Beltran savait que faire confiance à Wylan sur certains sujets était suicidaire, mais bizarrement, il avait bien envie de suivre les conseils de son cousin sur ces sujets-là. Il fallait avouer que le Héraut parlait avec assurance et annonçait les choses d'un ton qui ne laissait pas de doute ou de place à une réplique. Il semblait maîtriser son sujet.
"Je me rappelle surtout l'horrible automne que j'ai passé chez vous pour vous aider à tout remettre en place. J'ai cru que j'allais mourir de froid chaque soir. En campagne, quand nous n'avons plus d'équipement, ça me parait encore moins froid que la maison de tes parents à cette époque..." rétorqua vivement Beltran.
Oui, il avait grandi dans une belle maison, et à l'époque où son père était Prévôt, il avait même vécu dans de vrais palais, mais les Greenhaven avaient beau être privilégiés, les hommes (comme les femmes) devaient se confronter à la réalité du monde pour être pris au sérieux. Et on s'entraide, dans la famille. Assez grand pour porter des sacs de gravat ou des planches pour boucher les trous, Beltran avait été réquisitionné tout un été et un automne chez ses cousins avant d'être renvoyé à son précepteur quand l'hiver avait atteint le domaine. Il n'avait jamais regretté de ne pas avoir à survivre à un hiver chez Wylan malgré son grand sens de ce qui fait la force d'un homme.
Le Capitaine tenta d'imaginer Mina se gelant les fesses dans une ferme hold et soupira. Image peu réjouissante, c'était pourtant une bonne raison pour préférer des manteaux et des bottes à un collier. Il espéra qu'elle l'accepterait quand même et nota dans un coin de son esprit qu'une belle cape pourrait également lui faire plaisir.
"Elle est au Collegium maintenant, elle doit être fournie." conclut cependant le blondinet avec pratique. En tout cas, il comprenait l'aspect ridicule de certaines modes: "Je vois ce que tu veux dire. C'est bien, une écervelée ne me plairait pas de toute façon. Demande à ma mère, elle désespère que je ne sois toujours pas marié. Elle n'a pas encore abandonné pourtant... A ce propos, un seul mot de tout ça à la famille et tu peux t'assurer que ton frère ne vendra jamais sa production..."
Le ton était léger et plaisantin mais Beltran lui-même ignorait quelle vengeance lui viendrait à l'esprit si son cousin le trahissait bassement. Enfin bon, après avoir donné des conseils, le Héraut aurait sans doute le bon sens de regarder l'affaire de loin sans s'en mêler.
En tout cas, il ne se gênait pas pour se moquer de son sérieux cousin. Beltran fit la grimace.
"J'ai de l'humour. Des fois. Vous ne le comprenez pas c'est tout." rétorqua-t-il.
Niveau camaderie... Beltran était loyal, efficace, parfois même amical, mais le mot camaderie ne s'appliquait visiblement pas au type d'homme qu'il était. Quant à la légèreté... Il savait faire semblant d'en avoir, quand il le fallait.
Concernant Liane, Beltran sourit:
"Il faudrait déjà que je la reconnaisse officiellement... ce qui n'est pas dans les projets immédiats. On verra avec Riannon... plus tard. Elle sait que je n'ai pas abandonné l'espoir de pouvoir le faire. Mais même si elle n'est pas Elue, je doute qu'on lui permette d'hériter de tout Greenhaven. Et je n'ai pas l'intention de l'élever pour ça. Ronan est plus... Fait pour ça. Depuis que j'ai pris le commandement de la garde, il assure le rôle de l'héritier, et bien mieux que moi. Nous en avons déjà discuté avec Père. Il y a des moyens légaux pour que Ronan et sa famille prennent le titre quand Père passera l'arme à gauche. Je n'en ai pas besoin - et ils ont déjà tellement donné pour le domaine. L'armée est mon seul vrai titre à vrai dire.... Mais si tu veux savoir ils en sont au troisième gamin, un garçon, et il excelle dans le rôle du patriarche comme tu dis. Il a l'air vieux avant l'âge..."
Souvent, Beltran avait un peu regretté de ne pas ressembler à son frère, père d'une tripotée d'enfants, marié, heureux dans ses fonctions... Mais il avait épousé l'armée et il était fait pour les armes. Alors il se contentait de gâter ses neveux et sa nièce quand il en avait le temps. Ronan ne comprenait pas Beltran mais les deux frères s'aimaient et cela suffisait.
Puis Beltran réenchaîna sur sa terrible mère:
"Mère fait pire que me battre. Tu n'as vraiment jamais eu l'occasion de la voir se mettre en mode commandant? Ca vaut le coup d'oeil. Même mon père ne s'y frotte pas dans ces cas-là..."
En tout cas, les parents vieillissaient et la visite de la famille leur ferait du bien. Depuis que le Seigneur avait quitté ses fonction de Prévôt, il s'occupait du domaine mais regrettait un peu l'agitation de la capitale. En tout cas, l'agitation actuelle ne lui aurait pas plu. A peine rentré, Beltran avait déjà eu vent de certaines rumeurs courant les rues de Haven et cela ne lui plaisait guère. Pas plus qu'à Wylan qui avait pourtant un temps de retard:
"La rumeur commence déjà à courir que nous n'avons aucune chance devant leurs mages. Certains idiots sont allés jusqu'à dire que si je suis rentré c'est que la frontière est perdue. Il faut empêcher l'angoisse de contaminer Valdemar. Les soldats se feront très présents à partir de maintenant, il faut assurer le calme civil." Il hocha la tête: "Mais pour les nobles oui... la technique de l'autruche marche bien. Arthon est au courant mais je lui rappellerai ce point. Je ne comprends pas plus que toi le pourquoi de cette guerre mais mon instinct me dit que nous n'en avons pas fini. S'il n'y avait pas cette équation inconnue avec les mages et démonistes, je serai plus sûr de moi, mais j'ignore encore à quel point nos forces peuvent résister à ce genre d'attaques..." avoua lentement le Capitaine. "Arthon semble plus confiant que moi sur ce point mais il n'a encore jamais dirigé une vraie tactique de guerre..."