Le moment du départ avait finit par arriver. Il avait passé un peu de temps à s’habituer à son cheval et à son compagnon à plumes, appréciant cette transition vers sa réelle liberté. En fin de compte, il n’était pas juste d’utiliser ce mot. Jamais il n’avait été contraint par son clan à quoi que ce soit, si ce n’est à l’honorer, ce qui était tout à fait normal, et à participer à la vie de la communauté, à apprendre et à utiliser ce pour quoi il était doué pour le bien de tous et de la terre sur laquelle K’Shira veillait. Il avait été surpris de ne pas avoir à argumenter plus longtemps pour son départ. Il s’était attendu à plus de résistance, de la part d’OmbreNeige. Elle avait froncé les sourcils, secoué la tête, l’air triste, mais l’avait laissé partir et lui avait donné un présent pour ses cousins de Katashin’a’in. Un masque de plumes pour chaque saison. Ils avaient été confectionnés avec soin, et représentaient de façon subtile divers aspects de la Lune. Ils étaient destinés aux Chamanes, et auraient été offert à une autre occasion, mais celle-ci convenait autant qu’une autre.
Il était un peu anxieux, car il avait décidé de ne rien cacher des raisons de son départ. Il savait pertinemment ce que c’était que de fuir ses responsabilités, mais il avait argumenté pour faire comprendre aux anciens qu’il pensait apporter quelque chose de nouveau dans le clan, et qu’il ne devait pas brider ce vers quoi il tendait, à savoir devenir un barde, puisqu’il avait appris ce mot. Il ne voulait pas pour autant renoncer à la magie, et la perspective de réfléchir à un moyen de concilier les deux lui donnait mal à la tête. Au fond de lui, il savait qu’il lui faudrait faire un choix. Mais avant, il voulait voir, parcourir un peu d’autres terres, et apprendre à jouer d’autres instruments… Il n’abandonnerait pas son clan, il voulait juste une parenthèse. Oui mais ses cousins ne le jugeraient-ils pas trop sévèrement ?
Il craignait qu’ils ne lui fassent bénéficier d’un proverbe bien sentit, du style « Puissiez vous vivre en des temps intéressants », mais sa crainte fondait comme neige au soleil au fur et à mesure qu’il s’approchait de sa première destination. Constatant le peu d’aisance que FugueChant avait avec l’équitation, mais tenant à l’aider pour son trajet, son clan lui avait trouvé un cheval doux, qui se laissait conduire avec facilité. Les quelques éclaireurs qui assistèrent à son départ ne retinrent pour autant pas quelques sourires de connivence, pensant sans doute à ce qui l’attendait dans les prochains jours. Et ils n’avaient pas tord. Les premières heures furent agréables, et les senteurs et les couleurs que FugueChant découvrait enfin étaient suffisamment captivantes pour masquer les douleurs qui commençaient à poindre sur son séant, ses jambes, et même ses bras, tant il compensait son manque d’aisance par une certaine tension.
Pas doué… Trop nerveux. Ton cheval sent. Nerveux maintenant aussi…
Tr’eel volait au dessus de lui, jamais très loin, appréciant le fait d’avoir choisis quelqu’un, et bien décidé à ne pas le laisser filer si facilement. FugueChant avait très vite compris que sa patte blessée ne l’était pas tant que ça, mais il se pliait à ses caprices avec plaisir, gouttant le son inédit du rire que provoquait en lui les pitreries de son oiseau-lige. Lorsqu’il sentait sa détermination faillir, il puisait de la force dans la simple présence du magnifique faucon à plumes rouges, qui n’était jamais très loin, le lien les unissant étant une nouvelle extension de sa personne au même titre que ses mains ou ses jambes. Jambes qui le mettaient au martyr, à cause de sa cavalcade. Il n’avait pas résisté aux boutades de Tr’eel, qui l’avait mis au défis de faire un petit galop. Il s’en mordait les doigts à présent, et avait ralenti depuis peu lorsqu’il vit les magnifiques plaines se profiler à l’horizon. Des herbes immenses, des teintes variées, le passage du temps sur la nature, enfin. Il sentait depuis quelques temps déjà qu’il lui faudrait peut être plus se couvrir, mais pour le moment il appréciait cette température. Il avait été observé tout au long de son trajet jusqu’ici, mais n’avait pas été inquiété. Les gardiens de ces terres veillaient au grain, et malheur à quiconque, hors-clan, s’amuserait à traverser ce territoire avec des intentions belliqueuses. Mais il savait que ce ne serait pas toujours ainsi, et que, dès qu’il aurait dépassé les plaines, il lui faudrait être très prudent. Et sans doute porter des couleurs moins voyantes, même si cela lui répugnait.
Le problème était plutôt qu’il ne savait plus vraiment où il était. Dans les plaines, ça, c’était sur. Mais où exactement ? Il avait beau regarder ses cartes sommaires, il fallait se rendre à l’évidence, il était paumé. Un long soupir de frustration accompagna cette dernière pensée. Il était beau, le héros avide de liberté, même pas capable de retrouver ses cousins au-delà des plaines. Il était descendu, cajolant doucement son cheval, lorsqu’il remarqua des traces régulières sur le sol. Plusieurs. Il n’était pas éclaireur, mais il savait tout de même reconnaitre des traces récentes. Oui mais à qui appartenaient-elles ? Amis ? Ennemis ? Sur des terres Shin’a’in, il était peu probable que des hors-clans passent longtemps inaperçus. Il prit sa décision en se basant sur ce simple fait : soit c’était des hors-clans et ils finiraient par être interceptés par ses cousins, soit s’était des habitués et donc ils savaient se diriger dans les plaines. Il suivrait donc leurs traces. Se remettant en selle avec une grimace de douleur pour son postérieur, il se mit en devoir de suivre cette seule piste qui le guiderait peut être vers une issue plus convenable…
(…)
Des gens… plus loin… étrange… Tr’eel connait pas, pas confiance..
FugueChant s’arrêta, son cheval piaffant d’inquiétude. Sourcils froncés, le jeune homme mis sa main en visière pour mieux voir ce qui avait alerté Tr’eel. Il semblait qu’il y avait effectivement quelques personnes, et à cette distance il n’était pas aisé de savoir qui ils représentaient. Très logiquement, ce devait être ceux qu’il suivait à la trace depuis quelques temps. Il n’était pas en position de force, et il était trop tard pour se cacher. Il maudit sa stupidité d’avoir été si peu prudent, et continua à avancer, doucement, pour montrer ses intentions pacifiques, en direction du groupe. Il tenait la bride de son cheval par une main, ce qui n’était pas trop dur au pas, et demanda à Tr’eel de venir se poser sur son autre bras. Il ne voulait pas qu’il serve de cible, et son cheval avait eut le temps de s’habituer à lui pour qu’il n’en soit pas effrayé. Sans compter que ça lui donnait un peu d’assurance, alors qu’il en manquait cruellement. Inquiet ? Oui…