[Arsène] Un petit massage, oui?

[Pluiechantante]

Une semaine après l'annonce

Pluiechantante se dirigeait à pas vif vers son unique rendez-vous de la journée. Une femme d'un âge certaine, sans doute une nourrice, ou quelque chose du genre, l'avait abordée et lui avait demandé un rendez-vous pour le noble chez qui elle était employée. Il était stressé, et de mauvaise humeur, et comptait sur elle pour l'aider.
Pluie n'était pas sûre d'aimer ces fameux nobles. Trop sûrs d'eux, trop hautains. Elle préférait les gens de plus basse extraction... les soldats par exemple. Enfin, peut-être ce noble-ci se révélerait-il sympathique. Elle n'y croyait guère pourtant.
Elle arriva enfin devant les appartements qu'on lui avait indiqué, et se fit annoncer par un major d'homme à l'air singulièrement sombre.
On l'invita à entrer, et on lui indiqua un siège où s'assoir en attendant la venue de son patient.
La Kestra'chern s'assit avec grâce, lissant les plis de sa tunique. Elle voulait faire bonne impression. Si son travail plaisait à ce noble, sans doute allait-elle voir son carnet de rendez-vous se remplir rapidement. Elle regarda autour d'elle, jugeant la décoration un peu trop ostentatoire à son goût. Elle se sentait presque oppressée en ces lieux, et ce n'était pas bon signe. Elle devait se sentir à l'aise là où elle travaillait. Heureusement, elle ne dispenserait sans doute pas ses soins ici même, mais dans la chambre du noble.
Une marque passa, puis une seconde, et elle commença à s'impatienter. Ne voulant rien laisser paraître, elle gardait un sourire avenant plaqué sur ses lèvres.
Enfin, quelqu'un se présenta, et Pluie reconnut le noble qui se plaignait lors de l'annonce faite par le Régent et Héritier. Tant pis pour le beau noble... au moins, son patient "spécial" n'avait aucun soucis à se faire pour sa place...
Pluie se leva et esquissa une courbette.

" Je suis enchantée."

[Arsène Krohp]

Le voyage jusqu’à Haven avait été horrible, il avait depuis des courbatures particulièrement intolérables, et sa mère insistait pour qu’il se fasse chouchouter. Arsène avait donc accepté, d’une humeur massacrante, prêt à passer ses nerfs sur quiconque viendrait lui parler. Lorsqu’on annonça que sa masseuse était arrivée, le noble daigna se lever de son fauteuil, où il sirotait un verre d’alcool dans une pièce enfumée par diverses huiles et bougies qu’il avait fait brûler une partie de la nuit.

Il était resté dans cette pièce, s’abrutissant, avec deux jeunes femmes qui dormaient (ou se trouvaient dans un état second) encore nues dans son lit, de l’argent tout autour d’elles.

Quand il eut estimé que le temps d’attente de sa soigneuse avait été suffisant, l’homme fit son entrée dans la pièce principale, vêtu uniquement de son peignoir.

« Je me contrefouts que vous soyez enchantée ma dame. Cela ne m’intéresse nullement. Ne pensez pas que car je vous fais l’immense honneur de laisser vos doigts se poser sur moi, cela signifie que je veux vous connaître. Vous êtes là car je vais vous payer, et grassement, pour faire votre travail. »

Un claquement de langue, et sa mère apparaissait dans la salle, il lui commanda immédiatement de quoi boire, pour lui et la jeune femme qui lui faisait face.


« Même si je me moque de votre condescendance, je ne vous laisserai pas mourir de soif chez moi, ce ne serait pas bon pour ma réputation. Ma mère reviendra avec de quoi manger et de quoi boire, servez-vous autant que vous le voulez. »

Sans autre mot, Arsène enleva le haut de son peignoir dévoilant ses épaules et son dos.

« Si vous préférez nous pouvons aller plus au calme, mais je vous préviens que j’ai un peu de ménage à faire avant »

En gros, il fallait surtout qu’il se sépare des deux filles faciles complétement shootées de son lit.

« Mais avant tout parlons peu mais bien. Qu’elles sont les prestations que vous proposez concrètement, et à quel tarif ? Et allons droit au but je vous en prie, n’omettez AUCUN service. »

Arsène avait bien appuyé sur le aucun, on pouvait être d’une humeur massacrante sans forcément perdre le nord.

« Sachez que si votre travail me satisfait, vous aurez l'honneur de dire que vous avez travaillé pour Arsène Krohp. »

[Pluiechantante]

Pluiechantante remerciait souvent ses parents, le ciel, la Déesse ou n'importe quelle entité supérieur d'être née dotée d'un caractère aussi joyeux et facile. Sinon, elle aurait bien souvent perdu patience depuis son départ de Griffon Blanc.
Elle se contenta donc de rester silencieuse, souriante et ouverte pendant que le noble s'exprimait.

" Oui, je préfère une chambre plus calme. Plus tranquille. Moins de passage et de bruit. Sinon difficile de vous détendre, oui?"

Enfin, elle doutait qu'une telle boule de nerf soit capable de se détendre totalement, mais on ne savait jamais. Elle ne devait pas sous-estimer ses talents. Après tout, elle se savait douée.
Par contre, elle n'était pas certaine du sens du mot "prestation", mais elle devait pouvoir le déduire d'après le contexte.

" Moi je masse, je fais craquer le dos, les épaules. J'aide aussi à méditer, oui? Je peux aussi faire du bien avec des pierres chaudes, et de l'huile. Parfois j'aide à dormir, avec paroles, et massages léger sur tempes. Je peux aussi aider l'esprit à se détendre, oui. On peut parler des soucis, moi j'aide à voir mieux. Et le prix, il dépend de la durée, oui, et du travail. Mais massage normal coûte [ aucune idée en fait, je ne sais pas très bien combien vaut la monnaie] "

Elle voyait très bien où le bougre voulait en venir, quand il parlait de ne rien omettre. Mais la Kestra'chern, malgré des moeurs assez libres, n'incluait pas les relations sexuelles dans ses prestations. C'était le petit plus qu'elle offrait aux patients qu'elle appréciait beaucoup. Et elle tentait de maintenir une relation exclusive avec ce patient, au moins pour un temps, jusqu'à ce que celui-ci n'ait plus besoin d'elle, ou qu'elle-même se soit lassée. Or, pour le moment, elle était loin d'être lassée par son lieutenant.


" Je fais très bien mon travail. Jamais patient ne se plaint. Et j'aime mon travail. Je suis toujours contente de travailler. "

[Arsène Krohp]

[HJ : Désolé du retard, légèrement overbooké ces derniers jours ]


Déçu. Enfin du moins c’est ce que la moue que fit Arsène lorsque la jeune femme lui annonça ses prestations semblait montrer. Il se leva nonchalamment se dirigeant vers la chambre, et d’une voix d’où ne transparaissait aucun sentiment lança à travers la porte.

 « Mes dames, veuillez rassembler immédiatement votre argent et vos affaires, et quitter cette pièce. Vous vous habillerez dehors, je ne veux plus vous voir ici »

Alors qu’il reprenait place dans un fauteuil douillet, une femme vêtue d’une simple tunique sortie de la pièce, des billets plein les mains, les yeux encore hagards, suivi de très près d’une deuxième.

« Partez maintenant, je ne veux plus vous voir. Si besoin je sais où trouver le trou à rat où vous logez. »

Il n’aimait pas qu’elles soient là. Il aimait leur compagnie le soir, du moment qu’elles ne l’obligeaient pas à les voir le reste du temps. Après tout, ces femmes ne sont que des instruments, des mets, au même niveau qu’une volaille, et franchement, qui a envie de regarder gambader une poule dans un champ avant de la déguster à la broche ?
 
Portant son verre à ses lèvres, il claqua des doigts, et sa mère apparut de nouveau à ses cotés, comme une ombre toujours présente.

« Mère, veuillez vous occuper de ma chambre, et rapidement. J’aimerai que cette séance ait lieu dans le meilleur environnement possible, rechargez les huiles, les bougies, et faites le lit. Et vite, la fatigue me gagne.»  

Le noble fut prit d’un bâillement forcé, pendant que sa mère partait en trottinant vers l’antre d’où se dégagait une chaleur, et une odeur de fauve particulièrement forte et tenace.

« Simple précaution, vous faites ce métier depuis longtemps bien sûr ? Ce n’est pas une lubie d’un soir qui vous a prise car vous avez entendu une voix venue d’outre-tombe n’est-ce-pas ? C’est bien une vocation ? Non car il se trouve que j’ai souvent entendu parler du… Talent de vos semblables, mais je n’ai jamais eu l’occasion et le plaisir d’y goûter. »

Cette phrase pouvait sembler banale, une conversation normale. Mais l’intonation du noble ne laissait absolument aucun doute. Son ton était avilissant et sale. On sentait qu’il connaissait parfaitement la nature des prestations que pouvaient offrir les Kestra’chern, et loin d’avoir un quelconque respect pour leur travail, ses mots appuyés et précis ne laissaient guère de doute. Pour lui ils n’étaient finalement rien de plus que les deux femmes qui venaient de quitter sa chambre.

« Bien une fois la chambre terminée, nous pourrons commencer. J’ai besoin d’un massage. Rien de plus. Mon dos est particulièrement fatigué, l’homme qui nous a conduit jusqu’ici n’avait absolument aucun talent pour son travail, j’éspère qu’il n’en sera pas de même de vous »

De toute façon pour aujourd’hui Arsène était rassasié, et il ne voulait rien de plus qu’un peu de relaxation. Il n’en serait surement pas de même si il y avait d’autres rendez-vous, pensa-t-il, laissant un sourire malsain naître sur ses lèvres.

[Pluiechantante]

Pluiechantante haussa un sourcil. Qu'il ait passé la nuit en bonne compagnie lui semblait assez normal. Que se fut avec deux filles ne lui posait aucun problème. Mais qu'il les congédie de la sorte la choqua. Elle garda cependant un visage relativement neutre.
Il revint s'assoir, et la Kestra'chern se dit qu'il lui faudrait beaucoup de courage pour s'occuper d'un patient tel que lui. Visiblement, il traitait toutes les femmes comme ses choses, sa mère y compris. Elle ne doutait pas qu'il la traiterait sans doute aussi mal que les deux jeunes filles.
Elle répondit le plus poliment qu'elle put à sa question du noble, étant cependant limité par sa maîtrise moyenne de la langue. Elle comprenait quand même suffisamment le Valdemaran pour percevoir les sous-entendus de sa déclaration, mais ne releva pas. Après tout, il était libre de croire à ce qu'on racontait. Elle n'allait pas le détromper, en tout cas pas tout de suite.

" Je fais ce métier depuis toujours, Seigneur. Depuis l'adolescence. Je n'ai jamais arrêté, oui? Je vis de ce travail. J'ai toujours été Kestra'chern au fond de moi. Avant même de savoir moi-même.  "

Elle acquiesça.
* Comme si j'allais te faire autre chose qu'un massage, de toutes façons.*

" Je comprends, la route est pas toujours bonne, le trajet est long. "

Elle se leva et rassembla ses affaires, se sentant comme un condamné qu'on conduisait à l'échafaud... ou plutôt, comme la brebis pénétrant dans l'antre du loup. Heureusement, cette brebis-ci avait elle aussi des crocs.

[Arsène Krohp]

D’un geste ample, avec emphase, et en faisant trop comme toujours, le noble jeta à terre sa robe de chambre, avant de s’allonger sur son lit

-Au travail je vous prie.

Il aimait que les choses soient bien faites. Il se surprit à sourire, c’était déjà la troisième femme qu’il allait payer dans cette chambre pour s’occuper de lui.

-D’où venez-vous exactement ? Et que faites-vous par ici ? Ce pays est surement très étrange pour vous, nos manières civilisées doivent vous étonner parfois non ?

Les étrangers, n’étaient après tout, QUE des étrangers. Ils profitaient de la terre d’Haven, ils profitaient du travail de ses nobles, et en plus il fallait les payer. Franchement que venaient-ils chercher ici ? Ils n’étaient pas bien chez eux ? Peu importe, du moment qu’ils acceptaient de donner du plaisir à Arsène, le reste pouvait encore passer. Il pouvait même les supporter.

-Et insistez bien sur le bas de mon dos. Cette partie est particulièrement sensible !

Les rideaux étaient clos,  et les seuls raies de lumières qui arrivaient à passer s’étouffaient dans la fumée de ses bougies. Il était là, allongé nu sur son lit, et attendait que la femme soit prête à s’occuper de lui.

-A ce que j’ai pu remarquer vous avez encore des difficultés avec notre langue. Peut être pourrai-je vous donner des cours… De langue…

Bien sur absolument rien de neutre dans sa proposition, et ses cours de langues se passeraient surement en silence.

[Pluiechantante]

Pluiechantante avait l'habitude des corps nu, évidemment. Mais rares étaient les patients qui se déshabillaient avec aussi peu de pudeur que cette homme.
Pendant qu'il s'installait, elle prépara ses "outils" de travail, c'est à dire avant tout une ou deux huiles et des serviettes.
Visiblement, l'homme ne pouvait s'empêcher de parler, aussi pendant que la Kestra'chern chauffait brièvement son huile à la flamme d'une bougie, elle répondit.

"Je viens de Griffon Blanc... Près de l'empire Haighlei. Nous sommes K'Leshya, vous savez... Kaled'a'in... Cousins des Taleydras et Shin'a'in. Je suis ici car mes pieds m'ont amené ici... J'ai beaucoup marché, oui. Je voulais un endroit pour travailler avec moins de... euh... de monde qui fait la même chose que moi ? Et je me suis dit : pourquoi pas aller là où ils ont les beaux chevaux blancs, les Compagnons. Je trouve ce pays étrange, mais joli... j'aime beaucoup. "

Elle passa sur l'insulte. On ne gardait pas longtemps ses clients si on ne savait pas tenir sa langue quand c'était nécessaire.
Son huile étant maintenant agréablement tiède, et ses mains aussi, par la même occasion, elle vint donc s'installer à côté du noble pour rectifier sa position et lui glisser un coussin sous les tibias.
Elle écouta ses désirs, acquiesça silencieusement et répondit à la remarque sur ses capacités linguistes par un sourire.

" Oui, le Valdemaran est dur pour moi. Mais j'apprends doucement, oui... à mon rythme. Ça ne fait même pas un an que je suis dans ce pays... Et tous mes patients m'aident à parler bien, car je suis forcée de parler avec eux."

Elle commença par chercher du bout des doigts les points de douleur, en frôlant légèrement la peau de sieur Krohp. Effectivement, le bas de son dos semblait complètement crispé, mais il en allait de même pour sa nuque... sans doute avait-il "dormi "dans une drôle de position.
Le massage à proprement parler débuta. Elle fit couler une petite quantité d'huile parfumée dans ses main avant de s'attaquer aux épaules et à la nuque de son patient. La peau blanche de l'homme témoignait de sa qualité de noble... son manque de musculature aussi d'ailleurs.
Elle rechignait un peu à s'assoir sur lui, comme elle le faisait d'habitude lorsqu'elle massait sur un lit, mais finalement, elle dut s'y résigner, car elle pouvait difficilement travailler efficacement dans cette position. Elle disposa donc une des serviettes sur l'auguste postérieur de Krohp avant de prendre place au-dessus de lui.
Un lit n'était pas le lieu idéal pour masser. Elle regrettait de ne pas avoir de cabinet, et donc de véritable table de massage, qui ne l'obligerait pas à se mettre dans des positions aussi... grotesques.

[Arsène Krohp]

Les compagnons…

S’en suivit un soupir de dédain qui était plus que suffisant pour connaître l’avis du noble sur ce sujet.

Mon avis, est qu’on attribue bien trop de pouvoir à ces bêtes. Après tout ce ne sont que des chevaux ! Et à part être monté, ou servis en steak je ne leur vois absolument aucun interêt. Ha oui ils sont blanc. La belle affaire ! J’avais une jument blanche dans mon domaine, la bestiole s’était faite prendre par tous les mâles du coin, à tel point qu’elle était devenue inutile à force d'avoir trop enfantée. Et croyez-moi blanche ou pas, ce n’est qu’un canasson qu’il a fallu abattre !

Mais mine de rien, et malgré la position qu’il trouvait cavalière de sa partenaire, l’homme se détendait, et le massage semblait efficace. Lui qui espérait pouvoir de nouveau se défouler sur un incompétent avait trouvé une personne capable. Et Arsène avait énormément de défaut, certes, mais il appréciait le travail bien fait, et les travailleurs compétents. Les autres n’étaient rien, mais eux étaient l’avenir. Et on ne se met pas l’avenir à dos.

Je dois avouer, que j’espérai que tu ne sois qu’une incompétente de plus, pour pouvoir te rabaisser et t’humilier. Mais il se trouve que tu es en effet très compétente dans ton domaine. Je sens déjà certaines douleurs disparaitre, voir même une décontraction dont je ne me croyais pas capable.

Il faut dire qu’il était bien loin de chez lui, et qu’Haven lui demandait d’être constamment sur ses gardes, à l’écoute. Il devait avoir un coup d’avance, c’était comme cela qu’on marchait par ici. Si il voulait que ses affaires prospèrent, il devait toujours tout savoir avant les autres, tout connaître. Cette partie d’échec géante le stressait, et forcément l’impact sur ses muscles s’en ressentait.  Il était qui plus est sur une affaire des plus importante, qui mobilisait une très grosse partie de son énergie.

Vous savez, il n’y que peu de chose que je respecte dans ce monde. Moi bien sur. L’argent cela va de soit. Le pouvoir évidemment. Et aussi les gens compétents. Car je sais qu’il n’y a que bien entouré que les visionnaires peuvent devenir des Grands. Et tu fais parti des gens compétents. Dis-moi. Qu’elle est ton plus grand désir dans cette ville ? Que veux-tu plus que tout au monde ?

Pour la première fois depuis que Pluie était arrivée, l’homme semblait sincère. Cela en était presque troublant d’ailleurs. Sa voix ne trahissait aucun sentiment de supériorité, ni même de moquerie. Non, la question était franche, direct, sans détour, et visiblement, chose étonnante, sans arrière pensée.

[Pluiechantante]

Pluiechantante se doutait bien du peu d'amour qu'Arsène ressentait à l'égard des Compagnons. Elle l'avait vu lors de l'annonce, et il aurait été difficile d'ignorer ses réflexions à ce propos. Elle laissa donc les paroles du noble glisser sur elle sans vraiment les écouter.
Elle fut par contre surprise de l'honnêteté soudaine du sieur Krohp. Elle s'attendait à des réflexions grivoises, à des remarques désobligeantes, voire à des insultes, mais pas à ça. Bien qu'il ne puisse pas la voir, la Kestra'chern lui fit un sourire.

" Merci..."

Elle s'appliqua à dénouer les muscles de l'épaule droite de son patient. Rares étaient les personnes - droitières évidemment - qui n'avaient pas de douleur dans cette zone. Quand elle fut satisfaite, elle descendit ses mains vers le milieu du dos et descendit le long du dos, appuyant de part et d'autre de la colonne avec son pouce. Elle fit le geste plusieurs fois avant de se concentrer plus spécifiquement sur la zone située en-dessous des omoplates.
Elle était totalement concentrée, et n'écoutait que d'une oreille, acquiesçant machinalement. Puis elle réalisa qu'il lui avait posé une question.

" Moi? Ce que je veux ici? Un endroit pour mieux travailler. La chambre des patients est pas bien pour ça. Les lits sont trop mous, trop grands. Je peux pas marcher autour pour tout masser... Pas pratique, oui..."

Elle marqua une petite pause pendant laquelle elle remit un peu d'huile dans ses mains. Puis elle remit à masser.

" Mais je ne veux rien "plus que tout au monde". Juste vivre ma vie en paix. Juste travailler et aider, oui. Pas besoin d'autre chose... Et vous? Quel grand désir?"

C'était quoi ces questions? C'était la première fois qu'on lui demandait ça. Elle était bien plus habituée aux questionnements philosophiques de ses patients.
Elle trouvait cet homme vraiment difficile à cerner. Mais visiblement, même les pires ordures pouvaient se révéler agréables, parfois.

[Arsène Krohp]

-Quel grand désir ?

Le noble était songeur, presque rêveur, un instant il n’était plus avec Pluie, il était dans un royaume entier qui lui obéirait, un royaume pour lui, rien que pour lui. Il éclata d'un petit rire.

- Ce que tous les hommes désirent. Du pouvoir, et toujours plus de pouvoir. C’est prétentieux, c’est inutile, mais finalement où que l’on soit, et quelque soit notre domaine d’activité, ce qu’on recherche c’est être meilleur n’est ce pas ? Et moi mon domaine c’est le pouvoir.

Arsène retourna vivement la tête, regardant Pluie de la tête au pied.

-Que dirais-tu si je pouvais t’offrir le cabinet dont tu rêves ? L’endroit que tu désires, tu le choisirais, avec qui tu veux, je me moque de ca, ca n’a pour moi absolument aucun interêt. Je te l’offre.

L’homme laissa passer un silence dans la salle enfumée. C’était le genre de proposition que l’on faisait rarement, et encore plus venant du jeune noble c’était le genre de proposition qu’on ne s’attendait pas à entendre.

-Bien sur il y aura une contrepartie. Rien de sexuel ne t’inquiète pas. Non. Comme je t’ai dit, j’aime les gens compétents, et dans mon domaine d’activité, j’ai besoin de savoir des choses, j’ai besoin aussi d’être soigné, et bien soigné. On négocie bien mieux un contrat quand on est décontracté. Je désire être soigné par toi, et uniquement par toi. Je le répète, mais ne t’inquiète pas, je ne mélange que rarement plaisir et travail.  L’autre contrepartie, sera qu’une fois que tu auras ton cabinet, tu auras des clients, et qui dit client, dit secrets. Des gens me voudront bientôt du mal, je le sais, cela fait partie de mes fonctions. Je te demanderai juste d’être à l’écoute.

Le noble replongea la tête dans son lit, laissant la jeune femme continuer son office.

-L'offre est simple finalement: un cabinet, je me moque du prix de ce bien, je me moque aussi complétement de l’endroit où il est, de ce à quoi il ressemble, ou chai pas quoi d’autre encore. Mes revendications tu les as, à toi de choisir. Mais je te préviens, cette offre a une durée limitée, tu as interêt à te décider vite.

[Pluiechantante]

Pluiechantante se demanda si l'homme plaisantait, mais ce n'était visiblement pas le cas. La plupart des hommes qu'elle connaissait ne désirait pas spécialement le pouvoir. Mais il était sérieux, et la Kestra'chern se demanda ce qu'elle était censée répondre, quand il enchaîna sur une proposition des plus folles.
Spontanément, dans son innocence la plus complète, elle aurait dit oui, bien sûr, évidemment. Elle se retint cependant. Elle manquait peut-être de sérieux, mais elle n'était pas stupide. Elle comprenait parfaitement ce qu'un tel arrangement impliquerait. Elle savait aussi qu'elle était suffisamment maligne pour en tirer avantage, et peut-être même servir une cause plus grande.
Elle se mordit la lèvre. Que dire? Ses mains continuaient machinalement leur ouvrage pendant qu'elle réfléchissait.

" Ça n'est pas très possible... C'est très cher... et puis, avec la guerre qui va peut-être arriver... Moi je vous garde comme patient, oui. Pas de problème."

Elle était bien trop perturbée pour faire de longues phrases, surtout dans une langue étrangère. Elle se demanda si vraiment  cet homme pouvait l'aider, ou s'il ne s'amusait pas à ses dépends. Il avait l'air sérieux, et Pluie était tiraillée entre son envie et sa conscience qui lui soufflait de ne rien accepter d'un tel homme.

" C'est très gentil que vous pensiez à moi, oui... Gentil de vouloir m'aider."

Elle repoussa ses interrogations pour poursuivre son massage, et elle commença enfin à traiter la douleur pour laquelle on l'avait fait venir. Elle procéda doucement, car elle savait que la zone était sensible, et elle ne voulait pas risquer de crisper davantage les muscles. Elle devait quand même appuyer plus que plus prévu, pour passer outre les poignées d'amour du noble.
Elle remit à nouveau de l'huile dans ses mains avant de s'appliquer à "chauffer" la zone par de rapides mouvements.  Heureusement, ses muscles ne s'étaient pas trop raidis autour de la zone meurtrie, ils étaient donc relativement faciles à travailler.

[Arsène Krohp]

La jeune femme savait s'y prendre, et cela lui plaisait. Même si elle semblait plus que réticente à accepter son offre.

- Ne fais pas la difficile Pluie. Je pense que tu n'as aucune idée de l'argent dont je dispose. Je pense même être un des clients les plus riche que tu n'aies jamais eu ! La guerre tout ca, ce ne sont que des broutilles. Pour moi la guerre, cela veut juste dire gagner encore plus d'argent, je vis dans un monde dont tu ne peux même pas imaginer les rouages.

l'homme balaya d'une main molle l'intégralité de la salle.

-Il n'y a que les soldats, les dirigeants, et les pauvres gens qui sont touchés par la guerre. Les hommes comme moi, les hommes d'affaire, nous nous en sortons toujours, car quelque soit le parti, il a besoin de nous!! Non ca ne sera jamais un soucis. La véritable raison de mon offre, est qu'il me sera beaucoup plus facile d'avoir des contrats juteux, si ils ont un endroit où se faire masser avant. Et si je t'offre ce lieux, alors je sais déjà qu'ils ne seront pas accueilli dans un bouge par la première prostitué du coin qui se proclamera masseuse pour pouvoir s'en prendre à leur bourse. J'ai besoin de savoir où vont les gens avec qui je dois négocier, et si je ne peux controler leurs besoins, et leurs désirs, je peux au moins controler où ils vont, et c'est là que tu entreras en scène.

L'homme se tourna vers elle, interrompant momentanément son massage.

-Comprends-tu ce que je te dis ? Pour moi t'offrir ton salon, est un investissement, un pari sur mon propre avenir. Je n'aurai pas d'ingérence dans ce que tu fais, je m'en occuperai pas. Tu géreras ta clientèle et tes services "spéciaux" comme tu l'entends. Mais parcque je t'aurai offert le lieu, l'endroit, je pourrai approuver le niveau de ton établissement, et donc y envoyer mes clients sans risquer de les perdre, mais au contraire pour les rendre plus malléable à nos négociations.

L'homme se réinstalla confortablement, laissant la jeune femme reprendre son activité.

-Tu es un pari sur l'avenir pluie. Et avoues quand même qu'il te serait plus facile d'officier dans un lieu à toi, plutôt que dans des chambres de noble non ? De plus tu y gagnerais ton indépendance, et cela enléverait beaucoup du risque que tu encours dans une chambre avec un homme non ?

[Pluiechantante]

Décidément, sous cet air vulgaire se cachait un esprit acéré. Ou en tout cas très politicien. Et il semblait adorer parler... et tenir de drôles de théories. Peut-être avait-il raison, peut-être la guerre ne touchait-elle pas les riches... mais ce n'était pas son cas à elle.

"La guerre me touche moi... moins d'argent, moins de patients. Et je dois peut-être aller soigner les soldats, oui... peut-être on me re...on vient me chercher... je ne peux pas oublier la guerre..."

En même temps, si elle acceptait l'aide du noble, elle aurait sans doute moins à souffrir de la guerre... L'homme semblait à tout prix vouloir la convaincre. Il gigotait, l'empêchant ainsi de continuer son travail.

"Je sais pas..."

Ce n'était pas que Pluie doutât de sa fortune, ou qu'elle repugnât à être "achetée", non, c'était l'usage que le noble voulait faire de son salon qui lui déplaisait. Elle n'était pas certaine que toutes les affaires de Krohp soient bien honnêtes.
Il lui promettait de ne pas se mêler de la gestion de son salon, certes...
Il se réinstalla, et elle put reprendre son massage. Puis, le noble fit une remarque sur sa sécurité, et Pluie manqua d'éclater de rire.

"Pas peur des hommes! Connaître comment faire du bien, c'est aussi connaître comment faire du mal. Je veux pas faire mal, mais je peux para...paralyser un homme si je dois. "

Elle se tut quelques instants pour reprendre son sérieux.

"Je dois répondre maintenant? Je peux pas réfléchir un peu? J'aime pas être pressée."

Si elle pouvait avoir quelques jours pour réfléchir, elle serait certaine de prendre la bonne décision.

[Arsène Krohp]

- Bien sur que vous pouvez réfléchir, mais ne perdez pas trop de temps à cela ! C'est une offre qu'on ne vous refaira pas de sitôt, c'est même une offre très généreuse. Bien sur prenez votre temps, demandez aussi conseil à un ami ou un client, je suis sur qu'il pourra vous apporter ses lumières sur le sujet

 Il n'aimait pas qu'on lui résiste, mais il ne forcait pas, il préfèrait une victoire à la régulière. Bien sur si cette dernière n'était pas possible, alors il faudrait trouver d'autres solutions. Mais bon.

- Je suppose en effet que vous savez vous défendre, mais cela n'empêche qu'avoir un lieu à vous est nettement plus rentable et agréable que de ne jamais savoir où vous allez devoir pratiquer votre art non ?

La guerre, les militaires, tout ce genre de chose. Arsène se moquait bien de leur bonheur ou de leurs douleurs, ces hommes ne sont finalement que de la chaire à canon, des pions sacrifiables, quantité négligeable. Mais visiblement la jeune femme s'intéressait à leur sort. Peut être qu'il pourrait aussi jouer là dessus.

- Et pour ce qui est des militaires, ceux qui seront blessés, seront sans aucun doute rapatriés, et même si le collégium dispose de chambres disponibles pour les blessés, un lieu supplémentaire où les stocker et les soigner ne sera, je n'en doute pas, surement jamais de refus ! Et avec l'argent que je dispose vous pourriez avoir un lieu qui pourrait accueillir bien plus qu'un seul patient à la fois si le besoin s'en faisait sentir.

Et pour le noble, savoir que plusieurs chambres étaient disponibles, étaient contrairement au soldat, non négligeables pour ses affaires !

- Prenez votre temps, réfléchissez-y, regardez en ville si vous trouvez un lieu qui correspond, même si vous n'acceptez pas, pour vous décider. Et dés que vous le savez, revenez me voir, où faites moi parvenir un message

[Pluiechantante]

Pluie acquiesça en silence. Elle sentait l'embrouille, mais ne parvenait pas à distinguer clairement ses traits.
Tant pis. De nature heureuse, la Kestra'chern ne s'alourdissait pas l'esprit de réflexions sans fin. Ses doutes, elle les déposait dans un coin de sa tête, et régulièrement, elle prenait un moment pour faire le tri, classer définitivement les problèmes réglés, et travailler sur ceux en suspend.
Elle réfléchirait à la proposition du noble plus tard, dans un bon bain, ou au chaud dans son lit.
Elle put ainsi porter toute son attention sur la fin de son massage. Elle refit un tour complet du dos, et acheva la séance par un étirement des mains et des doigts de son patient.  
Elle le recouvrit enfin du drap et alla s'essuyer les mains sur sa serviette.

" J'espère que c'est bon maintenant, oui. Restez tranquille encore quelques instants. Pas bouger trop vite. "

Elle était heureuse d'avoir terminé. Elle n'aimait pas tellement la pièce. Elle ne se sentait pas à l'aise. Le risque de se faire prendre au piège était trop grand.
Jamais encore elle ne s'était frotté à ce genre de personne. Non pas que les manipulateurs soient absents de sa ville natale. Simplement, ils ne possédaient pas tant de pouvoir et de richesse. Ils n'avaient donc généralement rien qui puisse attirer une jeune femme comme Pluie, dont les seuls préoccupations étaient son métier et son bien-être (les vêtements et les parures en faisant indéniablement partie).
Mais cet Arsène, lui, pouvait offrir à Pluie ce qu'elle désirait. Il pouvait aussi la détruire, ou simplement l'empêcher de réussir. Elle devrait donc se montrer très prudente.
Tout en méditant sur les nobles en général, la K'Leshya rangea ses affaires. Elle remit tout dans son sac, et revint près de lit pour voir ce que devenait son patient.