Sans faire complètement disparaître son sourire, une petite moue dubitative tordit brièvement les lèvres de Dyalwen, lorsque son interlocutrice lui dit qu’elle n’avait pas besoin de prendre exemple sur elle puisqu’elle était une Héraut.
« Pas encore, » répondit simplement la Grise, sans développer ce que la réponse de Fleur lui inspirait vraiment.
Depuis son Élection, elle avait l’impression que tout le monde s’attendait à ce qu’elle soit aussi formidable que les Hérauts des légendes. Que les Hérauts de la cour. Mais, même si elle avait commencé à réaliser, grâce à Isabeau, Enora et Méra, qu’ils étaient des personnes normales, elle savait bien, elle, qu’elle ne leur arrivait même pas à la cheville. Elle avait l’impression de ne pouvoir atteindre ni les attentes de Mère qui aurait voulu qu’elle devienne la parfaite demoiselle – ce qui n’était plus à l’ordre du jour, heureusement – ni celles de tous ceux qui la félicitaient pour son uniforme gris, à commencer par Grand-père.
C’est à ça que servent les études, tu sais, émit Tisia tout en laissant Fleur jouer avec sa crinière.
Pas sûr, en revanche, que le Compagnon accepte les tresses sans rien dire. Si elle appréciait les caresses, les compliments et l’admiration de la noble, il ne fallait pas pousser non plus. Elle n’était pas une poupée.
La question sur l’équitation ramena la rouquine en terrain connu et elle avoua sans hésitation qu’elle montait à cheval depuis son plus jeune âge. Et, si Mère n’aurait pas été ravie de savoir qu’elle s’en vantait, la Dame de Trevale, elle, n’en semblait pas choquée. Elle paraissait même enthousiaste et presque envieuse. Ce qui suffit largement à Dyalwen pour oublier toutes ses hésitations et ses questionnements quant à son futur statut de Héraut. Il n’y avait pas grand-chose qui lui était plus naturel que de parler d’équidés.
« Non, en effet, répondit-elle donc à la question sur les fréquentations de sa famille. Je ne connaissais les Trevale que de nom avant aujourd’hui. »
Et encore. Mais bon, elle ne pouvait pas reconnaître qu’elle s’intéressait plus au pedigree des chevaux qu’aux généalogies des maisons nobles, hein ?
Appuyée contre le flanc de Tisia, la Grise écouta sagement la réponse de Fleur sur ses capacités équestres et se sentit évidemment désolée pour elle. Ne plus pouvoir monter à cheval, c’était sans doute difficile, mais ne même plus pouvoir s’approcher d’un équidé parce que son époux les maintenait au loin, c’était presqu’impossible à imaginer. Alors, elle ne prit même pas le temps de réfléchir :
« Ma jument, avec qui j’ai fait le voyage depuis Bordebure, est aux écuries du palais. Je n’ai plus le temps de m’en occuper autant que je le souhaiterais, alors ça ne lui fera pas de mal de sortir si vous souhaitez remettre le pied à l’étrier. »
Elle réalisa, un peu tard, qu’elle aurait peut-être dû réfléchir au moins quelques secondes avant de formuler sa proposition.
« Enfin… Si vous en avez le temps et l’envie. J’imagine que vous êtes très occupée. »
Dyalwen n’avait aucune idée de ce à quoi pouvait ressembler l’emploi du temps de son interlocutrice. Elle imaginait facilement le quotidien d’une maîtresse de maison qui devait administrer un domaine, puisqu’elle avait tenté d’aider Mère de son mieux à Bordebure, mais comment les courtisans occupaient-ils leurs journées au palais ?
Il ne lui vint pas à l’idée que se renseigner sur tout un chacun était une occupation comme une autre et, par conséquent, la question sur son frère la prit un peu au dépourvu. Elle se contenta de secouer négativement la tête, en réponse, avant de sourire à nouveau. Les rares fois où les membres de sa famille avaient évoqué le choix d’une fiancée pour Dubhán en sa présence, ils s’étaient focalisés sur l’importance de l’union pour la famille et le domaine. Pas sur les préférences de l’héritier de Bordebure. Dyalwen était à peu près sûre que Grand-père ne forcerait pas son petit-fils à épouser une femme qui ne lui plaisait pas, mais le souhait de Fleur était tout de même plaisant.
« Dubhán aime les chevaux, déclara la rouquine, mais il a plus d’intérêt pour les activités calmes. »
Au grand dam de Grand-père.
« Oh oui, entre les cours et les corvées, on a peu de temps libre, répondit-elle ensuite à propos de l’emploi du temps des Collegia. Mais mon frère effectue la majorité de ses corvées parmi les livres, il est secrétaire du bibliothécaire. Et, de la même façon, j’ai peu de corvées ménagères : le Héraut du Roi m’a demandé de l’assister. »