4eme décade de l'hiver 1481
"Et Maman m'a demandé de te dire de bien dormir."
"Oui Monchou"
"Et de prendre la tisane de Louison tous les soirs."
"Oui Monchou"
"Et..."
Et Micha de Girier continuais à débiter une liste sans fin de conseils et de recommandation. Pourquoi me direz-vous? Simple. La veille, lors d'un entrainement au corps à corps, une prise maladroite de la part d'un adversaire trop vigoureux, alliée à la gaucherie d'Isabeau, s'était soldée par une épaule démise. Oh, bien sur ce n'était pas très grave. Le maitre d'arme avait remis l'humérus de la grise en place environ trente secondes après l'accident (c'est l'impression qu'elle avait eu en tous cas), et les guérisseurs avaient estimé qu'une reconsolidation minimale suffirait (note: en France, en 2014, c'est 4 semaines de repos). Paraissait que trop de magie de guérison, ce n’était pas bon, que ça épuisait le corps et tout et tout. Une heure plus tard, elle sortait de l'infirmerie, le bras en écharpe et une ordonnance deux semaines de repos complet pour son bras gauche.
Isabeau avait ronchonné, avait désigné une collègue pas trop bordelière pour l'aider à la bibliothèque (Elle pouvait encore écrire! ranger les livre, non, c'est vrai, mais tant qu'elle écrirait, PERSONNE ne toucherait ses registres! Elle avait encore trop frais en mémoire le désastreux état de ceux-ci à son retour de mission. Rrrrrrr! Un jour elle trouverait le souillon qui avait carrément demandé aux gens d'inscrire eux même leurs emprunts! Malheureusement, la moitié du Collégium connaissait sa vendetta et personne n'osait se dénoncer. Le lâche.
Mais du coup, ce soir du premier jour de la quatrième décade d'hiver de 1781, elle avait un compagnon orfèvre sur le dos, envoyé par la Maison De Girier toute entière. Maison au sens de la famille de Sertan, de ses domestiques et des ouvriers, bien sûr. La noble branche principale des de Girier méprisait comme il se doit cette grise en culottes d'homme.
Il était arrivé un peu après le repas et lui avait tenu la jambe pendant ce qui avait semblé être des heures. Mais finalement, il semblait enfin arriver au bout de ses consignes:
"Voila. Et si tu te sens mal, Papa a dit qu'il embaucherait un autre guérisseur. Parce que franchement, c'est quoi ces gens! Ils ont le pouvoir de te soulager, mais non? Deux semaines de souffrance, et..."
"MICHA! Ça va, je n'ai pas mal, au pire, j'ai une potion pour ça. C'est eux les spécialistes, je te rappelle. Ils n’essaient pas de t'apprendre à faire une chainette, non? Alors laisse courir s'il te plait."
"Je..."
"Maintenant, tu permets, je dois me préparer."
"Mais pourquoi donc?"
"Ben... Je sors. Je suis de poulinage, ce soir."
"Hein?"
A la tête de Micha, elle aurait annoncé son intention de descendre en ville faire un show exotique, nue sur sa Kyree, dans quelque cabaret de la vielle ville, il n'aurais pas été moins surpris.
"Rester aux côtés d'une compagnonne gravide qui n'a pas élit. Chez eux, les grossesses peuvent se finir très très mal. Donc les gris doivent monter la garde la nuit."
"Mais... Mais... Mais tu es blessée!"
"Ca m'empêche pas de monter la garde. Et t'en fais pas, j'ai demandé à une copine de m'accompagner."
"Mais c'est hors de question qu..."
"Micha! Je suis adulte, majeure et élue. Tu peux rien m'interdire."
"Mais.."
"Et je vais me changer la maintenant."
"Tu..."
"N'oserais pas devant toi? Tu paris?"
Et la grise déboutonna sans complexe le haut de sa chemise avant de la faire passer par-dessus sa tête. Au même instant, la porte claquait derrière son frère. L'Elue de Bethaniel éclata d'un grand rire franc. Un jour, son frère se ferais au fait de ne plus avoir d'autorité sur elle. En attendant elle rigolait bien.
Elle grimaça soudain. Rinnerl, jusque-là discrète leva précipitamment la tête:
Ça va?
Oui oui, juste un faux mouvement, ma puce.
Ouais, rigoler, peut-être, mais pas quand elle bougeait le bras, apparemment. Rapidement, elle finit de mettre un viel uniforme usé (elle passait la nuit dans une écurie), natta ses cheveux avant de les relever, et remplaça ses encombrantes boucles d'oreilles par des clous d'or. Elle attrapa un jeu de carte, son manteau le plus chaud et sortit, Rinnerl sur les talons, direction l'écurie des compagnons.
Elle arriva et salua Wyet, la compagnonne enceinte jusqu’aux naseaux. En attendant Irmingarde, elle commença une patience. Rinnerl, elle, s'amusait à chasser les rats, attirés par le grain.
[Minaaa?]