Le problème, c'est que Mina avait peur. Peur de constater qu'autant de personne avaient confiance en elle. Peut-être pensaient-ils que la confiance était contagieuse et qu'elle-même finirait par être consciente de sa valeur? Possible. Mais effrayant. Ce n'était pas leur confiance qui les sauverai, à la guerre.
Mais mieux valait discuter gastronomie que combat, si on voulait garder un ton léger pour la soirée.
Irmingarde jeta un oeil à la tarte aux pommes et soupira:
"Comme c'est dommage que les problèmes diplomatiques ne puissent tous être réglés par un bon dessert, les choses seraient tellement plus simple... Bon, je t'accorde qu'en l'absence totale de conflit armé, tu aurais moins de travail. Mais tu passerais beaucoup plus de temps en cuisine. Et nous, Hérauts, ne serions plus les flèches du Roi mais ses tournebroches..."
Hey, mais c'est que l'alcool donnerait presque un semblant d'humour à la jeune femme! Même s'il n'était pas certain qu'elle s'en rende compte.
Elle enchaîna sur le cas de Wylan:
"Si il y a bien une chose que le Héraut Jalena m'a appris, c'est que chaque Don a son revers. Risquer d'oublier qui l'on est... mieux vaut bien se connaître."
Seconde surprise de la soirée, mais c'est qu'il semblerai que les cours de Jalena portent leurs fruits! Si celle-ci le savait, cela lui ferait plaisir. Elle lui demanderai sûrement d'où lui venait cette soudaine clairvoyance. Et Irmingarde éviterai à tout prix de lui dire que c'était Beltran qui la poussait à réfléchir.
Enfin, pendant les minutes qui suivirent, il n'y eu pas tellement besoin de réfléchir, juste d'essayer d'éviter qu'une énième catastrophe se rajoute à celles qui venaient d'arriver.
Puis Beltran lui parla de sa vie sentimentale de ces dernières années. Ce qu'elle pouvait être idiote dans ses questions, il fallait vraiment qu'elle apprenne à ne pas demander tout ce qui lui passait par la tête! La voilà qui rougissait, encore, en l'entendant parler de ses compagnes d'un soir. Elle ne pouvait pas s'empêcher d'imaginer. De l'imaginer, lui, et une autre femme. Ca provoquait en elle quelque chose qui ressemblait à de la jalousie.
Et elle se sentait toujours mal à l'aise par rapport à la mère de Liane. Et de Liane tout court. Beltran était papa. Leur différence d'âge faisait qu'il avait eu une vie bien remplie avant de la connaître. Là, ce n'était pas de la jalousie, elle n'y pouvait rien, et elle était heureuse pour lui qu'il ait un enfant, qu'il connaisse la joie (et les soucis) de la paternité. Mais elle se sentait dépassée, un peu déprimée. Qu'est-ce qu'une jeune femme de son âge, coincée, ingénue, naïve, pourrait espérer lui apporter? Avec quoi arriverait-elle à le retenir? Et pourquoi nom d'un Kyree pensait-elle à le retenir tout court d'ailleurs?
Quand il lui expliqua les raisons de son habituelle discrétion, elle se sentit au départ vexée. Elle se dit que peut-être, s'il se permettait de montrer à tout le monde l'importance qu'elle avait pour lui, c'est qu'il se moquait qu'il lui arrive quoique ce soit à cause de ça, que finalement, elle n'était pas si importante, qu'elle se faisait des illusions. Puis elle se mit une baffe mentale de penser une telle chose de lui. C'était tellement improbable venant de sa part. La seule explication, c'est qu'il avait été assez ému pour en oublier sa prudence coutumière. Finalement, c'était un constat plutôt plaisant, au milieu de tout ce maelstrom de sentiments et de sensations.
Elle abonda dans son sens, en restant mesurée et réaliste.
"Il ne servirait à rien d'essayer de faire croire aux autres que tu ne représentes rien pour moi, pas après la scène de ton retour"
Elle aurait pu tourner la phrase autrement. Lui dire "que je ne représente rien pour toi" au lieu du contraire. Mais tout d'abord, ça aurait été incroyablement prétentieux de sa part, et ensuite, Beltran savait qu'il était important à ses yeux, ou si ce n'était pas le cas, il fallait qu'il le comprenne. Elle s'était déplacée, pour l'accueillir. La Grise rabat-joie et terne de seconde année avait fait le chemin pour venir le voir, et avait montré à tout le monde, dans sa hâte à quitter la place une fois qu'elle l'avait vu, qu'elle se fichait plus ou moins des autres, en tout cas sur un plan personnel. Finalement, elle avait été plus bavarde par son comportement que si elle avait hurlé la vérité devant tout le monde. Et il serait difficile à tous les deux de faire comme si rien n'était arrivé. Les gens avaient de la mémoire, surtout en ce qui concernait les potins sentimentaux. Isabeau le lui avait bien appris.
"Je suis une très mauvaise actrice, personne ne me croirait, même si je tiens à ma vie privée. Aux curieux qui me poseront des questions, je ne donnerai pas de réponse, ça ne les regarde pas. Ou alors juste une partie de la vérité, que tu es mon ami. Et que quand un ami revient de la frontière, on va l’accueillir. Qu'ils fassent les conclusions qu'ils veulent! Continuons juste, pendant le temps dont nous disposons, entre tes réunions et mes cours, à nous voir loin des regards curieux. Pour notre tranquillité, et notre sécurité. Personne n'irait s'en prendre à toi dans le but de me faire du mal, je n'ai aucun poids dans la guerre imminente, aucune importance, personne ne sait qui je suis, et c'est très bien ainsi. En revanche, même si je ne peux évidemment pas me mettre au même niveau que Liane, s'il doit m'arriver quelque chose, autant que ce soit en combattant pour Valdemar - ce qui risque de m'arriver - plutôt que pour t'atteindre toi, le Capitaine de la Garde. Entendu?"
C'était la soirée des marchés de toute évidence.
Et c'était la sa promesse de se voir encore, après ce soir. Vu son expression consternée devant sa maladresse et sa peur palpable qu'elle le repousse, c'était là une confession qu'elle faisait de bon cœur. Outre le fait que le revoir encore, après ce soir, lui faisait plaisir.
Elle n'eut pas vraiment le temps de s'opposer au prêt de vêtement à lui pour finir la soirée au sec. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, elle se retrouva avec sa chemise dans les mains et il la prévint qu'il la laissait seule se changer.
Et elle se retrouva seule, trempée, la chemise d'un homme dans la main.
Mentalement, elle se félicita de s'être coupée de son Compagnon pour la soirée. Ezarell en aurait rit pendant des heures! Son élue, se demandant s'il était vraiment correct de se dévêtir dans le salon d'un homme avec qui elle dînait quelques minutes plus tôt.
Oh et puis zut, au diable la pudibonderie pendant au moins quelques minutes! En dépit de l'accident du pichet d'eau et de l'arrivée du Maréchal, elle passait une bonne soirée. Et Mina savait que Beltran ne profiterait pas de la situation.
Quand il lui demanda s'il pouvait revenir, elle n'avait toujours rien fait. Elle paniqua un peu:
"Une minute!"
Elle délaça son corsage avec difficulté, s'emmêlant les doigts dans les rubans. Hésitante, elle retira sa propre chemise - qui était mouillée aussi en dépit de ce qu'elle avait cu - et se retrouva à moitié nue à côté de la table qui soutenait leur repas. La situation lui arracha un rire incrédule. Si on lui avait dit ça le jour de son arrivée à Haven! Elle, en sous-vêtement dans les appartements d'un homme! Pire, si c'est ce moment qu'avait choisi le Méréchal pour débarquer! Oh par les Dieux! Elle en serait morte de honte!
Elle enfila la chemise de Beltran et soupira. Ce vêtement était infiniment plus confortable que sa chemise de qualité bien moindre. Et ça lui faisait quelque chose, au creux du ventre, de savoir qu'elle portait un vêtement à lui. C'était plutôt très intime. Elle avait vu un certain nombre de ses condisciples traverser les couloirs du Collegium, tard le soir, dans des vêtements qui n'étaient pas les leurs. Elle n'était pas dans la même situation, mais forcément, elle y pensait, son imagination, cette traitresse, lui renvoyait certaines images, certains possibles. Inenvisageable pour le moment, cela dit, ça lui faisait quelque chose quand même.
Irmingarde secoua la tête pour chasser ce genre de pensée et ceintura la chemise sur sa taille. Un coup d’œil dans un miroir proche lui renvoya son image. C'est sûr, c'était moins apprêté que la tenue dans laquelle elle était arrivée, mais après tout, ce n'est pas comme si c'était important. La chemise était bien trop grande pour elle et arrivait jusqu'à ses genoux, alors elle en coinça quelques centimètres sous la ceinture en faisant des plis. Au niveau des épaules, vu la carrure de Beltran comparé à la sienne, c'était la grande débandade, et même en l'attachant jusqu'en haut, le vêtement était assez large pour qu'elle se retrouve avec un décolleté plus profond que celui qu'elle avait en arrivant. Il fallait choisir que dévoiler le plus, et en bougeant la chemise et la ceinture, son choix se porta sur une partie de son épaule gauche plutôt que la naissance de sa poitrine.
Elle posa ses vêtements mouillés sur le dos d'une chaise en attendant qu'elle sache où les mettre à sécher.
"Tu peux revenir Beltran."
En l'attendant, elle commença à débarrasser la vaisselle de leur entrée sans trop savoir où la poser ensuite.