Elle n'avait pas attendu la réaction de Wylan à dire vrai, même si elle l'avait malgré tout écouté... Et il lui apparut avec une certaine pénibilité que les Hérauts n'étaient peut-être pas exactement ce qu'elle avait imaginé... Elle n'avait toujours vu cet ordre qu'au travers de sa sœur et l'avait sans doute idéalisé...
Finalement, ils n'étaient qu'une variante améliorée d'une caste guerrière si elle se fiait à l'impression que lui donnait Wylan. Et cela la décevait plutôt.
Elle s'abstint de toute réponse même si les idées fusaient dans son esprit rendu malhabile et subjectif par l'émotion.
Heureusement, le trio lui laissa un peu d'espace... Elle sursauta tout de même à la réponse de Kyra à qui elle n'accorda qu'un bref haussement d'épaules. Tel Héraut, tel Compagnon... Ou inversement. Rien de tout à fait étonnant...
Aucun des deux ne semblaient parfaitement mesurer la marge d'imprévu et de danger relatif à leur petit exercice... Tout s'était à peu près bien passé exception faite de la blessure de Kurt, mais si dans sa panique, Merle l'avait piétinée après l'avoir jetée à terre? - La peur de la jument était authentique, et elle doutait que le Compagnon eut réussi à la calmer à temps.-
Si dans sa frappe maladroite elle avait plus grièvement touché son adversaire? Si de véritables bandits avaient frappé avant cette fameuse mise en scène, ou après avoir mis Kurt et Will hors d'état de nuire? Les Hérauts n'étaient pas invulnérables, elle ne le savait que trop bien. Wylan ou Kyra pouvaient être blessés ou tués.
Ces cas de figure existaient, et n'étaient pas improbables. Aux yeux de la Ménestrelle, le fait que le test se soit passé sans incident majeur relevait en partie de la chance.
Et elle ne s'en remettait pas à la chance. Le hasard ne l'aimait pas, et réciproquement.
Prendre soin de Merle eut le mérite de l'apaiser un peu. Pas suffisamment pour qu'elle daigne desceller les lèvres durant le voyage jusqu'au Relais, mais assez pour qu'elle parvienne en partie à se détendre. Le chat qui dormait dans ses fontes avant l'incident avait prit la fuite lorsque la jument s'était cabrée, et revint timidement alors que Béryl brossait sa monture. La jeune femme le flatta de quelques caresses avant de lui ouvrir la charge de selle où il bondit souplement.
Will vint à sa rencontre un instant pour estimer son humeur et la prévenir du départ, posant une main sur son épaule. La réaction de la jeune femme fut brusque et elle se déroba vivement comme si ce contact l'avait brûlée. Un instant, elle fixa le soldat comme si s'attendait à voir quelqu'un d'autre, une expression indéchiffrable dans le regard, émaillé d'une peur manifeste. Son expression d'animal aux abois ne dura que quelques secondes et la Ménestrelle reprit son masque d'impassibilité, acquiesçant au signal du départ.
La musicienne grimpa en selle sans un bruit et suivit les trois hommes à petite distance. Il était encore un peu tôt pour qu'elle accepte de se frotter à eux.
Craignant que Wylan ou son Compagnon ne prenne l'idée de jauger son esprit, elle se borna à imaginer un mur de toute ses pensées. Une "technique" qu'elle avait développé lorsqu'elle voulait cacher quelque chose à sa sœur, même si cette dernière n'était pas toujours prompte à la sonder.
Pour l'heure, elle souhaitait simplement rester seule avec elle-même.
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Sa mauvaise humeur revint à l'arrivée au Relais, qui lui promettait une certaine promiscuité avec au moins une personne qu'elle aurait préféré éviter pour le moment... Cependant, fidèle à son habitude, elle s'en tint au silence. Cela pouvait sembler étonnant de voir une musicienne itinérante aussi repliée sur elle-même dans la mesure où ce métier laissait plutôt entrevoir des personnalités volubiles, mais Béryl avait l'air de se plaire à jouer sur les paradoxes... Et les événements précédents ne prêtaient pas réellement aux discussions insouciantes.
Elle ôta la selle et le paquetage de Merle et la pansa avant de rejoindre l'abri. Une partie d'elle aurait volontiers trouvé d'autres corvées à faire pour retarder le moment d'y entrer. Mais ce genre de fuite ne menait nulle part et elle soupira profondément avant de s'installer dans un coin du Relais.
Elle était occupée à masser son poignet blessé avec un onguent contre la douleur lorsque Wylan revint.
Elle n'y couperait pas, et se résigna à cette discussion, sans grand plaisir.
La jeune femme n'afficha pas de réaction, visible ou plus subtile aux compliments de son guide. Elle ne se sentait absolument pas fière d'elle-même. Lorsqu'il aborda la force de Kurt, elle secoua la tête.
- Si je n'avais aucun remord après avoir blessé un homme qui ne me voulait pas de mal, si je n'avais pas cette limite, ce ne serait pas une formation d'espionne que j'aurais pu rechercher auprès d'un Héraut, mais plutôt les subtilités d'une vie de criminelle auprès de l'un d'entre eux... Quelque part, envisageriez-vous de former une personne sans éthique, sans principes, sans valeurs morales? Ma réaction ne devrait pas vous surprendre...
Manifestement, la conversation allait durer un peu et le Héraut l'invita à s'installer, ce qu'elle fit sans manières. Silencieuse, elle l'écoutait les bras reposant dans son giron.
Ne pas se fier aux apparences... Certes, mais dans cette mesure, était-il si improbable que deux hommes apparemment seuls, ou apparemment des adversaires faciles eurent pu attaquer un Héraut? Une logique qui dans l'esprit de la Ménestrelle, se retournait contre Wylan. Elle garda cette idée pour elle et joua l'humilité, même si à cet instant cela lui coûtait un peu. La journée avait été pénible et de se voir traiter comme une jouvencelle de quinze ans n'allait pas tout à fait pour améliorer son humeur. Béryl n'était pas de ces nobles qui prenaient leurs congénères moins bien nés de haut, eut égard à leurs rangs. Même avant d'avoir renoncé à sa place en quittant sa Maison. Mais il lui semblait que cela ne représentait pas une raison pour qu'on la traite comme une enfant inconséquente et naïve qui n'avait jamais rien connu d'autre qu'une vie douillette et protégée. Si cela avait été vrai à une époque, ce ne l'était plus depuis plusieurs années.
Dans son cas également, il était avisé de ne pas se fier aux apparences... Béryl était du reste douée pour jouer sur son innocence présumée, souvent prise à tort pour une oiselle naïve. Elle avait parfois travaillé cette image pour se faire passer pour une jeune fille simple et parfaitement négligeable, ce qui avait parfois abouti sur des situations intéressantes...
Après un court silence, elle lui répondit
- Le danger pouvait se présenter sur les deux chemins. Il aurait pu être n'importe où, hors de votre maîtrise. Vous l'avez dit vous-même, il n'est pas bon de se fier aux apparences, et un chemin lugubre n'est pas toujours celui où la menace se tapit. Mais j'entends ce que vous dites. Concernant ce que vous m'avez dit sur la confiance, j'en reste à penser qu'elle doit être réciproque: l'on ne peut pas tout apprendre d'une personne dont on se méfie, cela remettrait en question chaque élément de son enseignement.
Sa voix était un peu lasse mais ne trahissait pas de ressentiment, juste un mélange curieux de tristesse et de fatigue.
- Je n'accorde pas facilement ma confiance, et pour être tout à fait honnête, j'avoue ne pas savoir ce qu'il convient de faire à votre sujet. Toutefois oui, je veux apprendre, ma résolution n'a pas changé.
Ce qui avait changé en revanche, c'était sa capacité à apprendre sans remise en question ce que cet homme voudrait lui enseigner. Béryl était le genre de personne que l'on ne piège qu'une seule fois. Du moins était-elle devenue ainsi depuis qu'elle menait sa vie d'errance.
Une petite part d'elle lui soufflait que, quelque soit la longueur ou la teneur du discours, ils auraient toujours un peu de mal à se comprendre. Sur ce point, elle n'en voulait pas à Wylan, il n'avait pas tous les éléments pour ce faire. Et c'était heureux. Elle lui en aurait voulu d'aller fouiller dans son passé.
Et de son côté, elle ne le connaissait pas assez pour s'y fier, particulièrement après la mise en scène qu'il avait orchestré.
Leurs avis divergeaient parce que leurs raisonnements ne prenaient pas les mêmes bases. Cela ne signifiait pas que leurs points de vue étaient obligatoirement incompatibles, mais la musicienne commençait à renoncer se faire comprendre et le comprendre sur tous les plans.
Tant que leurs divergences ne les opposaient pas systématiquement, elle était prête aux concessions.
Pour sa part, elle préféra laisser là leur discussion lorsque le guérisseur s'enquit des soins à distribuer. Sans un bruit, elle se leva, et vint lui présenter son poignet.
- C'est peu de choses, une mauvaise chute... Mais j'ai besoin de cette main pour jouer de la musique.
En vérité, la jeune femme minimisait un peu les faits, mélange de fierté et de volonté de ne pas perdre encore plus la face devant le petit groupe. Elle se sentait suffisamment humiliée ainsi... La blessure, passé le choc la gênait de plus en plus, freinant ses mouvements et les rendant pénibles. Mais pour la douleur comme pour la colère, la jeune femme s'appliquait à ne rien laisser paraître.