: C'est sûr que c'est toujours plus facile d'en faire rien qu'à sa tête. : Il lui fit un clin d'œil. : Moi aussi je n'aime pas obéir aux règles.:
Mais il obéissait quand même à quelques règles essentielles, dont la plus importante était "ne pas faire le mal", le mal pouvant être défini par tout acte qui était motivé uniquement par l'égoïsme et qui risquait de faire souffrir les gens autour de lui. Bien évidemment, il était parfois obligé de faire le mal, pour se défendre ou quand son boulot le demandait. Mais il évitait autant que possible d'impliquer des gens innocents. C'était la base de l'éthique la plus élémentaire.
Cette base, la fillette devait encore l'apprendre, car malgré les efforts de la kestra'chern, elle semblait ne pas comprendre pourquoi elle devrait s'embarrasser d'autant de précautions.
: Oui tu peux.: Il lui fit un sourire engageant avant de reprendre d'un ton plus sérieux.: Il faut que tu comprennes quelque chose Liane. Je suis sûre que Pluiechantante te l'a déjà dit, mais c'est sans doute la seule à l'avoir fait, car les autres sont sûrs que tu es encore petite. Il y a des règles, dans la vie, qui sont vraiment importantes. Il y en a d'autres qui le sont beaucoup moins. Je ne vais pas partir dans une grande explication d'éthique. Je vais être simple. Si désobéir à une règle peut faire du mal à quelqu'un d'autre que toi ou à un animal, c'est que c'est une règle importante. Donc une règle qu'il faut suivre, tu ne dois pas désobéir. Même si c'est moins drôle et que tu as pas envie. Je vais prendre plusieurs exemples. Comme ça tu comprendras mieux. Si tu refuses d'aller dormir un soir, que tu fais la folle dans ta chambre, la seule conséquence c'est que tu seras fatiguée le lendemain matin. Ça n'est pas grave, et tu seras la seule que ça concerne. C'est donc une règle pas importante. Si tu refuses de mettre un pull, tu auras froid. Mais tu seras la seule à en souffrir. C'est pas important non plus. Par contre, si tu donnes mal à la tête à quelqu'un, ce n'est pas toi que ça concerne. Tu fais du mal à la personne. Or, c'est grave de faire du mal. Donc là, non, tu ne dois pas désobéir. Tu te dis peut-être qu'un mal de tête ce n'est pas grave, que ça passe vite. Mais imagine: ta nounou a très mal à la tête parce que tu lui as donné mal à la tête. Ensuite, ta nounou doit s'occuper du feu. Comme ta nounou a mal à la tête, elle est un peu maladroite, elle a du mal à se concentrer. La nounou met mal une bûche. Elle n'a pas remarqué, elle avait mal à la tête. À cause de cela, une braise saute hors de l'âtre et met le feu au tissu de sa jupe. Elle est brûlée aux jambes. Si elle n'avait pas eu mal à la tête, ça ne serait pas arrivé. Tu comprends? Même si ça n'avait pas l'air grave, ça l'est devenu. Car tu as fait mal à quelqu'un, et que ce mal a provoqué un autre mal. Dernier exemple: plutôt que de parler à voix haute, tu décides de parler dans la tête de quelqu'un, un Gris dirons-nous, sans t'annoncer. Tu as l'impression que tu peux lui parler sans problème, mais en fait, tu dois quand même faire plus fort que d'habitude. Comme tu es très puissante, tu peux sans problème forcer le passage chez quelqu'un qui a un mauvais bouclier. En essayant de lui parler dans demander la permission, tu blesses son esprit. Après ce Gris ne peut plus parler avec son Compagnon pendant plusieurs jours... tu as fait mal au Gris, mais à son Compagnon aussi. Tu comprends? Tu as fait mal juste parce que tu as été paresseuse et que tu n'as pas pris le temps de demander la permission.:
Tout en parlant, Wylan ne pouvait s'empêcher d'être ébahi par lui-même. Depuis quand donnait-il des sermons aux enfants? Surtout d'une telle complexité? Il espérait que la fillette comprendrait l'essentiel de son discours, à savoir que quoi qu'elle fasse, elle ne devait pas faire de mal aux gens autour d'elle juste par égoïsme. Il priait aussi pour qu'elle ne se mette pas à pleurer parce qu'il l'avait effrayée. Il avait volontairement pris des exemples tirés du quotidien de la fillette: c'était des choses qu'elle faisait fréquemment. Il devait donc en théorie lui être plus facile de les comprendre.
: Mais avant tu ne savais pas. Ne pas savoir, ce n'est pas un crime. Ce n'est pas être méchant. Mais maintenant, tu sais. Donc si tu désobéis, tu n'as pas d'excuse, et tu le fais en comprenant que tu fais du mal. :
C'était un discours déjà difficile à appréhender pour un pré-ado, alors pour une gamine de quatre ans... Mais Wylan était persuadé que les enfants étaient beaucoup plus intelligents que ce que pensaient les adultes, et qu'il n'y avait aucune raison qu'ils ne comprennent pas les choses, si elles étaient expliquées avec des mots et des exemples de leur quotidien.
Pluiechantante regardait la scène silencieuse comme si elle pouvait réellement entendre ce qui se disait. La petite avait-elle fini par forcer un bief chez la Kaled'a'in? Tous les Tayledras possédaient le don de Paroles Silencieuses, ne serait-ce que pour converser avec leur oiseau lige. Peut-être ce Don était-il déjà présent à l'époque où ils ne faisaient qu'un avec les Kaled'a'in?
: /Kyra/ C'est possible, tu crois? :
: Eh bien... nous le faisons pour nos Liés, quand ils ont un Don potentiel. Ça ne prend guère de temps.:
:/Kyra/ Mais pour confirmer, il faudrait quelqu'un spécialisé là-dedans. :
Liane possédant énormément de Dons, il était tout à fait possible qu'elle ait "vu" quelque chose et qu'elle ait inconsciemment travaillé à le développer chez sa Tatie.
: Liane, avec qui est-ce le plus facile de parler dans la tête, moi ou Pluiechantante? :