2ème jour de la 4ème décade d’Automne 1485
Les dents serrées, Dyalwen s’efforçait d’ignorer la gêne, de repousser la fatigue et de passer outre sa mauvaise humeur. Elle était ridicule, elle le savait. Elle n’avait aucune raison de se plaindre. Sa plaie à la cuisse la tiraillait et la démangeait, mais elle était en bonne voie de guérison. Et, surtout, elle n’était pas grave. Contrairement à certains Hérauts et combattants qui avaient participé à la défense de la ville, la Grise n’était restée que deux jours à la maison de Guérison. Un contrôle et des pansements quotidiens suffisaient, avaient dit les Guérisseurs. Elle était donc libre de vaquer à ses occupations, c’est-à-dire retourner assister le Héraut du Roi et suivre ses cours. Évidemment, elle était dispensée des leçons d’équitation et de défense tant que sa blessure – et celle de Tisia – n’était pas complètement cicatrisée, mais sinon elle avait retrouvé un emploi du temps quasiment normal.
Aucune raison de se plaindre, donc, et aucune raison d’être fatiguée. Même si elle avait mal dormi la nuit précédente. Rien que d’y repenser, d’ailleurs, elle se sentait ridicule. Se réveiller deux fois dans la même nuit pour un bête cauchemar, c’était ridicule. Ne pas pouvoir se rendormir avant de sentir l’esprit de son Compagnon à portée du sien l’était encore plus.
Même si là, maintenant, elle s’en serait bien passé de l’esprit de son Compagnon. Et de ses commentaires surtout.
Si tu n’as pas cours de défense, ce n’est pas pour faire des efforts ailleurs.
Je ne fais pas d’efforts, je vais voir Vela.
C’est pareil.
Tu n’as rien trouvé à redire quand je t’ai pansée ce midi, pourtant.
Tisia renifla.
Je ne suis pas un cheval, moi.
Non : tu es plus grande et plus blanche, ça fait plus de travail.
Mais je ne te bouscule pas.
Vela non plus.
Agacée par les récriminations incessantes du Compagnon, Dyalwen prit une grande inspiration avant de passer la porte des écuries. Elle devait se calmer. Veladora n’y était pour rien et n’avait pas à faire les frais de sa mauvaise humeur. Elle atteignait son box au moment où un palefrenier en sortait, la jument au bout d’une longe. Il l’emmenait chez le forgeron, expliqua-t-il, puisqu’il avait remarqué le matin-même qu’elle avait perdu un fer. Par le Lien qu’elles partageaient, la Grise put sentir la satisfaction de Tisia à l’idée qu’elle allait devoir renoncer à son programme… jusqu’à ce qu’elle échange quelques mots avec le domestique et que la longe change de mains.
Tu ne vas pas… ?
Si.
Ce n’est pas à toi de le faire !
C’est ma jument. Et j’ai un peu de temps devant moi avant de devoir aller retrouver Alemdar.
Et elle ignora résolument la désapprobation du Compagnon, tout en menant l’alezane sur le chemin de la forge. Elle marchait moins vite que d’habitude, un peu gênée par les bandages que masquait son uniforme, mais Veladora calqua son allure sur la sienne sans essayer de la dépasser. Arrivée à destination, elle attacha sa monture à un des anneaux prévus à cet effet en attendant que l’artisan s’intéresse à elle. Ça ne tarda pas – l’avantage de l’uniforme gris, peut-être ? – et Dyalwen s’écarta donc un peu pour laisser l’homme de l’art travailler. Et, comme elle n’avait aucune envie de se lancer dans une nouvelle discussion avec Tisia, elle se contenta de laisser son regard errer sur les alentours. Quelqu’un venait… C’était pas le jeune homme qui s’était aussi retrouvé coincé aux écuries pendant l’attaque ? Celui qui avait été à peine – pour ne pas dire pas du tout – aimable ?
« Bonjour, » salua-t-elle simplement, sur la défensive, mais en tâchant de conserver un ton neutre.