Puisque la fillette n'avait manifestement pas envie qu'il l'aide, par fierté peut-être (on pouvait être petite et vouloir montrer qu'on savait se débrouiller malgré tout), Dunwyd recula ses bras secourables. Son regard suivit la course du casque, qui perdit un morceau au passage, ce dont il ne manqua rien.
« Ça va, ça va, on se calme… »
fit-il en reculant d'un pas devant les cris, paumes ouvertes en signe d'apaisement, et en s'apprêtant à ramasser la parcelle de corne détachée de l'objet. Il n'en eut cependant pas le temps, puisque la gamine l'attaqua comme une crevette en colère, toutes griffes dehors (ouais, ouais, ça a des griffes une crevette).
« Oh, on se calme, enfin ! C'est pas la peine de s'énerver comme ça, »
répéta-t-il en cherchant le regard de son agresseuse, comme les animaux font entre eux pour s'intimider. Telle n'était pourtant pas l'intention du pacifique Dunwyd, peut-être pas le plus doué dans l'art du combat. Ce domaine n'avait jamais été celui de sa prédilection, mais il restait un apprenti mage avec trois années d'études derrière lui, et un jeune homme de 17 ans face à une fillette de 10. Sans chercher à lui faire particulièrement mal, mais sans l'épargner non plus (selon l'expression consacrée, c'était elle qui avait commencé), il la renvoya bouler un peu plus loin d'une vigoureuse bourrade aux épaules, et fit un grand pas pour s'écarter. Le temps qu'elle se relève, il allait pouvoir préparer une petite surprise, du moins l'espérait-il.
Dans ce grenier poussiéreux et non dérangé depuis des années, voire des générations, il n'eut pas trop de mal à trouver quelques araignées, et à les faire s'activer sur sa sollicitation magique. Bientôt, des toiles jaillirent entre un coffre et une étagère, barrant le passage de Sou. Elle pourrait certes forcer l'obstacle en mode bélier, mais a priori, personne n'aimait se retrouver couvert de fils gluants, et cet intermède suffirait pour que celui qu'elle avait choisi comme adversaire puisse aller et venir à sa guise, sans être gêné. Satisfait de son petit effet, et de ne pas avoir répondu à la violence aveugle par la même chose, stupide selon lui, le jeune homme sembla se désintéresser de la fillette, et s'en détourna pour ramasser le casque et son morceau de corne.
Sans se retourner, il passa dans la pièce suivante en lançant :
« Eh bien, puisque tu ne veux pas de moi, je m'en vais… »
Entre les deux parties du grenier, de nouvelles toiles d'araignée commencèrent à emplir l'ouverture. Oh, cela ne bloquerait pas non plus la gamine, mais Dunwyd espérait que l'expérience lui ôterait l'envie de recommencer tout de suite, ou du moins, qu'il disposerait d'un moment de tranquillité. Idéalement, elle retrouverait son calme dans ce laps de temps, mais il n'y comptait par vraiment, vue la violence dont elle avait fait preuve.
Il disparut donc un instant, et malgré la faim qui apparaissait déjà, refit usage de son don, grisé par sa réussite précédente, tout autant qu'attiré par la perspective d'apprendre encore et de réussir quelque chose d'un peu nouveau. Il se plongea d'abord dans la corne, matériau qu'il connaissait mal, pour en comprendre la structure, puis plus précisément, de part et d'autre de la cassure, sur les deux morceaux brisés. Lorsqu'il lui sembla avoir compris comment fonctionnait grossièrement ce fragment de matière issue d'animal, il passa à l'action, rapprochant précisément les deux morceaux de manière physique, puis travaillant magiquement sur les particules des deux parties. Peu à peu, il les rendit de nouveau solidaires, en commençant par le milieu (ce ne serait pas grave s'il faisait des pâtés dans l'intérieur), et en allant doucement vers l'extérieur, sur lequel il travailla plus finement.
Le résultat n'était pas parfait, mais de loin, on ne remarquait pas le léger défaut entourant la corne qui avait été brisée. Comme son estomac se mettait à protester plus bruyamment de son vide, et qu'il ressentait plus clairement l'effet de son énergie dilapidée pour la magie, Dunwyd se remit en contact avec les araignées, qui modifièrent à toute vitesse les points d'ancrage de leurs toiles, laissant libre le passage précédemment obstrué. Il put ainsi repasser dans la pièce où il avait laissé Sou, avec l'intention de ressortir définitivement pour aller faire une descente en cuisine.
L'air de rien, il posa le casque réparé sur un plateau bien en vue, et inspira un bon coup pour calmer excitation et appréhension, la première due à ses succès précédents et à la chasse au trésor, la seconde provenant de sa tête qui commençait à tourner. Il n'allait pas falloir qu'il traîne jusqu'aux cuisines : il avait utilisé son énergie sans trop faire attention, et maintenant, il espérait qu'il y parviendrait avant de s'effondrer. Le jeune homme préférait éviter de devoir inventer un mensonge pour expliquer son état…