« Tu vas partir seul, hein... ? »
C'était amusant de voir à quel point le destin pouvait être un peu ironique : elle, elle venait des routes, elle venait d'un voyage qui pouvait être semblable à celui que le jeune barde fera dans un avenir assez proche. Il était vrai que les routes étaient dangereuses, mais même si Elke n'était pas une spécialiste de l'autodéfense, elle avait réussi à se débrouiller ici et là... Quelques sorts de distraction, ou bien simplement marcher à côté des routes, quelques petites astuces peuvent faire la différence ! Peut-être devrait-elle prendre des cours de combat, finalement. Ça serait toujours ça de pris, et si elle se souvenait bien, c'était Fitz qui en était responsable. Un sourire s'étira sur son visage : ce soldat avait une certaine classe. Une très certaine classe ! Donc Yvelin avait pris des cours auprès de lui ?
Elke le regarda plus attentivement : il était grand, fin – à se demander où il stockait tout ce qu'il mangeait –, l'imaginer en combattant aguerri était assez comique... Mais elle l'aimait bien. Il parlait beaucoup, mangeait beaucoup, semblait passionné par ce qu'il faisait et mine de rien, elle était ravie de se voir des points communs avec lui. D'autant plus qu'elle ne le connaissait que de quelques dizaines de minutes.
« Peu importe qu'elle ait du succès ou non, j'adorerai l'entendre ! » affirma-t-elle avec un ton décidé. « Et comme je suis bien partie pour rester un moment ici, je suis sûre qu'on trouvera un moment où tu ne mangeras pas et où tu pourras la chanter, cette ritournelle ! Elle a un nom ? »
Et elle le regardait manger, encore et encore, tandis qu'elle avait fini depuis longtemps. Enfin, elle se resservit un verre d'eau, mais Yvelin semblait affamé depuis le début du repas ! La jeune mage voulu poser une question à ce sujet, mais dès qu'elle ouvrit la bouche, on lui demanda comment se passaient les examens de magie, chez elle. En un instant, elle oublia complètement ses mots, tout de suite remplacés par des termes de magie qui fusaient dans sa tête. Oh, ce domaine tant aimé ! Elke se réajusta sur le banc pour être plus à l'aise, et commença avec joie.
« En réalité, notre examen s'appelle la Confrontation. On nous en parle dès notre arrivée dans l'école, et personnellement je n'étais encore qu'une petiote, mais jamais dans le détail. Tu sais, parce que ça fait mystérieux et dangereux, tu vois... La Confrontatioooooooon.... »
Elle resta un long moment en insistant sur le « on » en plissant légèrement les yeux. Une légère moquerie ? Absolument pas ! C'était du sérieux, la Confrontatiooooon...
« De ce que je peux te dire, c'est que ça change d'un élève à l'autre, que les épreuves ne sont pas les mêmes et que ce sont tous les professeurs de l'école qui jugent la performance. Ce n'est pas un simple examen dans le sens où on ne regarde pas uniquement les aptitudes du mage, il paraît que les professeurs veillent aussi à qu'on ne soit pas de futurs psychopathes, des mages complètement assoiffés de sang et de pouvoir dans un avenir plus ou moins proche. Bon pour l'instant, je n'ai jamais vu personne se faire recaler pour ça... Du coup, peut-être que ça ne marche même pas leurs méthodes ! Peut-être que d'ici dix ans, je chercherai à asservir l'humanité pour euh... pour faire des trucs de méchant mage. Pas de panique, prendre le contrôle de la planète ne fait pas partie de mon emploi du temps pour l'instant ! »
La jeune mage soupira légèrement. Pour elle, ce n'était rien de plus qu'une plaisanterie, mais elle savait bien que certaines personnes ne plaisantaient pas avec ça, et prenaient la menace des mages très au sérieux.
« À Pierre-de-Shor, les professeurs avaient l'habitude de répéter que les mages étaient comme des gens normaux, mais avec une épée aiguisée et dégainée collée dans la main à chaque instant. Ils n'arrêtaient pas, nous prévenais qu'il était impératif que nous contrôlions nos dons... Je connais des mages qui en faisaient des cauchemars quand ils étaient petiots ! Professeur Therecer n'était pas comme les autres professeurs... Oh non, il était pire ! Mais dans le bon sens. Je suppose. Tu vois, il était typiquement le genre de mage qui ne blâmait pas les imperfections et qui disait « La magie est l'art de la création et de la destruction. De la destruction ! C'est pas en oubliant la moitié de la véritable nature de la magie que les élèves deviendront des mages entiers ! Des moitiés de mages, voilà ce qu'ils sont ! Tous des incapables, des bons à rien ! » suivi d'une très longue tirade d'insultes diverses et variées. Ha ha, il est génial, non ? »
Comme chaque fois qu'elle parlait du mage qu'elle avait choisi arbitrairement pour être son professeur, elle avait le sourire aux lèvres et des étoiles dans les yeux. Il pouvait paraître comme étant le vieillard le plus détestable du monde, aigri et grognon, il était aussi, aux yeux d'Elke, un mage extraordinaire. Il était marginal, indépendant, il connaissait un nombre incalculable de choses, il avait voyagé partout, il avait été en guerre, il avait vécu en ermite, y avait-il encore une chose dont il n'avait jamais encore entendu parler ?
« Eh, Yvelin, je viens d'y penser... Quand tu auras fini de manger, qu'est-ce que tu dirais d'aller en ville ? Tu dois connaître un tas de choses sur Haven, non ? Puisque ça fait déjà trois ans que tu es là. Quand je suis arrivée, j'ai à peine vu à quoi ça ressemblait et je me disais que ce serait une bonne chose si... »
Elle s'arrêta d'un coup, prenant rapidement sa respiration avant de céder.
« Non, ok, c'est un prétexte. Les cours marginaux, je n'en peux plus. Ça ne fait que trois jours, mais je n'en peux plus. Rester assise des heures à ne rien faire... Si jamais tu avais besoin de sortir ou quoi que ce soit, ça me ferait une excuse parfaite ! Qu'est-ce que tu en dis ? »