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[Barrn] Dépôt de plaintes

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Conteur:
Milieu de la 4e décade d'été 1481 - Salon de réception de l'ambassadeur de Valdemar

Aénor occupait pour la journée le rôle de secrétaire auprès de Barrn, tandis que Raimon prenait des airs de garde du corps. En effet, elle avait confié à Isabeau et à Fiersaule la délicate mission de ramener dans leur camp certains non-humains égarés. Du coup, le kyree avait besoin d’un autre secrétaire. En effet, il devait recevoir un groupe de marchands qui rencontraient des problèmes à Iftel.

Être ambassadeur, c’était à la fois représenter son pays, mais aussi les ressortissants dudit pays. Or il semblait que les valdemarans rencontraient des difficultés croissantes à Iftel. Cela renforçait l’inquiétude de Valdemar, mais aussi de la faction pro-ouverture. Les marchands que Barrn devait rencontrer étaient victimes d’insultes, parfois de vols, mais surtout de discriminations flagrantes. Au marché, on leur accordait les étals les moins bien situés. Dans les accords commerciaux, ils étaient systématiquement désavantagés par rapport aux marchands locaux. L’ancien ambassadeur s’était révélé incapable de mettre fin à cet état de fait. Ils espéraient donc que le nouveau serait capable de trouver des solutions.

Aénor espérait que leur mission mettrait fin à ce climat délétère entre ifteliens et étrangers, valdemarans en tête. En effet, elle et Barrn avaient discuté avec les ambassadeurs d’autres nations, et il semblait que seuls les ressortissants de Rethwellan trouvaient grâce aux yeux des ifteliens. Sans doute parce que la faction qui organisait un coup d’État à Ka’Ven’Ush’Ta était liée d’une manière ou d’une autre à ceux qui avaient pris le pouvoir à Petras.

Aénor rappela l’essentiel à Barrn.

« Rappelez-vous, pour eux, vous êtes le vrai ambassadeur. Alors, agissez comme tel. Écoutez attentivement, commentez les faits, posez-leur des questions, mais ne promettez rien. Proposez-leur par exemple d’envoyer Raimon les accompagner pour leur prochaine transaction, afin de servir de témoin. Ou Isabeau d’ailleurs. Une femme sera peut-être moins perçue comme un risque. Je suis certaine qu’il y a beaucoup à apprendre de ces hommes. Ils sont la preuve que l’emprise de cette faction opposée est très forte déjà. »

À peine finissait-elle de parler qu’un serviteur entra dans le salon de réception et annonça l’arrivée de la délégation des marchands valdemarans. Aénor alla s’installer en retrait de Barrn, une tablette de cire en équilibre sur les genoux. Puis la porte s’ouvrit à nouveau et trois hommes pénétrèrent dans le salon.

« Monsieur l’ambassadeur, je suis le marchand Fidus, membre du cercle de la guilde des marchands de Haven. Voici Bratan et Ridon, aussi membres de la guilde.»

Barrn:
Barrn, assit droit comme la justice, écoutait attentivement les paroles d’Aenor. Il tentait de retenir tout ce qu’il pouvait afin d’éviter de faire un faux pas. Sa queue, sagement enroulée autour de ses pattes, trahissait ses craintes. Malgré tous ses efforts, elle s’agitait nerveusement. Il n’avait pas l’habitude de ces situations, il n’avait jamais eu à gérer des relations où un faux pas pouvait mettre son pays dans une mauvaise position. Chacune de ses apparitions publiques, depuis une quinzaine de jours, était une épreuve, et Barrn commençait à peine à trouver ses marques.

A peine les recommandations furent-elles terminées que les marchands entraient pour la mise en pratique. Barrn les salua d’un mouvement de tête.

Soyez les bienvenus, messires.

*au moins quelqu’un pour le leur souhaiter sincèrement* songea le kyree avec amertume.

La situation dans laquelle ils se trouvaient était délicate. Bien sûr, leur fausse ambassade était là pour régler le problème, ou au moins tenter d’y remédier, mais les marchands ne se doutaient pas des chemins qu’ils emprunteraient pour ça.

On m’a parlé de certaines difficultés que vous rencontrez. Voulez-vous bien m’en parler plus en détail ?

Après tout, ils étaient là pour ça, s’ils ne le faisaient pas, ils pouvaient tout aussi bien faire demi-tour. Barrn quant à lui se remémorait : écouter, commenter, question, mais surtout ne rien promettre.

Conteur:
Fidus acquiesça et commença à expliquer les problèmes qu'il avait rencontrés.

«Ça a commencé à la frontière déjà. Les gardes, ils étaient presque trop zélés, ils ont regardé notre chargement en détail. Ça a pris beaucoup de temps. On aurait dit qu'ils cherchaient une raison de pas nous laisser entrer. J'ai fini par demander s'ils avaient une raison d'être aussi prudents, si quelque chose était arrivé. Et là, ils nous ont enfin laissé passer, sans rien dire de plus.»

«J'ai eu le même problème» commenta Bratan.

Fidus reprit la parole.

«Et ici, dans la capitale, quand on est arrivé pour vendre nos produits, on a eu toutes les peines du monde à avoir un étal décent. Par contre, je n'ai eu aucun problème à écouler mes stocks en gros, auprès d'autres marchands. Le problème, c'est vraiment au niveau des responsables du marché, qui eux ont tout fait pour nous empêcher de vendre. Ils ont d'ailleurs assez bien réussi.»

Riton intervint.

«À nous, ils ont tenté de nous imposer une taxe totalement disproportionnée. Heureusement, j'ai quelques amis dans le coin qui m'ont soutenu et finalement, ils ont renoncé à nous taxer. Mais j'ai bien senti que le but c'était de nous faire repartir.»

Puis Bratan ajouta:

«Sinon, moi j'ai remarqué que les soldats tournent souvent autour de mon stand. Comme s'ils cherchaient un prétexte pour nous arrêter. Alors que les clients, eux, ils se comportent comme d'habitude. J'ai pas senti d'hostilité de leur part.»

Fidus acquiesça et continua.

«Et ils sont toujours derrière nous. Si on ouvre trop tôt, ou trop tard, si une caisse dépasse de notre étal, etc., les responsables du marché nous tombent dessus.» Il soupira. «Mais on est pas les seuls. Les Hardornais aussi ils ont des problèmes.»

Aénor prenait des notes sur sa tablette et attendit les commentaires de Barrn.

Barrn:
Le kyree écouta attentivement les marchands sans les interrompre. Il prenait note mentalement de chaque détail, comme il avait l'habitude de le faire grâce à son excellente mémoire. Les problèmes venaient des forces de l'ordre du pays. Manifestement, la population n'avait rien contre les valdemarans, les ifteliens leur faisaient bon accueil tandis que les autorités jouaient sur la frontière entre le zèle et l'accomplissement assidu de la tâche qui leur revenait. C'était là une méthode mesquine qui pourtant fonctionnait depuis des temps immémoriaux pour faire comprendre qu'on ne voulait pas d'une peuplade quelque part. Une méthode insidieuse contre laquelle il était plus difficile d'agir, car il était impossible de prouver quoi que ce soit. D'ailleurs, il eut été facile à Barrn de ne pas ajouter foi aux soupçons des marchands, mais le kyree savait bien que ses interlocuteurs ne se leurraient pas. La dernière précision, Barrn ne savait comment la considérer. Il ne pouvait guère se réjouir, mais que le problème se répéta également pour les hardornais montrait qu'il ne s'agissait pas là d'une attaque personnelle contre Valdemar mais bel et bien contre les étrangers en général. Iftel avait été longtemps un pays isolé, l'on pouvait aisément comprendre les difficultés que le gouvernement pouvait rencontrer, néanmoins, cela dépassait nettement la diplomatie, ici il s'agissait clairement de xénophobie.

J'entends vos doléances, et je puis vous garantir que tout cela ne sera pas sans conséquence. Néanmoins, je ne suis pas en mesure de vous promettre que la situation s'arrangera bientôt. Si nous allons faire notre possible pour que cette situation ne perdure pas, je ne saurais trop vous recommander d'ici là de faire montre de prudence. Et dans l'immédiat, nous pouvons faire en sorte que la situation ne s'envenime pas.

La proposition faite par Aenor n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd. A entendre le récit des marchands, le kyree approuvait largement l'emploi d'un Gris pour faire valoir la présence de Valdemar. C'est pourquoi il ajouta :

Un élève Héraut se joindra à vous pour vos prochaines transactions. Il veillera à ce que tout se passe au mieux dans les circonstances actuelles.

Le bibliothécaire se prenait presque au jeu de la comédie. Aux yeux de tous il était certes ambassadeur mais dans les faits, jamais il n'avait eu à assumer une telle responsabilité, et rien ne l'y avait prédisposé. Pourtant, il aurait pu y croire. Presque.

Sur un plus long terme, cette affaire sera réglée en d'autres lieux, sachez seulement que vous ne serez pas oubliés.

D'un regard grave, il appuya ses propos auprès des marchands. Puis demanda après une courte pause :

Voyez-vous quelque chose à ajouter ?

Conteur:
Les trois marchands buvaient les paroles de Barrn. Ils avaient besoin d'entendre que quelqu'un faisait quelque chose pour eux. Ils avaient connu tant d'ennuis ces derniers temps.

Fidus eut cependant l'air un peu déçu quand l'ambassadeur parla d'envoyer un élève-Héraut.

«Un élève Héraut seulement?» Il eut l'air gêné.«Je veux dire, c'est déjà bien, un élève Héraut, mais un vrai Héraut, ça aurait été plus impressionnant.»

Bratan sembla hésiter quelques instants avant de prendre la parole.

«Et puis... Il m'est arrivé un drôle de truc l'autre jour. À Valdemar, j'aurais pensé que quelqu'un m'a fait une mauvaise blague, mais ici... ici c'est trop bizarre. J'avais un lot de magnifiques placets brodés avec des scènes champêtres. Et, l'autre jour, alors que je les montrais à une cliente, j'ai réalisé que les scènes avaient été changées. Je les ai pris avec moi pour vous montrer.»

Il sortit d'un sac de jute quelques placets brodés de couleurs vives.

«Là, regardez.»

Aénor s'approcha pour jeter un coup d'œil. Sur la première pièce, on pouvait voir une jolie scène champêtre, avec au premier plan une jolie vachère et en arrière-plan des... des monstres? Là où on aurait attendu des vaches se trouvaient un troupeau de créatures modifiées du genre qu'on pouvait trouver dans les Pélagirs. Elle eut un mouvement de recul inconscient quand elle crut voir une de ses horreurs tourner ses yeux fous vers elle.

«Quelle horreur! Ils sont tous comme ça?»

«Regardez, dame Héraut.»

Il montra la seconde broderie. Sur celle-ci, des ouvriers travaillaient dans des champs et en arrière-plan, un moulin se détachait sur le bleu du ciel. Mais dans les champs en arrière-plan, les plantes n'étaient plus d'une espèce normal. C'était des épis d'un jaune maladif, tordus, presque menaçant. Et les pales du moulin se révélaient être déchirées.

Il sortit encore un placet. Sur celle-ci, la modification sautait aux yeux. La pièce aurait dû représenter la famille royale. On aurait dû y voir Arthon, entouré de sa femme et de son fils. Mais à la place d'Arthon se tenait un homme aux traits flous, vêtu d'une robe de mage noire. Et là où aurait dû se trouver une Saskia rayonnante, on pouvait voir un Héraut femme, non identifié clairement, qui semblait tenue en laisse par le mage au centre.

«Je vous jure qu'à Valdemar, ils étaient parfaitement normaux ces placets! Et personne n'aurait osé broder des horreurs pareilles. On a tous beaucoup de respect pour les Hérauts, et pour le Roi.»

Fidus ajouta:
«Le pire, c'est le dernier. À la base, c'est un Héraut avec son Compagnon. Et là, enfle... vous voyez...»

Aénor se saisit du dernier placet. Il lui fallut toute sa discipline pour ne pas montrer son dégoût. À nouveau, le thème de base était un sujet habituel de l'art de Valdemar: un Héraut et son Compagnon, dans une verte campagne. Or là, le Héraut et son Compagnon mâle étaient intimement liés. Trop intimement.

«Objectivement, c'est sans doute le meilleur. La personne qui a conçu ça parvient à critiquer deux aspects de notre culture. Les Hérauts et notre ouverture quant aux orientations sexuelles...»

Elle ne commenta pas la caricature de la famille royale, elle avait parfaitement compris le message. Ces broderies malsaines s'apparentaient presque à une déclaration d'intention, voire à une déclaration de guerre. Quant à l'ennemi, il ne faisait aucun doute pour Aénor.

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