Auteur Sujet: Chassé du placard  (Lu 1421 fois)

Yvelin

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  • Âge: 21 ans
Chassé du placard
« le: 26 avril 2020, 16:08:34 »
4e jour de la 4e décade d'Été 1485

Un messager était venu chercher Yvelin au Collegium, qui évidemment ne s'y trouvait pas. Il avait emprunté le logement d'un ami Barde parti chez un grand seigneur, loin de la ville. Il s'agissait en fait d'une simple chambre de bonne, mais le dépouillement faisait merveille sur son inspiration. Liselle avait redirigé le messager qui s'était hâté de transmettre son message à Yvelin.
Son père réclamait de le voir en tout urgence. Inquiet, Yvelin avait à peine pris le temps de ranger ses instruments avant de se précipiter au moulin familial. La nuit tombait, et il avait dû prendre garde à ne pas se tordre une cheville sur les pavés. Pendant le trajet, il avait imaginé le pire. Sa mère blessée, mourante peut-être... sa sœur gravement malade...
Là-bas, il trouva son père qui l'attendait, visiblement furieux, une lettre à la main. Sa mère se tenait un peu en retrait, le visage rendu pâle par l'inquiétude.

«Je voudrais que tu m'expliques ceci, Yvelin!»

Il lui tendit la missive d'une main rageuse. Yvelin la saisit d'une main tremblante et la lut.

Citer
Monsieur,
il m'a semblé être de mon devoir de vous avertir des fréquentations peu convenables de votre fils. En effet, on l'a souvent vu à l'Arpenteur en compagnie d'hommes plus âgés. Afin de ne pas vous heurter plus que de nécessaire, je passerai sous silence le détail de son comportement, mais sachez qu'il ne laissait aucun doute quant à la nature des relations que votre fils entretient avec ces hommes.

Que la bénédiction de Scriptor soit sur vous. 

La missive n'était pas signée, mais malgré l'application qu'il avait mis à déguiser son écriture, Yvelin reconut la plume de Firen. Voilà donc sa vengeance. Il savait qu'il n'y échapperait pas, il ne pensait simplement pas qu'elle prendrait cette forme.

Paniqué, il leva sur son père un regard qui valait mille mots. Il avait les genoux tremblant et la gorge sèche. Tout, tout mais pas ça... Son pire cauchemar...

«Tu ne nies même pas!»

«Papa... je...»

«Mon propre fils! Un détraqué!»

«Maric... tu ne le laisses même pas répondre... calme-toi...»

«Me calmer? Mais regarde-le! On lit la vérité sur son visage!»

Yvelin déglutit, sentant les larmes monter. Il baissa la tête, penaud. Que dire? Que faire? Rien... absolument rien.

«Oui... c'est vrai. Même s'il n'y a eu qu'un seul homme, malgré ce que prétend cette lettre.»

«Et cet homme, t'a-t-il... forcé d'une quelconque manière? A-t-il utilisé son influence pour t'obliger à... te plier à ... ça?»

Maric était prêt à pardonner à son fils, on l'entendait à sa voix. Mais si seulement celui-ci lui donnait les réponses qu'il attendait, qu'il désirait.

«Non, papa. Il ne m'a pas forcé. Je...» De grosses larmes roulèrent sur ses joues. Yvelin leva la tête et affronta le regard de son père. Il devait bien ça à Micha, à l'amour qu'il lui portait. «Je l'aime.»

D'un geste rageur, Maric gifla son fils.

«Maric!»

Liliane se précipita sur son époux pour tenter de le calmer.

«Laisse-moi, Lili! Et toi...» Il pointa un doigt rageur sur Yvelin. «Récupère ce qui te reste d'affaires ici et déguerpis. Je ne veux plus te voir. À partir de cet instant je n'ai plus de fils.»

Yvelin lança à sa mère un regard où on pouvait lire toute l'étendue de sa souffrance. Elle qui avait protégé son secret était impuissante maintenant à empêcher le pire cauchemar d'Yvelin de se produire.

«Très bien.»

Sa voix était vide, sans vie. On n'y entendait plus les harmoniques chaleureuses qui en faisaient la beauté.

En silence, il rejoignit son ancienne chambre. Les larmes continuaient de rouler sur ses joues, mais il n'avait pas la force de pleurer plus fort. Il se sentait éteint, comme si quelque mage lui avait volé sa force vitale. Il entassa dans une corbeille tout ce qu'il désirait vraiment garder. Bien peu de choses, en définitive. Quelques livres, deux-trois bibelots, sa première flûte. Il récupéra aussi son set d'outils pour coudre le cuir, une ancienne plume, une cape d'hiver qu'il utilisa pour protéger le reste.

Il hissa le panier sur son dos grâce aux deux lanières dont il était pourvu et revint dans la pièce principale.

«Père, mère, je vous remercie de l'amour et de l'éducation que vous m'avez donnés. Que Scriptor vous garde.»

Il inclina brièvement la tête et sortit.

Sa mère le rattrapa dehors, à quelques mètres de la porte.

«Yvelin! Mon chéri... il ne pensait pas...»

«Si... et tu le sais bien.» Il la contempla. Sa natte était à moitié défaite et ses grands yeux bleus trahissaient son inquiétude. Ému, Yvelin la prit dans ses bras.«Ne t'inquiète pas, maman. Tout ira bien pour moi.»

«Oui... et tu as toujours ton amoureux, non?»

À ces mots, Yvelin éclata en sanglots. Surprise, sa mère le serra étroitement contre lui. Quel spectacle comique formaient-ils! Il faisait une tête au moins de plus qu'elle, et pourtant, il cherchait à plonger son visage dans les cheveux de sa mère, comme un petit enfant.

«Je ne sais même plus... peut-être... sans doute que non. J'ai été maladroit et idiot.» Un gros sanglot l'empêcha de continuer pendant un temps. «J'ai tout perdu...»

«Je suis désolée, mon grand.» Elle lui caressa les cheveux. «Mais, beau comme tu es, je suis certaine que tu trouveras quelqu'un pour réchauffer ton cœur...»

«Mais c'est Micha que je veux!» Il réalisa soudain qu'il se comportait comme un enfant. «Pardonne-moi.» Il renifla et se redressa. «Ne t'inquiète pas, maman. Je... ça va aller. Va plutôt prendre soin de papa... je sais qu'au fond, il souffre, lui aussi.»

Il la lâcha et s'écarta, un peu gêné de s'être tant laissé aller. Liliane le regarda d'un air inquiet, puis acquiesça. Elle lui caressa une dernière fois la joue avant de rentrer.

Yvelin se mit en route.

La route jusqu'au Collegium lui semblait interminable. Ses jambes étaient lourdes et il ne parvenait pas à s'arrêter de pleurer. Il n'arrivait plus à réfléchir. À quoi bon, de toute manière, rentrer au Collegium? Il n'était pas plus chez lui là-bas qu'ailleurs. Et qui, finalement, se soucierait de son absence? Liselle, peut-être. Mais elle était très occupée à enseigner les rudiments de la musique à quelques jeunes nobles bien choisies dont les familles préféraient une modeste ménestrelle à un Barde renommé, de peur de brader la précieuse réputation de leurs filles. Et même elle... elle avait sa vie, ses amoureux, ses rêves. Yvelin, finalement, ne ferait que la retenir, la brider.

Sans qu'il ne comprenne comment, ses pas l'amenèrent sur le Champ de Foire. Il ne restait plus trace du mariage, évidemment. Tout avait été démonté et le Champ était retourné à son état habituel. Yvelin regarda autour de lui. Quelques badauds se promenaient, mais dans l'ensemble, l'endroit était très calme. Il aperçut un kiosque vide et décida d'y faire une pause. Il laissa tomber son panier et s'assit à même le sol.

L'angoisse et la tristesse le submergèrent. Il pleura longuement, convulsivement d'abord, puis plus calmement, jusqu'à ce que le flot se tarisse et que ne subsiste que la douleur.

Il avait joué contre Firen, et il avait perdu. Sur toute la ligne.

Il rentrerait au Collegium. Là, il rassemblerait ses affaires et s'en irait de Haven. Il finirait d'écrire son œuvre ailleurs, loin de la douleur. Et s'il pouvait lui arriver quelque chose en route, s'il pouvait... oui... c'était l'unique solution.

Sur cette dernière pensée douloureuse, il s'endormit, la tête appuyée contre son panier.



Liselle, ménestrelle

Liselle, au Collegium, était morte d'inquiétude. Elle n'avait eu aucune nouvelle d'Yvelin, ce qui était inhabituel. Et suite à ce qui c'était passé au mariage, elle craignait plus que tout que Firen se venge.

Au milieu de la nuit, Yvelin n'était toujours pas reparu. Peut-être était-il directement retourné à sa planque, oubliant de l'avertir. Elle décida de s'y rendre pour avoir le cœur net. Elle trouva la porte fermée, mais non verrouillée. Elle pénétra à pas de loup, persuadée de trouver Yvelin endormi dans son lit. Mais la pièce était vide. Seule restait le message porté par le page. Elle le lut. Un problème familial, peut-être?

Son mauvais pressentiment ne la lâchait pas. Elle était persuadée que Firen avait fait quelque chose à son ami. L'air ravi qu'il avait arboré, ce matin-là, en la croisant, ne lui disait rien qui vaille. Elle décida de descendre jusque chez les parents d'Yvelin. Elle lancerait des cailloux à la fenêtre du Barde jusqu'à ce qu'il lui réponde ou qu'elle ait la certitude qu'il n'était pas là.

Au troisième caillou, la fenêtre s'ouvrit, mais ce fut Liliane qui parut. Apercevant Liselle, elle lui fit signe d'attendre et descendit la rejoindre dans la cour du moulin. Là, elle lui expliqua tout. Yvelin avait quitté le moulin des marques plus tôt. Il aurait dû être rentré. Peut-être lui était-il arrivé quelque chose? Liselle tenta de rassurer la relieuse. Elle le trouverait.

Puis elle repartit. Mais où diable pouvait-il être? Jamais il ne serait parti sans ses instruments. C'était donc qu'il était encore quelque part en ville. Inconscient ou mort, peut-être. Mais que pouvait-elle faire, seule?

Elle décida de rentrer à la chambre de bonne. Jamais elle ne trouverait Yvelin en pleine nuit, et peut-être paraîtrait-il au petit matin, après avoir noyé son chagrin.

Au matin, Yvelin n'était pas revenu et Liselle était désespérée. S'était-il... avait-il...?

Liselle se mit en quête d'Yvelin dans la cité. Elle commença par les endroits où il avait ses habitudes, puis elle  finit par errer au hasard. Que faire... elle avait tellement peur qu'il fasse une bêtise. Après avoir cherché plusieurs marques en vain, elle revint à la chambre du Barde sous les toits. Épuisée, elle s'effondra sur le lit...

«Liselle? Que...fais-tu là?»

«Hein?» Elle se frotta les yeux. Elle devait s'être endormie. «Yvelin! Tu... tu es enfin rentré!» Elle se leva et lui sauta au cou. «Oh, Yvelin, j'ai eu si peur... Ton père... je suis tellement désolée.»

Yvelin éclata en sanglot. Il pensait avoir épuisé ses larmes, mais non, la peine était encore trop vive. Liselle le conduisit sur le lit et le coucha sur ses genoux, comme un petit enfant. Ils restèrent ainsi plusieurs marques, jusqu'à ce que Yvelin n'ait plus la force de pleurer.

[RP CLOS]