Tendue comme un arc, Irmingarde, un peu en retrait, attendit la réaction de Beltran.
Quand il se tourna vers elle, son expression libéra un peu la pression qui la tenaillait parce que s'il restait neutre, il n’arborait plus cet air froid et distant.
Puis il lui attrapa le bras à son tour. La jeune femme dut faire un très gros effort sur elle même pour ne pas sursauter - ce n'était franchement pas le moment! - et se contenta de regarder la main du Capitaine sur sa peau en plissant les yeux.
Elle l'écouta parler, et si elle fut rassurée, d'un côté, qu'il ait abandonné son petit numéro d'acteur - mauvais en plus - elle fut tout bonnement abasourdi par ce qu'elle entendit.
Le fait qu'elle soit là semblait réellement le rendre malade! Et si elle comprenait bien, elle l'avait encore plus blessé qu'elle ne le pensait. Il lui décrivait presque combien elle lui avait fait mal en lui hurlant dessus, et en le laissant partir sans rien dire, quand il lui avait avoué qu'il l'aimait.
Jamais elle n'aurait pensé que son avis, sa façon d'être avec lui, revêtaient tant d'importance àses yeux. Isabeau lui aurait répondu que c'était le principe même de l'amour, mais Isabeau n'était pas là, donc Mina devait se contenter de découvrir tout ce que ce sentiment pouvait cacher comme surprises et nécessités nouvelles.
Elle avait préparé tout un discours, bien construit, bien réfléchi, l'avait répété, avec le ton qu'il fallait, les pauses qu'il fallait entre les phrases, l'expression qu'il fallait, les gestes qu'il fallait... et avait tout oublié.
Ce n'était même pas un blanc, c'était un vide total dans son crâne, il n'y avait plus rien!
Comme elle ne voulait pas montrer à quel point elle se sentait perdue, elle se lança sans filet, dans l'inconnu, en espérant que laisser parler "son coeur" donnerait un discours compréhensible.
Spontanéité donc... Okay...
En premier lieu, il fallait qu'elle le rassure, mais surtout, surtout qu'elle s'excuse. Sauf que ce n'était pas simple du tout alors qu'il tenait toujours son bras et qu'il l’emprisonnait de son regard. La jeune femme déglutit:
"Beltran... Je n'ai jamais voulu te faire de la peine, enfin, si, sur le moment, peut-être, j'étais dans tous mes états mais je ne veux pas que tu crois que je te méprises ou te sous estimes. Tu as une grande importance pour moi. Trop peut-être, enfin je... J'ai eu peur, c'est ridicule, et j'ai dit des choses qui n'étaient pas vraies, que je ne pensais pas, je suis désolée. Toi aussi tu es été injuste."
Ca, ça voulait clairement dire qu'elle attendait des excuses elle aussi. Irmingarde voulait bien faire amende honorable, mais pas à sens unique!
"Mais tu as dit des choses importantes aussi, et je t'ai laissé partir en pensant que ça m'était égal, mais ce n'est pas vrai... Alors je vais te répondre maintenant. Mais il ne faut pas que tu me coupes hein, laisse moi parler jusqu'au bout d'accord?"
Elle n'aurait jamais le courage de tout dire s'il l'interrompait.
Elle posa sa main gauche sur celle de Beltran qui enserrait son bras pour l'en détacher mais la garda entre ses doigts, y joignant sa seconde. Ainsi, elle tenait sa main en coupe dans les siennes, et baissa les yeux pour se concentrer dessus, fixer son regard quelque part. Elle prit une grande respiration et se lança:
"Beltran, je... je ne suis pas amoureuse de toi."
Mina avait presque honte de lui dire ça si crument. C'était affreux à entendre. Comme si, bien sûr, il ne pouvait pas s'empêcher de l'aimer, et qu'elle n'éprouvait rien de son côté. Tant de cérémonie et d'insistance pour lui balancer ça.
Elle se dépêcha de continuer pour éviter les méprises.
"Mais c'est parce que je ne sais pas ce que c'est que l'amour. Je ne sais pas ce que ça fait, je ne sais pas comment ça se reconnait, encore moins comment ça s'entretient, je suis totalement ignorante de ça, n'importe laquelle des apprenties plus jeunes que moi en saurait plus!"
Elle avait parlé très vite et son ton était monté dans les aigu, preuve de la panique qui commençait à arriver. Elle se força à respirer quelques secondes pour retrouver son calme, et un peu d'inspiration. Elle avait oublié son discours mais elle savait qu'elle avait beaucoup à dire, et n'avait pas oublié les points principaux. Elle lâcha la main de Beltran, se mordit les lèvres et continua:
"Ce que je sais, c'est que je suis terrifiée. Je suis terrifiée mais... Savoir que... que tu m'aimes et bien... ça me fait plaisir."
Irmingarde, rougissante, avait pris soin de choisir ses mots pour ne pas faire passer de messages tendancieux non voulu mais se rendit compte que cela pouvait encore être mal interprété.
"Mais ce n'est pas un plaisir hypocrite hein! Ce n'est pas que de la vanité, c'est aussi autre chose que je ne connais pas, je sais pas si tu vois ou si... enfin bref!"
Elle était ridicule.
"Je me rend bien compte de la chance que j'ai qu'un homme comme toi me regarde mais je ne te mérite pas. Et je ne dis pas ça pour m'attirer des compliments, des louanges..."
Elle attrapa une mèche de ses cheveux pour la triturer tout en pensant à la suite. Elle lui avait demandé de la laisser parler, mais elle ne devait pas trop laisser de silence entre chaque phrase, sinon il allait prendre la parole, et puis de toute façon, au point où elle en était, elle pouvait aussi bien continuer les confidences:
"Tu es un hommes bien Beltran, tu es même plus que ça." elle tendit les bras dans sa direction de haut en bas pour le désigner "Tu es bel homme, tu occupes un poste prestigieux dans le royaume, tu es de sang bleu, tu as du charisme..." elle soupira "Tu pourrais avoir qui tu veux Beltran, de la plus simples des servantes aux grandes dames de la Cour... Tu pourrais avoir des femmes plus mures par exemple..."
Mhh, non, Mina ne rattrapa tout de suite.
"Pas que tu sois vieux ni quoique ce soit non! Mais moi j'ai plus de 15 ans de moins que toi et rien à t'apporter, alors que les femmes de ton âge, elle aurait... de l'expérience, elle saurait comment te, et bien te satisfaire."
Par Aanor, c'était très difficile de dire ça, Mina ne savait pas si elle arrivait à se faire comprendre. Elle se désigna elle, cette fois-ci.
"Regarde-moi, je ne suis qu'une pauvre petite paysanne qui n'a jamais même embrassé un homme de sa vie, qui part en courant dès qu'on l'approche. J'ai l'expérience affective d'un enfant de 3 ans! Tu n'as pas besoin de t'encombrer d'une gamine en plus, et... oh par la déesse, Riannon..."
Étrange comme elle n'avait jamais pensé à la chef des Bardes, la mère de Liane!
Irmingarde commença à tourner en rond dans le bureau en faisant des gestes brusques des bras.
"Je ne devrais même pas imaginer quoique ce soit avec l'ancien compagnon de celle qui m'a fait l'honneur de m'accueillir au Palais pour m'offrir un emploi alors que je n'avais rien."
Non, elle ne tenait certainement pas la comparaison face à une telle femme.
Bizarrement, cela la calma, et elle se rapprocha du Capitaine de nouveau, pour lui confier doucement:
"Tu perdrais ton temps avec moi, vraiment. Parce que je suis trop compliquée, tu as droit à tellement mieux. Je n'ai rien à offrir, rien à promettre, je n'ai aucun intérêt pour toi."
Elle le pensait vraiment! Et elle voulait qu'il comprenne:
"Tout ça pour que tu saches que je ne repousse pas tes sentiments, pas plus que je les méprise. Ce n'est pas ta faute. Tu es quelqu'un de bien. Et je t'estime beaucoup. Tu trouveras une femme à ta hauteur"
Voilà.
Ce n'était pas parfait, c'était même complètement décousu, ce n'était pas ce qu'elle avait préparé, mais elle avait dit ce qu'elle pensait. Mina pensait vraiment à Beltran avant elle, elle savait parfaitement qu'elle n'était pas un cadeau.
Elle ne voulait pas qu'il souffre par sa faute. Elle voulait qu'il sache la place qu'il avait prit dans sa vie sans qu'elle le veuille. Mais il avait le droit à mieux qu'elle.
Et surtout elle n'avait pas conscience d'avoir utilisé comme excuse tous les plus gros clichés sentimentaux, mais, pour sa défense, ils étaient tous fondés et parfaitement honnêtes.