Palais - Collegia > Collegia

Rencontre détonante

(1/4) > >>

Thalyana:
Dernier jour de la 1ère décade d'été 1485 - un atelier un peu isolé

Parfois, Thalyana avait besoin de sortir se changer les idées. Après certaines séances de soin particulièrement difficiles, l'ambiance de la Maison Guérison lui pesait et elle se précipitait à l'extérieur, autant pour respirer un peu d'air que pour éviter de se mettre à crier sur ses patients et collègues. Mais en aujourd'hui, le problème était différent.

Elle avait failli se prendre le bec avec Charwin. La raison était aussi évidente que le nez au milieu de la figure, en l'occurence, dans son cas, que son ventre rond de femme enceinte. Elle en était à la fin de la deuxième saison, et Charwin estimait qu'il était plus que temps qu'elle lève le pied. Pourtant les quatre années qui s'étaient écoulées depuis sa précédente grossesse lui avaient permis de raffermir encore la maîtrise de son Don. Cette fois-ci, elle n'avait eu à souffrir d'autant problème, d'aucun trouble. Elle maîtrisait son Empathie comme jamais et son Don de Guérison était aussi efficace que d'habitude. Et malgré cela, Charwin insistait encore et encore pour qu'elle diminue ses heures dans son service et qu'elle retourne s'occuper des coupures et des bobos, bref, qu'elle fasse le travail d'une apprentie. C'était bien mal connaître la jeune femme. Sous ses airs doux se cachait une tête terriblement dure. Et le fait que Charwin n'ait aucune raison valable pour la mettre à pieds ne faisait que renforcer sa détermination. Elle arrêterait quand son corps lui dirait qu'il est temps. Pas avant.

Rageusement, Thalyana shoota dans un cailloux. Et un bruit sourd la fit sursauter.

La main sur le cœur, elle fixa, incrédule, la petite pierre qui avait giclé quelques mètres plus loin, avant de réaliser qu'il n'était pas à l'origine du bruit. Elle chercha autour d'elle, inquiète, et finit par repérer une bâtisse de brique - un atelier, sans doute - d'où s'échappait une épaisse fumée. Elle s'approcha aussi vite que lui permettait son ventre.

Son Don lui signala la présence d'un individu, visiblement aussi surpris qu'elle. Elle se couvrit la bouche avec un pan de sa tunique et ouvrit la porte. La pièce était remplie d'une épaisse fumée.

«Est-ce que ça va? Vous pouvez m'entendre?»

Si elle n'obtenait pas de réponse, elle entrerait pour secourir l'occupant de l'atelier.

Allister:
Un mot fendit la fumée et atteint les oreilles de Thalyana : "Putain !" La voix était plus frustrée et en colère que souffrante.

Rapidement, la brume se dissipa et elle put voir un jeune homme aux cheveux bruns s'activer près d'une roue accrochée au mur. Sa chemise, sans doute blanche d'origine, était à moitié ouverte. Il portait un lourd tablier de cuir qui ressemblait un peu à celui d'un forgeron, mais visiblement quelque chose avait dû mal se passer car il était à présent dans son dos et Thalyana crût peut-être même un instant qu'il portait une cape. 

La roue que l'homme tournait avec énergie sembla actionner un mécanisme étrange fixé au plafond, au centre de la pièce. Rapidement, la fumée fut aspirée par cet ingénieux système d'engrenages et d'hélices. Juste sous le système d'aspiration, il y avait les restes fumants d'une machine très étrange. Thalyana n'avait probablement rien vu de tel, ni même rien d'approchant!

Une fois qu'il eut fini de purifier l'air, l'homme se précipita alors vers un coffre en bois renforcé qui avait visiblement été conçu pour résister à bien des choses. Il en sortit un livre de notes et s'y plongea quelques secondes avant de maugréer "Mais quel con, tant d'incompétence dans un si petit corps!" Il ferma le bouquin et le rangea. Il sembla alors se rappeler soudain qu'une voix l'avait interrogé, et il se tourna vers la porte de son atelier, ouverte.

L'inconnu lâcha alors un rire qui avait l'air sincère et regarda Thalyana lui adressant un  sympathique sourire. Son regard se fit appuyé durant un très court instant et sembla la scruter en détail puis il s'approcha d'elle d'un pas héroïque, imitant un noble chevalier, puis il utilisa son tablier comme cape improvisée et fit une petite courbette pour accompagner ses paroles enjouées :
"Pourquoi n'est-ce que quand ça explose que des visages sympathiques franchissent les portes de ma salle de test ? Bonjour, Noble dame, je suis Allister et également enchanté !"

Thalyana:
Thalyana passa la tête par l'encadrement, curieuse de voir ce qui se trouvait dans la pièce. Elle ne comprit pas grand chose de ce qu'elle vit, mais elle avais soigné suffisamment d'ingénieurs en herbe pendant son apprentissage pour émettre quelques suppositions. D'après le bruit et la fumée, le jeune homme travaillait sur une machine à vapeur, un de ces engins diaboliques dont tout le monde rêvait, mais qui, sauf les modèles les plus simples, avaient la fâcheuse tendance à exploser au nez de leur concepteur. Elle comprenait mieux maintenant pourquoi cet ingénieur-ci travaillait dans un atelier aussi isolé des bâtiments principaux.

Elle regarda, amusée, le jeune homme prendre frénétiquement des notes. Il semblait avoir totalement oublié sa présence. C'était signe qu'il ne souffrait sans doute de rien de grave. Ou peut-être ne l'avait-il pas entendu appelé, l'explosion ayant abimé son audition? La Guérisseuse ne comptait de le laisser s'en tirer à si bon compte. Elle allait l'ausculter, qu'il le veuille ou non.

Il finit par se tourner vers elle et en un instant, son attitude changea radicalement. D'ingénieur passionné et totalement pris par ses recherches, il se comportait maintenant comme un chevalier de ballade, tout en courbette et en langue fleurie.

Thalyana ne put s'empêcher de hausser un sourcil. Quel singulier personnage!

«Sans doute parce que ceux qui les arborent s'inquiètent quand ils entendent des explosions? Et je ne suis pas une noble dame, je suis Thalyana, Guérisseuse.»  Précision superflue, sa tunique et son ample jupe verte la désignant comme telle aux yeux de tous. «Enchantée...» Elle esquissa une révérence. Puis son attitude changea, elle le prit par le poignet et sa voix se fit sans réplique. «Bon, maintenant, je vous prierai de rester parfaitement immobile pendant que je vous ausculte.»

Elle chercha des yeux un siège quelconque, mais n'en trouva pas. Elle aurait préféré pratiquer son examen assise, mais elle était tout à fait capable de le faire debout. À la guerre, elle avait appris à soigner dans toutes les situations.

Toujours en tenant le jeune homme par le bras - hors de question qu'il s'échappe - elle abaissa légèrement ses barrières. Les émotions du jeune homme lui parvinrent, mais très faiblement. Elle réalisa à ce moment qu'elle n'avait rien senti de lui avant cet instant. Étrange. Habituellement, même en se barricadant complètement, elle percevait toujours légèrement les émotions alentours. Cet ingénieur devait avoir un très bon contrôle sur lui-même. Peut-être même lui avait-on appris à dresser des boucliers?

Elle laissa de côté cette énigme et ferma les yeux. Quand elle les rouvrit, Allister lui apparut comme un être de lumière et de couleur. Thalyana avait toujours aimé la Vision de Soin. Les êtres vivants étaient si beaux, ainsi. Elle repéra une légère infection sur un doigt, qu'elle soigna, ainsi que plusieurs lésions musculaires, certaines très anciennes. Elle remarqua aussi un début de tendinite au coude droit, sur lequel elle s'attarda quelques instants, avant de remonter vers la tête. Comme elle l'avait prédit, il souffrait d'une légère lésion de l'oreille interne. Elle y concentra son Don. D'ici le lendemain, il aurait récupéré toute son ouïe. Une rapide inspection générale ne révéla rien d'autre et elle rompit la connexion.

Elle cligna des yeux et remonta ses barrières.

«Je suis surprise. Je m'attendais à trouver des brûlures, mais vous n'avez rien de ce genre. Par contre, vos oreilles n'ont pas appréciés. Mais ne vous inquiétez pas, demain elles auront retrouvé toutes leurs capacités. Ah, et je crois que votre coude vous embêtait. Pourquoi n'êtes-vous pas venu nous voir à la Maison de Guérison?»

Allister:
Lorsqu'Allister vu le sourcil levé, il s'empressa de corriger son comportement, il avait sous-estimé le sérieux de son interlocutrice. Il se redressa et remis son tablier en place afin d'avoir l'air moins décalé. Lorsqu'elle fit sa petit révérence en réponse à ses courbettes, il sourit et en profita pour dire :
"Excusez ma tentative d'humour, je voulais dédramatiser."

«Bon, maintenant, je vous prierai de rester parfaitement immobile pendant que je vous ausculte.» Il avait vraiment beaucoup sous-estimé son sérieux! Allister comprit très vite qu'elle était déterminée et ne le laisserait pas tranquille aussi facilement et donc qu'obtempérer serait la meilleure solution... vu que c'était la seule, il ne pouvait pas détacher son bras de son épaule. Il se plia donc à l'exercice de bon cœur en faisant de son mieux pour aider la guérisseuse. Entretenir de bonnes relations avec les Guérisseurs et Guérisseuses était toujours une bonne idée, au vu de son travail !

La guérisseuse ferma les yeux et il sentit rapidement le picotement caractéristique du soin. Ça faisait un moment qu'Allister ne s'était plus fait soigner de la sorte, plus depuis qu'il avait réussi à obtenir les fonds suffisants pour avoir les moyens de ses ambitions et donc pu prendre des dispositions pour rendre ses tests plus sécuritaires. Il attendit quelques instants, tentant de se contorsionner le moins possible en réaction aux picotements. Allister n'aimait pas du tout le fait d'être mis à nu pareillement par la Guérisseuse, son corps portant sans aucun doute les traces de tout son passé et même un menteur aussi doué que lui ne pouvait pas tout dissimuler. Enfin, avec un peu de chance, cette femme croyait vraiment aux valeurs des Gérisseurs et ne se permettrait pas d'utiliser ce qu'elle risquait d'apprendre... mais devoir faire confiance n'enthousiasmait pas du tout Allister.

« Je suis surprise. Je m'attendais à trouver des brûlures, mais vous n'avez rien de ce genre. Par contre, vos oreilles n'ont pas appréciés. Mais ne vous inquiétez pas, demain elles auront retrouvé toutes leurs capacités. Ah, et je crois que votre coude vous embêtait. Pourquoi n'êtes-vous pas venu nous voir à la Maison de Guérison?»

Elle ne disait pas tout, elle avait vu plus, c'était une certitude. Il prépara un petit sourire gêné et reprit d'une voix un peu plus "jeune", voire candide. Il se gratta l'arrière de la tête d'un air gêné : "Je vous remercie beaucoup pour votre aide... Ah et mon coude, euh, en fait je ne m'en étais pas rendu compte ! Mon mécène me demande des résultats et je ne suis malheureusement pas encore au bout, je n'avais pas de temps à perdre..." Il comptait actionner le réflexe habituel des Guérisseuses qui était de faire des sermons quand quelqu'un ne prend pas soin de lui, ça lui donnerait plus de temps pour analyse son interlocutrice et décider de ce qu'il souhait faire de cette interaction.

Thalyana:
Thalyana haussa un sourcil. Il venait à nouveau de changer d'attitude. C'était... perturbant. Ça et l'absence totale d'émotion provenant de lui. Mais c'était fascinant, aussi, en quelque sorte.

«Votre mécène? Je ne pense pas que vous produirez de meilleurs résultats en vous détruisant la santé. Bon, vu votre état général, je pense que je vous prenez quand même soin de vous. Mais il serait raisonnable de venir consulter lorsque ce genre d'incidents se produisent.» Elle désigna le coude du doigt. «Et cette tendinite ne va pas disparaître aussi rapidement. Je me suis contenté de stimuler la guérison des tissus, mais je soupçonne qu'à l'instant même où j'aurai passé cette porte, vous reprendrez l'activité qui l'avait causée en premier lieu.»

Elle soupira. Travailler au Palais, c'était devoir gérer une horde de gens incapables de prendre soin d'eux-même. Les Hérauts, les Guérisseurs, les Gardes, la plupart ne venaient à la Maison de Guérison qu'en dernier recours, ou contraints et forcés. Seuls les Bardes semblaient plus raisonnables. Certains étaient même hypocondriaques, et se précipitaient voir un Guérisseur au moindre petit rhume. Sans doute craignaient-ils de perdre leur voix.

«Enfin, je sais que vous ne m'écouterez pas et vous ne serez pas le premier. Et je suis exactement comme vous. Je déteste devoir m'arrêter pour prendre en compte mes propres limitations.» Elle sourit. «Mais je suis certaine que votre... compagne - ou votre compagnon - préférerait que vous preniez soin de vous, non?»

Un jeune homme aussi séduisant était forcément en couple ou très courtisé. À moins qu'il ne sorte pas assez de son atelier pour cela? C'était possible. Mais à son âge - quel âge avait-il d'ailleurs, avec ses attitudes changeantes, c'était difficile à déterminer - sans doute cherchait-il l'amour.

«D'ailleurs, ça m'intéresserait assez de savoir ce que vous tentez de construire. Ce n'est pas mon domaine, mais j'avoue que l'ensemble est assez fascinant. »

Navigation

[0] Index des messages

[#] Page suivante

Utiliser la version classique