre chose que convenues.

Owen, d'ailleurs, ne se laissait pas d'inspirer du mépris au jeune Barde. Sa manière de parler de la musique, comme si elle n'était qu'annexe et inutile, était particulièrement insultante quand on s'adressait à un Barde. Yvelin eut envie de le lui signifier d'une remarque mordante, mais il s'abstint. Après tout, l'homme était trop idiot pour comprendre une insulte savamment tournée, et lui-même avait dépassé l'âge de traiter les autres de noms d'oiseaux.

«La musique fait pourtant partie du cursus normal pour toutes les personnes de qualité se formant au Collegium. N'est-il pas essentiel pour un noble de connaître les grandes œuvres du pays? Et mieux encore, de les apprécier?»

Son ton était innocent et léger, mais n'importe quelle personne un tant soit peu entraînée aurait pu percevoir la note d'aigreur dans sa voix.

Malheureusement pour Fleur, le sujet qu'elle choisit pour poursuivre leur conversation était loin d'être idéal. Yvelin se raidit légèrement et ses doigts se crispèrent sur ses genoux.

«Mes parents sont des artisans qui n'ont guère le loisir de s'intéresser à la carrière de leur enfant. Je leur suis très reconnaissant de m'avoir laissé rejoindre les Bardes et je n'aurai pas l'impudence de leur réclamer davantage. D'autant qu'ils n'approuvent pas forcément mon... mode de vie.» Il se força à se détendre. «Mais je suis certain que vos propres parents sont ravis d'avoir une fille aussi raffinée et vive, ma dame. Et vos enfants sont réellement magnifiques.»


Fleur de Trevale

Re : Comédie urbaine
« Réponse #9 le: 21 octobre 2020, 20:00:37 »
"Un tuteur, à mon âge ?" Fleur eut un petit rire mondain et sincère à la fois. "J'ai peur de ne pas être meilleure élève à présent que du temps de mes années de Bleue. On dit que la sagesse vient avec l'âge, mais je n'en suis pas si certaine.".

Voilà une chose qu'elle n'aurait pas dit en société. Il fallait que le monde croit qu'elle avait gagné un peu de raison avec les années. Il en allait de la respectabilité du nom qu'elle portait. Même elle en avait conscience.
Mais pour badiner avec un Barde, elle pouvait se le permettre.

Owen manquait bien trop de finesse, pour ne pas dire d'intelligence, pour comprendre tout le mépris contenu dans la réponse du Barde. Il répondit donc platement:

"La théorie c'est une chose. pour la pratique, il n'en aura pas le temps, il aura trop à faire, apprendre à devenir le Seigneur du Trevale laisse peu de temps au loisir."

Fleur fut sincèrement impressionnée qu'il arrive à répondre de tels mensonges, à plusieurs reprises, mensonges qu'elle s'était donné tant de mal à lui inculquer. Quel dommage qu'il sorte parfois de telles énormités qui gâchait tout ce travail...
Cependant, quand elle apprit que le jeune Barde se trouvait dans une situation difficile avec ses parents, elle se mordit les doigts d'avoir lancé le sujet. Romanesque, une histoire de rejet à cause de ses préférences sentimentales fit vibrer sa corde sensible, alors qu'Owen, qui avait aussi comprit - décidément quelle folle journée ! -  se tendait ostensiblement.

"Oh je suis vraiment navrée d'apprendre cela. Sachez que vous serez toujours le bienvenue ici."

Elle se permit de lancer un regard d'avertissement à Owen, le mettant en garde de la contredire. Habituellement, c'est avec de la douceur, des minauderies, et parfois quelques caprices qu'elle arrivait à faire de lui ce qu'elle voulait. De temps en temps cependant, elle devait faire preuve d'autorité. Ce n'était pas naturel chez elle, mais c'était diablement efficace.

A son compliment sur sa personne, Fleur gloussa et passa une main dans sa chevelure blonde. Puis elle regarda ses jumeaux.
Diantre, elle voyait tellement de Noam en eux...

"Je reconnais qu'ils sont plutôt réussis. Mais je ne suis pas objective."

Yvelin

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Re : Comédie urbaine
« Réponse #10 le: 26 octobre 2020, 09:28:06 »
En son fort intérieur, Yvelin ne pouvait qu'approuver l'analyse de la jeune femme sur son propre caractère. Certes, lui aussi doutait parfois que la sagesse vienne avec les années, il avait vu bien trop d'exemple de vieux imbéciles engoncés dans des principes d'un autre âge. Mais au moins, à défaut de devenir plus sage, la plupart des adultes apprenaient à mieux se connaître et à compenser leurs défauts... mais pour cela au moins fallait-il les reconnaître comme tels.

«Il est plus facile de se montrer persévérant dans les activités que l'on choisit soi-même d'avoir. La discipline vient plus aisément quand personne ne nous l'impose, vous savez.»

Et il en avait été le premier surpris. Quand il était étudiant, Yvelin avait haï les cours d'autodéfense, et en général, toutes les activités impliquant un quelconque exercice physique. Il n'avait jamais pratiqué plus que le strict minimum à cette époque, juste de quoi ne pas être totalement ridicule. Mais pendant son année de Barde errant, il avait compris l'importance d'une bonne condition physique et s'était imposé de pratiquer presque quotidiennement les mouvements et les exercices qu'on lui avait montrés.

Owen, décidément, lui était antipathique. Comment un homme aussi détestable avait-il pu se retrouver marié à une femme aussi gaie que Fleur? Même si cette dernière était un peu idiote, au moins avait-elle l'esprit ouvert et curieux. Son mari, lui, semblait tout juste bon à s'empiffrer et à répéter sans grande conviction ce qu'on lui avait visiblement forcé à apprendre par cœur. Sans doute était-il trop stupide pour réfléchir lui-même à ces questions.

«C'est bien dommage, je trouve. Mais évidemment, je ne saurais prétendre connaître mieux que vous la complexité de l'apprentissage d'un chef de domaine. À peine ai-je quelques notions de gestion d'une fabrique de papier...»

Il offrit un sourire d'excuse pour l'immensité de son ignorance.

Yvelin était fier de lui. Aucune larme ne s'était invité sous ses paupières quand il parla de ses parents. Il avait réussi à dompter la souffrance pour qu'elle ne se manifeste que quand il avait du temps à lui accorder. Il adressa à Fleur un léger hochement de tête reconnaissant.

«Je vous remercie de votre accueil. Votre bonté n'a d'égal que votre beauté.»

Pour un Barde, il était facile (et presque contractuel) d'être charmant et flatteur, sans jamais réellement dépasser les limites de la bienséance. Ils n'étaient pas proprement formés à cela, mais vivement encouragés à s'y entraîner. Et pour Yvelin, comme pour d'autres, il était des plus aisés de ne pas outrepasser la morale. Après tout, il n'était pas réellement attiré par Fleur et ses paroles étaient vides de tout sous-entendu.

Faire parler une mère de ses enfants était un moyen simple d'occuper une conversation. Quelle mère n'aimait pas se vanter de son bébé? En cela, Fleur n'était pas différente d'une bourgeoise ou d'une paysanne.

«Quel parent l'est avec ses enfants? Et c'est un charmant travers.»

Malgré la bienveillance de Fleur, Yvelin commençait à se sentir légèrement mal à l'aise sous le regard de son imposant époux. Il n'avait pas envie de subir son inimitié, et le bruit constant de mastication commençait à l'agacer profondément.

«Je crois qu'il est temps que je m'esquive. Je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité et de votre emploi du temps sans doute fort chargé.» Il se leva.«Je vous ferai parvenir les noms de quelques ménestrels ainsi que leur tarif pour la soirée. Avez-vous des désirs particuliers quant à la musique? Des œuvres chères à votre cœur, des compositeurs à éviter?»

Fleur de Trevale

Re : Comédie urbaine
« Réponse #11 le: 05 novembre 2020, 11:02:04 »
Le laïus d’Yvelin sur l’autodiscipline fit sourire Fleur et elle acquiesça :

«Certainement, enfin, quand même l’autodiscipline n’existe pas, il faut bien s’en remettre aux autres»

L’histoire de la vie d’Owen en somme. Qui ne comprit pas qu’on parlait de lui, heureux débile ignorant de sa propre stupidité.
Il ne prit même pas la peine de répondre au Barde. Celui-ci avait abondé dans son sens, et il n’était pas assez fin pour savoir relancer une conversation.
Yvelin annonça qu’il parfait, et Fleur se leva gracieusement pour l’accompagner.

«Je vous fait confiance pour les détails plus ou moins gros. Comme vous l’avez vu, les connaissances d’Owen et moi sont bien trop minces pour que nous puissions avoir des envies particulières.»

Owen leva la tête pour voir le Barde partir et lui fit un léger signe de tête à peine poli. C’était toujours ça, soupira Fleur en en fort intérieur. Mais elle excusait ses manières quand elle le voyait ensuite tout entier tourné vers les jumeaux.

«Barde Yvelin, ce fut un plaisir de vous recevoir, et nous avons hâte de faire profiter nos amis de vos talents.»


Elle ploya dans une charmante révérence et laissa une domestique guider Yvelin jusqu’à la sortie.