Elle avait raison, comme toujours. Fitz s’encombrait l’esprit de considérations qui n’avait pas lieu d’être.
Bien sûr qu’elle avait accepté ce qu’il était, elle le savait depuis le premier jour de leurs rencontres, et elle avait passé presque autant de temps à le recoudre qu’à l’embrasser, ce n’était pas peu dire.
- Merveilleux ? Ce n’est pas ma réputation parmi mes hommes.
Depuis la guerre, depuis qu’il avait dû annoncer à des familles que des hommes ne rentreraient pas, depuis qu’il avait accueilli, épuisé, son ami qui revenait du front, Fitz pensait à la mort. Souvent. Trop.
Il savait ce qu’on attendait de lui, mais elle… Était-elle prête pour ça ?
Il écoutait patiemment sa femme, hochant la tête régulièrement, buvant chacune de ses paroles. Et un grand sourire éclaira ses lèvres quand elle lui parla des paniers en rotin. Il s’éloigna d’elle pour prendre une gorgée de son verre.
- Et tu serais sûrement la meilleure des professeures.
Lui dit-il en déposant son verre. Il s’approcha de Feuille.
- Plus sérieusement, je t’aime Feuille, tu le sais. Je ne suis pas doué avec tout ça, je ne suis pas doué avec grand-chose de toute façon, excepté ma hache, et encore j’arrive à me blesser. Ce que je sais par contre, c’est que vivre avec un capitaine de la garde, peu engendrer de terribles douleurs, de terribles moments. Et que tout capitaine que je suis, je ne pourrai pas vivre sans toi.
Il se rapprocha encore un peu plus.
- Je n’ai jamais été attaché à grand monde. C’était mon choix, ma façon de vivre, depuis la mort de mon vieux, personne n’avait partagé ma vie. Et puis il y a eu toi.
Encore un pas.
- Et tout a changé. Tu es la seule, l’unique. Sans toi je n’étais rien, et sans toi je ne serai rien. Valdemar pourrait être en train de brûler, je pourrai me retrouver sur le front cerné de partout, que je me demanderai encore si tu es en sécurité.
Pas après pas.
- Ce que j’ai vécu tout à l’heure n’est que la suite de ce que ma vie a toujours été. De ce qu’on vit années après années, combat après combat. Tu le sais, et je le sais aussi, si demain on m’annonçait que je pars au front, je partirai sans même hésiter. Je suis fait pour ça, taillé pour ça, ma vie entière est faite de combats. Je n’ai pas peur de la mort. Tout soldat accepte son sort. Mais j’ai peur de mourir, c’est ça qui tient un soldat en vie. Chaque jour j’apprends cette différence à mes hommes. Je leur apprends, que mourir, c’est manquer à quelqu’un, peu importe que ce soit une femme, un homme, un enfant, un cheval, ou un chien… Mourir c’est laisser un vide dans la vie de quelqu’un, et c’est ça qui m’effraie.
Un dernier pas et il se retrouva collé à elle, sa tête juste au-dessus de celle de Feuille.
- C’est pour ça qu’il est important que tu n’oublies jamais, que je suis à toi. Rien qu’à toi. Avant d’être à la guerre, avant d’être à Valdemar, avant même d’être à la Déesse. Je suis tien, ici, ailleurs, maintenant ou demain. Tout entier, à toi et rien qu’à toi.
Il prit sa femme dans ses bras, la souleva comme si elle était une plume, bras croisés sous ses fesses, pour que son visage arrive au niveau du sien.
- Tant que tu as conscience de ça, le monde peut bien brûler, je m’en moque.
Il l’embrassa passionnément.
- Et pour en revenir à mes cicatrices, je crois que ma préférée, celle que je n’enlèverai pour rien au monde, c’est celle du couteau de cuisine. C’est elle qui t’a amenée à moi, et qui m’a amené à toi. C’est peut-être la blessure la plus importante de toutes dans ma vie.