La matinée était bien avancée lorsque les murs d'Haven se trouvèrent enfin à l'horizon. Depuis les tours de garde, la vision de la Shin'a'in et de sa précieuse marchandise devait ne former pour l'instant qu'un épais nuage de poussière qui s'approchait à calme allure, non sans effort de la cavalière.
Malgré la fatigue du voyage, les chevaux avaient senti Haven bien avant de la voir, détectant dans l'air les promesses de foin frais et d'avoine, Kayann n'avait pas tardé à comprendre leur nervosité et avait dû redoubler de vigilance, tentant de modérer les ardeurs de ces bêtes. Pour sa première visite dans la célèbre capitale, si elle pouvait éviter d'amener ses protégés hors d'haleine, ça l'aurait arrangé.
Sa dernière escale en ville datait de plusieurs semaines. La distance qui séparait sa dernière ville de la capitale aurait pu être faite en quelques jours mais la jeune femme avait préféré battre un peu encore la campagne avant de retourner derrière un rempart. Elle sentait que sa visite à Haven ne serait pas qu'une formalité et son instinct lui avait dicté de prendre son temps pour y arriver. Ce qu'elle avait fait. Elle avait traîné jusqu'à ce que la perspective d'une cuvette d'étain remplie d'eau parfumée devienne plus une nécessité vitale qu'un goût de luxe. Si ces origines nomades l'avaient habituées à une vie simple, voire monacale, elle avait rapidement pris goût à ce que la vie citadine pouvait lui apporter.
Entre les oreilles de sa monture, la ville prenait de l'ampleur au fur et à mesure que la distance était avalée. Les chevaux retenaient mal leur hâte. Pourtant, la Shin'a'in savait que le fourrage odorant et le bain serait accessible qu'une fois le poste de garde passé, ce qui n'était pas tout le temps une partie de plaisir dans les villes plus modestes, alors à quoi s'attendre ici?
Lorsqu'elle fut à la porte, elle mit pied à terre et épousseta rapidement du revers de la main son manteau carmin et arbora son plus charmant sourire, celui qu'elle avait mis au point pour ce genre de protocole, avenant et charmeur, qu'elle se serait mal vue adressée à un homme dans la rue mais qui l'avait sauvé de quelques situations en taverne ou sur les routes.
Pour sa plus grande surprise, l'un des gardes, la voyant approchée, avait cessé son activité et, abandonnant les badauds qui attendaient sur leur droit de passage, et était venu à sa rencontre, un rictus enchanté et édenté aux lèvres.
"Bien le bonjour, marchande de chevaux! Votre venue est très attendue en ville et je me réjouissais de découvrir votre chargement! Permettez-moi de vous conduire en les murs sans tarder, vous devez être bien fatiguée..."
Bouche bée, Kayann se laissa donc entraîner et entra en ville sans plus de discussion.
"Bienvenue à Haven, Dame Shin'a'in, je vous conseille l'auberge du Compagnon, elle est tenue par mon cousin et il saura vous faire bonne accueil. De plus, il aura de la place pour toutes vos bêtes", reprit le garde en jetant un oeil aux chevaux, "Parce que vous en avez à r'vendre, dites-moi! Peut-être que, du coup, vous pourriez me laisser les examiner avant la foire, je compte m'en offrir un..."
Le manège et la stupéfiante générosité du garde fut vite justifiée, ce qui aiguisa la méfiance de la cavalière. Elle dénoua la bourse qu'elle destinait au droit de passage et répondit:
"Merci pour votre sollicitude, je tiens à vous régler ce que je dois. je n'ai pas jeter mon dévolu sur une auberge et réflèchirait, pour celle de votre cousin, quant à mes chevaux, ils seront à la foire d'ici trois jours. Peut-être que si vous venez aux aurores ferez-vous une bonne affaire..."
Sans attendre de réponse, elle s'éloigna du garde qui lâcha prise en maugréant, s'en retournant à ses occupations.
D'une main, elle tenait la bride de Roux-Poil, sa monture et de l'autre, la longe qui reliait la horde entre elle. Pour commencer, trouver où se loger, et vite. La proximité de tant de gens avec ses chevaux la rendait nerveuse autant qu'eux. Elle allait opter pour une direction quand un homme s'approcha d'elle. Son origine ne permettait pas le doute. Les cheveux sombres, les yeux d'un bleu glacial, sans compter sa monture, qu'un hors clan n'aurait jamais pu acquérir...
Kayann afficha un sourire, sincère cette fois, lorsqu'il la salua.
"Bonjour Monsieur", répondit-elle lentement en Valdemarien, qu'elle ne maîtrisait pas encore tout à fait.
Soulagée qu'il poursuive en shin'a'in, elle lui répondit avec plus d'entrain:
"Je suis bien l'éleveuse, ou du moins, leur meneuse... Ces montures semblent avoir leur volonté propre et me suivre par leur bon-vouloir. Mais leur caractère fait partie de leur valeur et je les traite avec tout le respect possible... Une bonne affaire pour qui en fera l'acquisition, à n'en point douter..."
Sa main gantée flatta l'encolure de l'un de ses protégés avant de continuer:
"Je suis Kayann shena Tale'sedrin et je suis bien aise de vous rencontrer, c'est ma première visite à Haven. Votre aide est la bienvenue. Savez-vous où je pourrais loger? Où mes bêtes n'auraient rien à craindre..."
Sans en douter, l'homme était Promis à l'épée. Son accoutrement sombre le suggérait. Ce détail, en plus du fait qu'il était des siens, lui assurait qu'elle pouvait lui faire confiance.