Yvelin était de bonne humeur ce matin-là, car aujourd'hui, il retournait chercher son théorbe chez le luthier. Son fidèle compagnon, qui avait supporté le froid, la neige, la canicule, l'humidité, n'avait pas résisté à la curiosité de son plus jeune neveu. Celui-ci avait été fasciné par l'instrument de son oncle lors de la fête du Solstice, et il avait pépié à longueur de journée à ce sujet, à tel point que Clarisse avait fini par écrire à son frère qu'il devait venir la voir. De toute urgence. Avec son instrument. La missive avait surpris Yvelin, qui avait décidé d'aller voir ce que sa sœur lui réclamait. Il avait fini avec son neveu sur les genoux qui voulait absolument apprendre à jouer. Sauf qu'un Théorbe était un très gros instrument, aux cordes bien trop dures pour un jeune enfant. Mais celui-ci avait néanmoins regardé, fasciné, son oncle en jouer et lui expliquer les positions des doigts, les tonalités et tout un tas de notions très obscures. Ils avaient ensuite chanté ensemble, et Yvelin était parvenu à la conclusion que son neveu avait hérité du Don, lui aussi. Il était encore un peu jeune pour qu'on puisse être totalement certain, mais le Barde ne pensait pas se tromper. Cela lui fit plaisir. Il n'aurait jamais d'enfant avec qui partager sa passion, il serait donc heureux de prendre son neveu sous son aile.
À la fin de l'après-midi, l'enfant, enhardi, avait tout de même tenté de jouer du bel instrument. Il était parvenu à arracher quelques notes plaintives et tout fier, s'était mis à s'amuser avec les clefs. À force de les tourner dans tous les sens, l'une d'elles lui était restée dans les mains. Yvelin avait empêché sa sœur de gronder l'enfant plus que nécessaire. Cette clef était branlante depuis des décades et elle n'aurait sans doute pas survécu à un voyage de plus.
Sur le chemin du retour, il s'était donc arrêté chez son luthier, qui lui avait promis de réparer l'instrument, tout en l'avertissant qu'au vu de son âge, ce genre d'incidents ne pourraient que se répéter. Yvelin le savait bien, mais il n'avait pas les fonds nécessaires pour acheter un nouvel instrument. Pas encore.
Alors qu'il traversait le hall du Collegium des Bardes, pressé d'aller chercher son instrument, un magnifique jeune noble se dirigea vers lui. Yvelin se figea. Dieux! Il ressemblait à Ben. Les mêmes yeux. Le même sourire. Existait-il à Haven un homme aussi beau que le jeune fermier?
Le jeune homme vint à sa rencontre, lui serra vigoureusement la main pour lui annoncer son nouvel état avunculaire.
«Euh... euh...» *Yvelin, calme-toi. Respire. Ferme la bouche. Réfléchis.* «Félicitations à vous! Tous mes vœux à la mère et à l'enfant!»
Il hésita, la main toujours dans celle du beau noble.
«Hum... vous cherchez quelqu'un, j'imagine? Un frère? Une sœur? Un ami? Une petite amie?»
Yvelin se morigéna d'avoir posé cette dernière et indiscrète question. Depuis quand s'intéressait-il aux amours des hommes qu'il ne connaissait pas?