[center:3duqqakb]Chapitre cinq[/center:3duqqakb]
[justify:3duqqakb]Herumor tournait en rond dans la vaste salle du château de Lenaik. Thalion, le vrai, était aussi présent. Quand à Lenaik lui-même, il se confondait en excuses auprès de son empereur :
- Vous comprenez Votre Altesse, nous n’avions jamais vu le Prince Thalion avant, et les elfes sont tellement sournois. Nous avions vraiment cru que c’était lui. J’ai bien essayé d’envoyer des hommes à sa poursuite…
- Oui une bande d’incapable qui s’est fait décimée par une femme et deux hommes ! s’écria Herumor furieux. Est-ce que vous imaginez une seconde tout ce qu’Artanis représente ? Elle est la destruction de mon pouvoir ! Je vous l’avais pourtant bien précisé dans ma lettre ! Et vous n’avez rien vu venir ?! Son enlèvement n’aurait pas pu être prévisible ?!
A ce moment, un garde entra essoufflé dans la salle. Voyant le trio réuni, il s’inclina respectueusement, attendant qu’on lui fasse signe. Lenaik réagit le premier :
- Pourquoi ce dérangement soudain ? J’espère que tu as une bonne raison pour être venu ici. Parle !
- Eh bien, je n’ai pas de très bonnes nouvelles… dit l’homme en se relevant prudemment. On m’a rapporté qu’un groupe de gardes s’était fait attaqué prêt de la frontière hier soir. Tous morts. Ce sont nos hommes partis à la recherche du groupe que vous nous avez signalé qui les ont retrouvés, ils ont envoyé un messager immédiatement. Et les flèches que l’on a vues ressemblaient plutôt à celles des elfes. Je crains qu’ils ne soient déjà passés de l’autre côté de mont Elenwë Monseigneur…
Herumor fusilla Lenaik du regard. Il fit comprendre au garde qu’il pouvait se retirer. Lenaik, quant à lui, le remercia d’un signe de tête. Quand il fut parti, Herumor réfléchit un temps, puis prit la parole d’un ton menaçant :
- Mon cher roi Lenaik, j’espère que vous vous rendez compte de l’ampleur des dégâts… Vous avez vécu un certain temps avec Artanis, alors vous allez me rendre service. J’ai besoin de savoir ses points faibles.
- En fait, répondit le roi, un peu gêné, Artanis n’en avait pas beaucoup. Elle était aimée du peuple et de tous les serviteurs, plus que des gens de notre classe. Elle avait un charisme, une bonté et une gentillesse étonnante pour une princesse. Elle sait monter à cheval, tirer à l’arc et manie l’épée mieux que personne.
- Bon ! coupa l’empereur en colère. Il y a bien des gens pour qui elle donnerait sa vie ! Des personnes qui pourraient me servir d’appât, avec lesquels j’arriverais la faire marcher ! Je vous préviens Lenaik, vous m’avez déjà beaucoup déçu, et ce serait dommage que je doive prendre des mesures radicales pour vous punir de votre incompétence.
Le roi déglutit difficilement, se concentra, puis eut un sourire triomphant :
- Il y a sa nourrice, Eléonore, et évidemment sa sœur qu’elle aimait plus que tout.
Mais il regretta tout de suite ses paroles, réalisant ce qu’il venait de dire. Hérumor, lui, eut un rictus malfaisant :
- Bien, bien… Parfait ! Vous voyez quand vous voulez ! Kellyan fera parfaitement l’affaire. Et puisque, mon fils, le prince Thalion n’a pas pu avoir la première de vos filles, il aura donc la seconde, après tout elle est tout aussi jolie. Ainsi, elle nous accompagnera à ma forteresse, et je pourrai prendre Artanis au piège.
Lenaik baissa la tête en signe de soumission, et maudit intérieurement sa bêtise. Il allait perdre sa seule fille ! Thalion n’avait pas l’air vraiment tendre et doux, il craignait pour sa vie. Mais il tenait à la sienne, celle de sa femme, ainsi qu’à son royaume. Il fit appeler Eléonore afin qu’elle aille prévenir Kellyan. Puis il convoqua des valets, et leur dit de préparer les affaires de sa fille pour le soir même. Thalion restait de marbre, ses yeux bleus glacials et ses long cheveux ébènes lui donnant l’air presque effrayant. L’empereur affichait, quant à lui, un air satisfait, qui le rendait encore plus machiavélique, cela fut-il possible. Ils patientèrent ainsi quelques minutes. Enfin, après ce moment qui parut interminable aux yeux du roi, le garde annonça l’arrivée de sa fille. Celle-ci, ne comprenant pas ce qu’il se passait, salua son père et ses invités, le regard un peu perdu. Comme d’habitude, elle était magnifique, rayonnante. Sa grâce égalait avec son charme et son élégance. Lenaik eut encore une pointe de regret pour ce qu’il s’apprêtait à faire. Il prit son inspiration, et, la tenant par le bras, il se lança :
- Ma fille, j’ai une grande nouvelle pour toi. Comme tu le sais, ta sœur était promise au Prince Thalion. Et comme tu le sais aussi, il y a eu un… malentendu, ta sœur étant repartie avec au final deux inconnus… Et dans son infinie bonté, notre Empereur accepte de te donner au prince à sa place, tu partiras donc…
- Ce soir, trancha Herumor. Nous avons tant qu’assez traîné. Certaines affaires du royaume ne peuvent attendre.
Il se tourna vers la jeune fille, qui, quant à elle, affichait un air perdu.
- Mademoiselle, je vous prierai de ne prendre que vos affaires les plus importantes, des valets emmèneront le reste de votre garde-robe et objets personnels. Ah et sachez que comme vous allez être mariée au Prince, celui-ci héritera de votre royaume, ajouta-t-il au roi.
Kellyan se fendit d’une révérence, puis disposa, alors que Lenaik acquiesçait, et saluait l’empereur à son tour. Une fois dans les couloirs, la princesse rencontra Eléonore, et s’effondra dans ses bras.
- Allons, allons ma fille, du calme voyons, du calme ! Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qui peut bien vous mettre dans cet état ?
- Oh, ma bonne nourrice… Je pars ce soir même, l’Empereur et le prince Thalion sont venus me chercher. Je vais devoir épouser le Prince, qui héritera du trône lorsque Père ne pourra plus régner. Il va me falloir quitter cette ville, et vous, ma famille…
- Et bien ma Princesse, allez, voyez le bon côté des choses : vous allez vous marier à un bon parti, vous avez un avenir assuré. Même si d’un premier abord, cela peut vous paraître dur, peut-être qu’au final, ce sera bénéfique pour vous.
- Puisses-tu avoir raison, je l’espère aussi.
Elle se redressa alors, retrouva sa démarche assurée et partit d’un pas décidé vers appartements, suivie par la nourrice. Une fois-là bas, elle s’empara de son châle, d’une besace élégante, où elle mit ses objets les plus chers. Puis elle embrassa sa chambre du regard, et partit. Comme il lui restait peu de temps, elle monta simplement sur les créneaux, et s’imprégna de la ville dans laquelle elle avait grandi. Elle pensa à tous les bons moments qu’elle avait vécu ici, et l’image de sa sœur lui apparut. Ainsi donc, Artanis avait disparu… Kellyan espéra qu’elle était en sécurité, son intuition lui souffla que sa cadette avait pris un chemin bien différent du sien. Le visage de Thalion lui revint à l’esprit. D’une beauté froide, il paraissait accepter la situation sans sourciller, mais ne manifestait aucune émotion. Comme cela, il avait l’air mauvais. Mais peut-être se trompait-elle. Après quelques minutes de recueillement, la jeune princesse descendit, et rejoignit son père, son futur époux ainsi que l’empereur dans la cour. Sa mère aussi était présente. Elle serra ses parents dans ses bras, et embrassa tendrement sa nourrice. Puis, elle se tourna vers l’empereur, et annonça :
- Je suis prête Monseigneur.
- Bien, répondit celui-ci. Dans ce cas je vous invite à monter dans le carrosse.
Le Prince salua le couple royal d’un léger signe de tête, puis accompagna Kellyan. Quant à Herumor, il s’adressa au roi :
- J’espère pour vous et pour votre fille qu’Artanis sera rapidement hors d’état de nuire. Mais ne vous inquiétez pas, je vous ferai parvenir les invitations au mariage !
Et il partit dans un éclat de rire cruel. Giliane se rapprocha de son mari, qui passa un bras autour de ses épaules. Ils regardèrent s’éloigner le carrosse qui emmenait leur seule fille très loin d’eux, le cœur plein de tristesse et de crainte.
[center:3duqqakb]***[/center:3duqqakb]
Le voyage fut long et épuisant. Après plusieurs jours de traversées cahoteuses et de courtes nuits, ils arrivèrent enfin à la capitale. Kellyan, qui avait essayé d’engager la conversation avec son futur époux, sans grand succès, se tut lorsqu’ils aperçurent la ville. Keldel, sa cité natale, lui paraissait minuscule à côté de celle-ci. Des milliers de maisons, tantôt en chaume et en paille, tantôt en pierres entouraient un immense château, de couleur noire, installé sur une butte. Les tours semblaient toutes vouloir atteindre le ciel. Trois enceintes séparaient le château en lui-même de la Basse-Ville. Cependant, il n’y avait dans cette cité aucune couleur éclatante, tout étant fait de gris et de noir. Les gens étaient, pour la plupart, renfermés, on sentait un sentiment de crainte planer dans chaque rue. Plusieurs fois, ils croisèrent des passants, qui s’empressaient de saluer le carrosse royal. Les chaussées, pavées, formaient un véritable labyrinthe, un dédale d’artères, de rues et de ruelles. Un long moment passa avant qu’ils n’atteignent le château, et Kellyan tenta de ne pas se laisser imprégner du caractère sinistre qui avait l’air de s’être totalement installé à la capitale.
La jeune femme regarda Thalion. Il n’avait presque pas décroché un mot depuis leur départ, cependant, il ne cessait de l’observer discrètement. Elle n’osait se l’avouer, mais elle était effrayée. Soudain, le carrosse s’arrêta brusquement, et la porte s’ouvrit sur un Herumor ravit :
- Ma future belle-fille, bienvenue dans notre belle et sombre capitale ! annonça-t-il dans un sourire cynique. J’espère que vous avez aimé le voyage.
Elle hocha doucement la tête en signe d’assentiment. Ils descendirent, et Kellyan leva les yeux. Elle se sentait toute petite à côté de cette immense bâtisse. Certaines tours se perdaient dans les nuages.
- Bien, fit l’empereur. Je vois que vous appréciez à sa juste valeur votre nouvelle demeure. Un des serviteurs va vous conduire à vos appartements, le Prince et moi-même ayant fort à faire pour l’instant. Nous vous retrouverons ce soir, pour le dîner.
Et sur ce, il fit volte face, et partit, suivit du fiancée de la jeune fille. Un homme se présenta à elle. Grand et maigre, les lèvres pincées, un nez droit et fin, et de petits yeux glacials, il se tenait, aussi raide qu’un bâton de bois.
- Je suis Rogor, votre majordome. Veuillez me suivre, je vous prie.
Sans ajouter un mot de plus, il se retourna et avança. La princesse n’eut d’autre choix que de le suivre. Elle passa tout d’abord la grande porte, qui faisait au moins trois fois sa taille. Le couloir dans lequel elle arriva était démesuré. De là partait des dizaines d’autres couloirs et escaliers. Cependant, aucune décoration n’était accrochée au mur, tout était vide. Et au fond, on pouvait apercevoir une autre grande porte, en or massif celle-ci.
- La salle royale, commenta le majordome d’une voix neutre. Où sa majesté reçoit ses délégations, et donne les grandes réceptions.
A un moment donné, il tourna sur la gauche, montant un escalier. Quatre étages plus haut, et quelques couloirs passés, ils arrivèrent à ses appartements. Qui se composaient d’une grande chambre et d’un petit salon. Comme le reste, tout était vide de décoration. La jeune femme frissonna. L’homme parla d’une voix neutre :
-Vous pouvez disposer de vos appartements comme vous le souhaitez, je viendrai vous chercher pour le dîner. Soyez habillée comme il se doit.
Il fit volte-face et repartit vers les couloirs sombres… Se retrouvant seule, la jeune fille s’assit sur le lit, et des larmes coulèrent sur ses joues. Sur le coup, elle en voulut à Artanis de l’avoir mise dans cette situation. Mais peu à peu, la colère laissa place à la tristesse… Elle ne se sentait pas chez elle. De plus, ses affaires ne seraient pas là avant quelques jours, et en attendant, elle devrait se vêtir d’habits qui n’étaient pas les siens, étrangère à ce nouveau royaume, à cette nouvelle vie. Soudain, une femme d’âge assez mûr, la quarantaine estima Kellyan, apparut frappa à la porte restée ouverte. La jeune fille détourna la tête le temps d’essuyer ses yeux, puis dit, d’un ton qu’elle espérait stable :
- Entrez…
La femme avança. Elle paraissait froide de prime abord, mais lorsqu’on détaillait mieux son expression, elle était simplement timide. Pas très grande, et plutôt mince, elle avait l’air fragile. Des cheveux bruns-grisonnants, raides, ramenés en chignon, encadraient de grands yeux gris, un petit nez fin et une bouche légèrement crispée, le tout lui donnant un air craintif. Elle était vêtue d’une simple robe marron, serrée à la taille par une ceinture de cuir. S’inclinant, elle salua la princesse d’une voix douce et légère :
- Ma Dame, je me présente, Myriam, votre femme de chambre. Je loge dans la chambre attenante à vos appartements, et si vous avez quelque besoin que ce soit, n’hésitez pas à m’appeler.
Kellyan s’était mise debout, et fit signe à la domestique de se relever. Elle réussit à sourire et prit un air avenant.
- Chère Myriam, je suis enchantée de faire votre connaissance, et heureuse de votre compagnie. Je dois vous avouer que cela fait du bien de voir enfin un visage chaleureux en ces lieux froids et austères. Pardonnez mon jugement peut-être hâtif de ce château, mais je n’en ai vu jusqu’ici que peu de convivialité…
- Non, je vous comprends Dame. Il y a des moments où l’on ne se sent guère bien entre ces murs. Mais je tâcherai de vous rendre la vie plus colorée, si c’est là ce que vous souhaitez...
La gouvernante avait parlé moins « protocolairement » et avait l’air plus détendue. Un sourire était même venu éclairer son visage, la rendant jolie ainsi. Les deux femmes semblaient faites pour s’entendre. La princesse se sentit d’un coup moins seule. Elle fit quelques pas, et s’approcha de la petite fenêtre de sa chambre. Le soleil se couchait, inondant l’horizon de ses rayons ardents, rendant le paysage dévasté de la ville presque beau. Elle soupira, c’était bientôt l’heure du souper. Se retournant vers sa compagne de chambrée, Kellyan l’interrogea :
- Quelle robe croyiez-vous que je devrai porter ? Je n’ai rien à moi ici, et je n’ai aucune idée du « comme il se doit » de l’Empereur et du Prince…
La femme grimaça, et acquiesça. Elle se dirigea vers la grande armoire de chêne et l’ouvrit tout en grand. Il apparut alors une garde-robe fournie, avec des robes toutes plus provocantes les unes que les autres. Mais chacune étaient parées pour être mises par une princesse… Farfouillant un peu, Myriam finit par en choisir une, un petit air triomphant sur le visage. Elle la sortit et se retourna pour la faire voir à Kellyan. D’un sombre bleu-nuit, le tissu semblait fait de soie, et échancrée au niveau de la poitrine, la robe descendait en V derrière. Des perles d’argents ornaient le décolleté ainsi que la taille. Enfin, l’ourlet du bas et celui du bout des manches amples étaient cousus d’un tissu doré, dessinant des formes entremêlées. Hochant la tête, la jeune femme sourit, montrant son approbation.
- Ni trop, ni pas assez. Merci beaucoup. Je vais la passer de ce pas.
Baissant humblement le regard, la gouvernante lui tendit la robe et la princesse se dirigea derrière les paravents. Là, elle essaya le vêtement qui lui allait à ravir. Elle sortit et entendit une exclamation étouffée de la domestique :
- Princesse, vous êtes magnifique…
La remerciant à nouveau, Kellyan se tourna vers le miroir. En effet, elle était amincit par la couleur sombre, et les perles à la taille l’affinaient encore un peu. Elle fit volte face et regarda comme elle put son dos, quasiment entièrement apparent. On voyait la fin de ses omoplates et sa colonne vertébrale bien dessinée. Puis elle s’assit alors que la gouvernant la coiffait d’un chignon compliqué et lui fardait légèrement le visage. La jeune femme se saisit du diadème d’argent et le posa sur sa tête. Puis, ouvrant sa boîte à bijoux, elle en sortit une chaîne d’argent avec un saphir comme pendentif. Elle se leva et alla s’observer une dernière fois dans la glace. Satisfaite, elle fit un petit sourire :
- Je crois que je suis prête.
- Une vraie reine de la nuit ma Dame !
« Et qui cadre parfaitement avec le décor… » Pensa Kellyan. Alors qu’elle s’affairait à ranger son peu d’affaires, un coup sec fut frappé à la porte. D’un hochement de tête, elle fit signe à Myriam d’ouvrir, laissant apparaître l’affreux majordome. Un rictus cynique déforma ses lèvres et il ricana :
- Je vois que vous avez compris ce que l’Empereur attend. Suivez-moi, vous êtes attendue pour le dîner.
Avec un dernier regard pour sa domestique, la Princesse afficha un air froid et distant, redressa la poitrine, et pris une position la plus royale possible. Elle voulait fermer le caquet à cet insolent personnage. Prenant une voix dédaigneuse, elle l’observa de haut :
- Bien… Comment avez-vous dit déjà… ? Ah oui ! Rogor. Eh bien que diable ! Qu’attendez-vous pour m’y conduire, nous devrions déjà y être ! Ah et cessez de sourire ainsi bêtement, cela vous donne un air idiot.
Complètement surpris par ce changement de comportement, le serviteur pâlit, ouvrit la bouche interloqué, et une grimace de colère imprégna son visage. Il retint juste à temps une réplique cinglante, se rappelant sans doute sa position inférieure. Tournant le dos sans davantage de cérémonie, il avança d’un pas encore plus raide qu’à l’accoutumée. La jeune femme entendit un tout petit rire derrière elle, celui de Myriam. Elle aussi était très amusée par la scène, mais elle se garda bien de l’afficher, se sentant observée par les différents domestiques du palais, alors qu’elle avançait plus encore dans le château. Au bout de quelques minutes, ils arrivèrent devant une grande arche, qui donnait directement sur une salle immense, déjà pleine. Trois tables différentes étaient remplies. Un brouhaha léger s’élevait, et alors qu’elle observait les différentes personnes présentes, le majordome s’éclaircit la voix, et annonça froidement :
- La Princesse Héritière de Keldel, Dame Kellyan Barens !
Le bruit se mua en murmures, avant de mourir. Tous avaient les yeux levés sur elle. Se sentant rosir, la jeune femme de se départit pas de son sang-froid et salua l’assemblée d’un signe de tête, avant de prononcer un clair et distinct :
-Bonsoir.
L’Empereur lui-même se leva et alla à sa rencontre, alors qu’elle descendait les escaliers. Il semblait manifester une joie exagérée, tandis qu’elle distinguait un éclair de cruauté dans son regard. L’elfe noir s’exclama :
- Eh bien ma chère, je vois que vous avez trouvé de forts seyants habits ! Mes amis, je vous présente ma future belle-fille !
Quelques ricanements s’étaient échappés, presque aussitôt remplacés par des applaudissements, et félicitations au Prince. Mais tout cela n’était qu’une mascarade, Kellyan le sentait. Tous ici craignaient Herumor et lui vouaient en même temps une grande admiration. Elle suivit l’Empereur et s’assit à sa droite, face à son futur mari. Qui affichait toujours cette beauté glaciale. Un léger sourire de circonstance vint cependant étirer ses lèvres, et il murmura presque :
-Vous êtes très en beauté ma chère future épouse.
-Merci, répondit-elle, soutenant son regard.
Puis ses yeux dérivèrent vers les autres convives. Personne n’osait vraiment relancer les conversations et quelques brefs regards et paroles s’échappaient ici ou là. L’elfe noir rit bruyamment avant de relancer :
-Hé bien mes chers amis ! Nous fêtons ce soir les fiançailles de mon fils ! Un peu plus d’enthousiasme s’il vous plaît ! Et que les musiciens viennent nous divertir !
Un groupe d’instrumentistes arriva, et tandis qu’on commençait à servir les plats, ils entonnèrent une mélodie enjouée. Alors le brouhaha reprit comme à son arrivée. Pendant qu’ils mangeaient, plusieurs questions lui furent posées, auxquelles elle s’efforça de répondre avec un sourire. Heureusement qu’elle avait plus l’habitude des mondanités que sa sœur, et n’était pas embêtée par les protocoles et toutes les bonnes manières. Elle ne s’amusait pas comme chez elle, c’était certain, mais se retrouvait d’un côté dans un élément connu. La jeune femme se sentit moins mal à l’aise, mais restait tout de même méfiante face à ces gens, car elle se doutait que tous n’étaient pas honnêtes face à elle. Soudain, la question fusa :
-Et pour quand est prévu le mariage ?
-Le mois prochain ! Le temps d’avoir toutes les réponses aux invitations et de terminer les préparatifs !
C’était l’Empereur qui avait répondu. La Princesse eut un bref instant de surprise avant de se reprendre extérieurement. Intérieurement, elle réfléchissait. Un mois ! C’était si peu… Mais déjà les choses avaient dues être prévues depuis un moment… Sauf que l’épouse avait changée. A la place d’Artanis, c’est elle qui allait s’unir à Thalion. Sa sœur lui manquait à cet instant. Plongée dans ses pensées, elle n’entendit pas qu’on lui parlait, et secoua la tête en s’excusant, puis répondant à une nouvelle question. Tout d’un coup, les musiciens entamèrent une valse. Elle vit le Prince se lever sous le regard de son père, et s’avancer vers elle. Il s’agenouilla, tendit la main, et demanda d’une voix dénuée d’émotions :
-Dame Kellyan, ma Dame, m’accorderiez-vous cette danse ?
La Princesse eut une seconde d’hésitation, et hocha la tête en répondant :
-Mais bien évidemment, Prince, avec plaisir.
Elle avait gardé le même ton protocolaire que lui, et il leva un sourcil, avant de l’entraîner sur la piste. Plutôt bon danseur et pas très brutal, la jeune femme fut surprise. Cependant son regard restait glacial. Ils dansèrent plusieurs minutes seuls, à se jauger l’un l’autre. Puis d’autres couples rejoignirent les fiancés. Alors qu’ils valsaient, elle l’entendit chuchoter :
-Vous bernez tout le monde avec votre air d’aisance. Mais pas moi. Je vois bien que vous n’êtes pas bien, et qu’au fond vous avez peur.
-Et ai-je raison d’avoir peur ? Demanda-t-elle sur le même ton.
Il se contenta de la regarder sans rien dire. Kellyan frissonna. Elle avait du mal à le cerner, à savoir ce qu’il était vraiment. La musique s’arrêta avant de reprendre sur un nouveau morceau. Tout le monde changea de cavalière, et elle se retrouva ainsi avec un comte petit et bien portant. Il discuta presque joyeusement pendant toute la durée de la danse. Elle rencontra ainsi plusieurs personnages plus ou moins important du royaume, quand l’Empereur lui-même vint prendre sa main :
-Vous ne refuserez pas une valse à votre futur beau-père ?
-Non Sire, je vous en prie.
Alors qu’ils enchaînaient de nouveaux pas, la jeune femme sentait son regard froid et calculateur la scruter. Il parla finalement d’une voix qu’il voulait innocente :
-Au final, je suis heureux de cette petite mésaventure, car je pense que vous ferez une meilleure reine que votre sœur. Vous êtes sûrement mieux préparée à ce genre de place.
-Artanis n’était pas destinée au trône Majesté, répondit-elle méfiante. Nous n’avons donc pas eu tout à fait la même éducation, il est vrai. Cependant, elle sait les bonnes manières et ce qu’il convient de faire dans ce genre de soirée.
-Oh je n’en doute pas ! A ce propos, vous avez peut-être eu de ses nouvelles ? Vous a-t-elle écrit ? N’êtes-vous pas trop inquiète quant au sort qu’auraient pu lui réserver ses ravisseurs ?
Diantre, il tentait de lui soutirer des informations ! Elle répondit posément :
-Non je n’ai malheureusement pas reçu de missives de sa part, sans doute est-elle dans l’incapacité de le faire. Et je ne sais que penser de cet enlèvement.
Apparemment, sa sœur avait l’air important aux yeux d’Herumor. Quel véritable secret cachait donc Artanis ? En tous cas, elle était sûre que si sa cadette avait pu lui écrire, elle l’aurait fait. Au final, peut-être était-elle plus en sécurité à présent qu’elle-même… L’Empereur la contempla un moment pensif, avant de la laisser à un nouveau cavalier. La soirée se termina doucement, sans incident. Peu à peu, chacun se retira, les femmes surtout. Kellyan se leva à son tour, et salua les personnes restantes. Alors qu’elle tournait les talons pour tenter de retrouver ses appartements, une main se posa sur son épaule. Faisant volte-face, elle découvrit Thalion :
-Très chère, permettez-moi de vous raccompagner jusqu’à chez vous, vous pourriez vous perdre tant le château est grand.
Elle ne sut que penser de cette proposition, et hocha simplement la tête. Le Prince marchait à ses côtés, droit, silencieux. Lorsqu’ils parvinrent à la porte de sa chambre, le semi-elfe lui prit les poignets et la tourna vers lui. Il ne lui avait pas fait mal, cependant, ses réflexes lui avaient fait faire un pas de recul. Une flamme de colère passa dans les yeux de Thalion et il chuchota :
-Pourquoi me craigniez-vous ?
Apeurée, Kellyan ne put répondre. Alors, il se pencha vers elle et l’embrassa, fermement et doucement à la fois. Puis il se recula, lui jeta un dernier regard, et s’en fut. A moitié hébétée, la jeune femme resta un instant immobile avant de reprendre ses esprits, et de pousser la porte, un peu perdue. Myriam l’attendait. Voyant l’air surpris de sa maîtresse, elle lui demanda comment s’était passé la soirée. Pensive, la Princesse chercha un peu ses mots avant de lui raconter le tout, sans faire part de ses sentiments vis-à-vis d’Artanis cependant. Elle voulait être sûre de la loyauté de sa gouvernante avant de tout lui confier. Celle-ci lui commenta telle ou telle personne de la cour, mais ne sut que penser du comportement de Thalion. C’est ainsi que Kellyan se coucha, l’esprit en ébullition. Elle mit un moment avant de trouver le sommeil, et c’est en se disant qu’il faudrait vraiment rendre la chambre moins austère, que finalement, ses yeux se fermèrent.[/justify:3duqqakb]