Beltran avait un petit doute sur sa capacité à expliquer quelque chose à Liane en utilisant "des mots simples". Il n'avait aucune idée de la quantité de mots que sa fille connaissait, et sur son envie d'écouter ce qu'on avait à lui dire. Les enfants aimaient jouer, faire des choses pratiques, et même si on les prévenait à l'avance que... disons que le feu ça brûle, il y avait quasiment cent pour cent de chances que le gamin mette quand même la main dans le feu. Ce n'était pas vraiment un signe de grande intelligence n'est-ce pas? Bon, il fallait avouer que Beltran réagissait pareil à certaines choses: "la magie peut faire ça" "non j'y crois pas... Ah ben si.". Si Liane tenait de lui, leurs conversations auraient un charme certain...
Pluiechantante semblait bien décidée à faire la leçon au Capitaine. Ca ne lui était pas arrivé depuis... plus d'une décennie. En tout cas, jamais dans ce genre de contexte. Malgré son rang et son habitude à commander, il se sentait comme un adolescent puni face à une mère colérique. Bien sûr, il refusait d'extérioriser ces sentiments-là, mais il céda du terrain devant certains conseils. Mais sincèrement, s'imaginer jouer à cache-cache dans le château avec Liane... C'était un peu trop pour lui. Surtout que si il jouait mal à son goût, voilà qu'on le prévenait qu'elle pourrait se venger en lui donnant la migraine. Si ça ce n'était pas terrifiant, Beltran voulait bien manger sa serviette.
"Ah, elle fait moins. Bien. Enfin, je crois." bredouilla l'homme, le cerveau tout retourné. "Et pas de professeur. D'accord."
Bon, du coup, il avait le droit de faire quoi? Il espérait que Pluiechantante n'attendait pas qu'il se lance dans l'éducation des Dons de Liane. C'était largement hors de son domaine. Même enseigner la danse à Irmingarde semblait plus facile, c'est pour dire!
Mais le cerveau obtus du Capitaine avait compris plus de choses que ses faibles remarques ne le laissaient penser. Il avait compris que sa fille vivait des choses difficiles pour son âge, et qu'il se devait d'être plus présent pour elle. Qu'elle aimait danser, et que ça il pouvait gérer. Et qu'elle avait besoin qu'on lui dise qu'on l'aimait. Tout ça était bien noté dans un coin de la cervelle chevaleresque du blond.
"Sur le tas." confirma brièvement Beltran avant d'accepter de danser avec sa fille.
Ce n'était pas à cette étrangère qu'il allait dire à quel point il aimait sa fille. Déjà que se l'avouer à lui-même avait pris des plombes. Mais il accepta de laisser ses inquiétudes paraître alors qu'il la mettait en garde.
"Le Roi n'a pas le choix. Je suis sûr qu'il aurait voulu pouvoir cacher ses enfants. Vous n'imaginez pas le système de protection que nous devons mettre en place à chaque nouvelle génération royale. C'est à s'en arracher les cheveux." Il eut un regard vers le bureau caché sous les monticules de rapports.
Mais Pluiechantante se mettait à lui crier dessus, arguant que la valeur d'un enfant dépassait de beaucoup la plupart des trésors. Oh, ça, Beltran pouvait bien le croire. Il faisait des cauchemars où Riannon lui enlevait sa fille - où Liane disparaissait et n'était pas retrouvée - où Liane mourrait sous les tortures de Bronwynn de Tolan... Il considérait cet amour comme une faiblesse le détournant de son devoir. Et pourtant il n'avait jamais pu refuser sa paternité et s'écarter totalement de sa petite fille.
Il tenta de calmer Pluiechantante:
"Je suis conscient qu'elle est précieuse. C'est ma fille même si je ne suis pas... expressif. Et c'est pour ça que j'ai peur pour elle. Quel père dans ma position n'aurait pas peur pour elle?"
Et égoïstement, il savait bien qu'il avait peur pour lui-même, de perdre ses capacités si son coeur lui était arraché en la personne de sa fille. Il survivrait si Irmingarde refusait de le revoir. Il n'en était pas sûr si Liane disparaissait.
En tout cas, une personne non égoïste, c'était le petit bout de femme emplumé devant lui. Elle n'avait pas peur de mourir. Du moins c'est ce qu'elle prétendait, et elle semblait le croire.
Beltran s'excusa de ne pas avoir retenu son nom:
"Désolé, j'ai été un peu pris au dépourvu. Pluiechantante, Kestra'chern." répéta-t-il comme un étudiant sérieux. Puis il la regarda franchement: "Dans votre culture, les deux parents ont autant de droits l'un que l'autre, n'est-ce pas? Ici, si le père ne reconnait pas l'enfant, la mère a tous les droits. Et comme c'est elle qui a porté Liane, je n'ai jamais..."
Eu le courage de s'opposer franchement à elle. Eu le courage de s'occuper correctement de sa fille. Il finit sa phrase avec un léger temps d'arrêt:
"... eu le coeur d'exiger de lui donner mon nom, car ses arguments... reflètent les miens."
Beltran tenta d'imaginer la réaction de Riannon s'il tentait de reconnaître officiellement sa fille maintenant. Il n'était pas sûr qu'elle ne tente pas de l'étrangler. Mais si une inconnue venait lui faire la leçon dans son bureau, Beltran avait bien conscience que c'était que quelque chose clochait réellement. Alors il conclut:
"Je vais voir ce que je peux faire. Pour Liane, je veux dire. Je ne suis pas doué en jeu, je le crains, mais si elle aime danser, ça c'est dans mes cordes. Et je peux lui apprendre à se défendre un peu. Je crois. Elle n'est pas trop petite si?"
Il rougit et baissa la voix:
"Quand j'étais enfant, j'aidais ma mère à faire les tartes. Je suis plutôt doué. Vous croyez que Liane... aimerait apprendre ça?"
Pluiechantante avait appuyé sur les bons leviers intérieurs. Sans qu'il s'en rende compte, le commandant des armées de Valdemar venait d'accepter la partie tendre de sa personnalité. Ses hommes n'allaient jamais le reconnaitre.