8ème décade d'été (31 août 1480) - Bureau du Héraut du Sénéchal
[justify:26gl9y2r]Il y a des choses qu'on ne peut pas changer. Sa nature profonde. Ses sentiments. Son passé. Des choses immuables, quoi qu'on fasse pour tenter de les modifier. Aaron faisait partie de ces hommes qui ne savent pas faire autrement qu'assumer leur devoir, quoi qu'il leur en coûte. Il passait le plus clair de son temps entre son bureau, le Champ des Compagnons où il s'occupait de Raïna, et tous les autres lieux qui requerraient sa présence, par devoir. A tel point qu'il dormait peu, mangeait le plus rapidement possible, et jonglait entre ses prérogatives de Héraut du Sénéchal et les entrevues qu'il pouvait avoir avec Jalena concernant ce nouveau don qu'il n'appréhendait pas aussi parfaitement qu'il le devrait, et pour cause, il était tout récent dans sa vie. Ca ne l'empêchait pas de trouver ses progrès trop maigres, malgré ses efforts. Il était à une place où on devait pouvoir compter sur lui, et à l'heure actuelle, on ne pouvait clairement pas compter sur son Empathie, ce qui lui déplaisait fortement. Mais son perfectionnisme n'était pas récent.
Ce qui était moins récent, aussi, mais tout aussi pitoyablement immuable, c'étaient ses sentiments pour Enju. Il faisait son maximum pour les laisser de côté, pour ne pas y penser. Il s'était promis de ne pas recommencer à boire pour oublier, et par une certaine forme d'orgueil, et parce que son entrevue avec Irmingarde lui laissait un amer goût dans la bouche, mais ça ne l'empêchait pas de penser à la karsite pour autant. Alors quoi de mieux, en effet, que de continuer à se plonger dans le travail ? Ca n'effaçait rien, il s'en rendait bien compte, mais ça l'occupait suffisamment pour qu'il ne tombe pas dans une mélancolie profonde. Celle-là même qu'il avait déjà ressentie, par le passé, quand il avait dû quitter Isalyna. Malgré Raïna, malgré les années, malgré la distance et les chemins différents que leurs existences avaient pris, il n'avait jamais complètement oublié la jeune fille de son enfance, celle qui avait été son (presque) premier baiser. Qui aujourd'hui devait avoir fondé sa famille. Il l'imaginait sans peine mère de famille, auprès d'un homme qui l'aimerait, entourée d'une myriade d'enfants aussi vifs qu'elle avait pu l'être dans sa jeunesse. Et il avait toujours une pensée tendre pour elle, même si aujourd'hui, il était conscient que son attachement pour elle ne pouvait pas rivaliser avec ce qu'il ressentait pour Enju. Mais peut-être était-ce simplement l'oeuvre du temps ? Il était bien en peine de l'affirmer, et encore moins de certifier qu'il irait mieux, avec le temps, justement. Alors il se taisait, continuait à souffrir en silence et à faire ce qu'il savait faire de mieux : son devoir.
Ce qu'il n'imaginait pas, c'était que d'autres ne l'entendaient pas de cette oreille. A vrai dire, il n'imaginait pas vraiment qu'on puisse s'inquiéter de sa santé autrement que quant à sa capacité à travailler correctement, ce qu'il s'évertuait à faire parfaitement. Mais il aurait dû savoir que tout le monde n'était pas dupe. Qu'un Empathe, déjà, ressentirait son trouble, sa douleur et la fatigue qu'il refusait d'écouter, mais que son corps commençait à crier. Sans vraiment s'en rendre compte, il se tuait à la tâche, et ce n'était, même s'il l'ignorait, pas du goût de tous. De celui de son Compagnon, déjà, qui ne manquait pas de le rappeler à l'ordre et qui était la seule à le décider à aller se coucher, le soir, alors que la plupart des autres Hérauts avaient déjà regagné leurs chambres depuis longtemps. Et sans doute des liés à ceux auxquels elle pouvait confier ses craintes pour sa moitié d'âme. Parce que même s'il refusait de l'admettre, il devait bien se rendre compte, parfois, qu'il inquiétait Raïna, et même s'il tentait souvent de la rassurer, il doutait d'y parvenir totalement.
Ce jour-là, il travaillait dans son bureau, compulsait les compte-rendus de mission des différentes équipes en attendant que la dernière ne passe les portes de Haven, tout en réfléchissant aux derniers bouleversements... royaux. Et il ne s'attendait absolument pas à ce qu'on vienne le déranger dans son office, encore moins à l'heure du déjeuner où les autres avaient plutôt tendance à être tous dans la salle à manger...[/justify:26gl9y2r]