- Bon sang...
« La place avec la fontaine en forme de ronde de poissons ».
La voix de Thalyana résonnait encore dans sa tête alors qu'il se déplaçait à travers la ville.
Mais pourquoi faire ça maintenant ? Quelle idée, pardon... Il aurait fallu faire ça bien avant la guerre, dès le début de leur histoire, ou bien après la guerre, quand ils auraient tous le temps de penser à ça. Mais là il y avait vraisemblablement comme un léger loupé dans le timing.
Et en parlant de souci d'horlogerie, Kalaïd était à la bourre.
Le royaume avait un pied dans la tombe et l'autre qui glissait vers le champ de bataille, mais lui devait aller rencontrer ses beaux parents. Aranel venait de disparaître, remplacée dans la minute par un inconnu de ce qu'on en disait, les troupes n'étaient pas au mieux de leur moral de ce fait et les hommes avaient encore beaucoup à voir et bien des entraînements à vivre avant les vrais combats. Ceux-ci avaient déjà plus ou moins commencé d'ailleurs, les rapports faisaient état d'escarmouches plus ou moins dures au niveau des frontières.
Et qui était en charge de préparer les hommes et de mettre au point les stratégies d'aguerrissement qui permettraient de rendre valables l'une ou l'autre stratégie qu'il plairait au Roi de mettre en œuvre sur le terrain ? Bin celui qui marchait dans la ville en direction d'un rendez-vous de famille bien sur ! Il n'avait même plus le temps de toucher à une lame ces derniers temps. Il avait fière allure le soldat de métier qui allait bientôt oublier le poids même de son épée...
- Inspire, compte quatre, expire, compte quatre...marmonna-t-il entre ses dents avant d'arriver sur une énième petite place.
Il savait que cela faisait plaisir à Thalyana, il ne devait pas gâcher ses retrouvailles avec ses parents. Malgré le fait qu'ils n'en aient jamais vraiment parlé ensemble, Kalaïd se doutait que cela faisait des lustres qu'ils ne s'étaient pas vus. D'un coup il réalisa la situation. Des parents n'avaient pas vu leur fille unique depuis des décades, ils apprenaient par une lettre qu'elle était enceinte, d'un type dont ils n'ont jamais entendu parler, qu'elle a rencontré il y a bien peu de temps finalement, et qu'ils ne se sont même pas fiancés. Ça faisait beaucoup là quand même...
*Tiens c'est vrai ça... Pourquoi on ne s'est pas fiancés en fait ?*
D'un coup le jeune Lieutenant réalisait tout un tas de choses sur sa vie privée, dont il n'avait guère eu le loisir de s'inquiéter ces derniers temps.
Au fond de lui, de multiples émotions se croisaient. Et il n'aimait pas ça. Il aimait quand c'était plus simple. Aussi simple que l'amour profond qu'il éprouvait pour Thalyana. Et là ça ne l'était pas. Il voyait déjà l'état psychologique des parents de son aimée. Pourvu seulement qu'ils soient moins bourrins que la moyenne sinon les relations allaient partir sur de bien mauvaises bases !
Il était tellement paumé dans ses pensées qu'il ne remarqua pas la troupe qui s'arrêta juste devant lui, en plein milieu du passage. Donc sur sa route. Alors qu'il était déjà en retard. Il ne manquait plus que ça...
- Mais qu'est-ce que vous foutez en plein milieu les gars là, vous voyez pas qu'on peut plus passer ? Leur demanda-t-il d'un ton où l'agacement montait rapidement.
- Notre ronde est terminée mon Lieutenant, qu'est-ce qu'on...
- Hop là ! De quoi ? J'ai sans doute mal entendu là... Votre ronde est quoi ?! Parce que vous vous imaginez qu'elle peut s'arrêter là votre ronde peut-être ? En plein milieu d'une place ? Et vous faites quoi après du coup, vous rompez les rangs et chacun rentre chez soi ou il y a un début de plan quand même ? Votre ronde va se terminer comme toutes les autres bande d'ahuris, à votre point de départ, c'est pour ça qu'on appelle ça une ronde bon sang ! Allez barrez-vous !! Déblayez de là avant de prendre mon pieds où vous savez bande de bleus ! Allez !!
… En fait c'était peut-être du stress tout simplement. Après tout c'était la première fois qu'il allait rencontrer les parents d'une jeune femme. Une jeune femme... Non, Thalyana n'était pas « une jeune femme ». C'était « La » jeune femme, « Sa » jeune femme... Sa femme en fait... Kalaïd eut un léger sourire à cette pensée. Sa femme... Oui c'était définitivement ce que Thaly...
- … Mais vous êtes encore là les comiques ?! Réalisa-t-il alors que la troupe était toujours pétrifiée au garde à vous face à lui. Barrez-vous où je vous fais faire des tours de place en rond devant tout le monde et au pas de gymnastique !
Se retournant vers la place alors que la troupe quittait les lieux bien conscient de l'état d'agacement du Lieutenant, celui-ci constata que tout le monde s'était figé en le regardant. Il faut dire qu'il avait un tout petit peu hurlé.
- Quoi ?! Oui bin ça va c'est rien, allez continuez de machiner ! J'ai pas des ailes de dragons non ?! Alors arrêtez de me fixer comme si j'étais un cyclope aux yeux vairons et recommencez à faire vos trucs là !
Il repartit à grands pas. Ce n'était pas la bonne place, maintenant il était vraiment à la bourre. Et passablement agacé.
*Inspire, compte quatre, expire, compte quatre...*
- Ah bah les voilà les poissons..., constata-t-il enfin après plusieurs minutes de marche forcée avec un certain soulagement.
Les cheveux dorés qui malgré le coin ombragé où ils étaient illuminaient ce coin là bas étaient ceux de sa dulcinée. Même les yeux fermés il savait que c'était elle de toute façon. Immédiatement il se sentit apaisé, toute animosité retomba instantanément. Qu'importe ce qui pouvait arriver de toute façon, seule Thalyana et leur enfant à venir comptaient. La force de leur Lien était plus puissante que tout ce que Kalaïd avait pu connaître jusqu'alors. Pour lui c'était la raison unique de toutes les batailles qu'il avait pu mener depuis que cette particularité de leur destin commun leur avait été révélée.
Il s'approcha du trio. Il ne fallait pas être bien malin pour comprendre que les deux personnes qui faisaient face à son aimée étaient ses parents. Visiblement son père n'avait pas l'air très heureux de leur situation, Kalaïd ayant entendu sa dernière phrase juste avant d'arriver. Il posa doucement sa main dans le haut du dos de Thalyana afin d'établir un contact physique avec elle. C'était presque vital pour lui lorsqu'il était près d'elle. Il ne savait pas comment il avait bien pu se passer de cette chaleur sous sa paume pendant ces mois à préparer la guerre...
- Bonjour, bienvenue à Haven, je suis le Lieutenant Kalaïd, grade qui malheureusement peut en partie expliquer mon retard mais ne saurait l'excuser bien sûr...
Ce disant il adressa un courtois signe de tête ainsi qu'un discret sourire à la mère de Thalyana tandis qu'il tendait franchement sa main dégantée à son père.
- ...Deux mots donc ?