Thalyana se demanda comment elle en était venue à parler d'éducation avec Beltran de Greenhaven, chef des armées du pays. Comment pouvait-elle l'aider? Elle était enceinte, simplement enceinte. Le mode d'emploi n'apparaissait pas magiquement dans l'esprit des femmes quand émergeait la vie dans leur ventre. Elle avait bien surveillé des cousins quand elle était plus jeune, mais on ne lui avait jamais demander de leur inculquer quoi que ce soit. Thalyana avait certes son avis sur la question, mais elle ne pouvait garantir qu'elle serait de bon conseil.
«Mais tout est important pour elle. Comme pour vous tout à de l'importance. Après tout, c'est de son monde dont elle vous parle. Le plus simple est encore de répondre. Elle ne gardera finalement que l'essentiel en grandissant, le bien, le mal, l'honneur, mais aussi la curiosité intellectuelle. Elle grandira aussi avec la certitude d'être aimée et écoutée. En plus, les enfants mettent souvent le doigts sur des choses qu'on ne voit plus, ou qu'on ne veut pas voir. Même si ce qu'elle vous raconte vous paraît absurde, ou pas de son âge, répondez-lui. Mieux vaut qu'elle obtienne une réponse de vous plutôt qu'auprès d'un autre... ou qu'elle se fasse des idées bizarres.»
Liane semblait très douée pour se faire des idées bizarres. Son monde était très compliqué, peuplé de choses mystérieuses et magiques, là où un autre ne verrait rien que de très banal.
Beltran de son côté semblait ne pas se remettre de son coup de folie, lors du retour des troupes. Thalyana le trouva beaucoup moins impressionnant, intimidant. Il n'était au final qu'un homme un peu plus réservé et pudique que les autres. Qui faisait quand même la cours aux jeunes filles en fleurs. En public! Le prétexte trouvé par le Capitaine amusa beaucoup la Guérisseuse.
«Ça je n'en doute pas. Mais ils ont tous été tellement surpris que vous ayez des sentiments, comme tout le monde...»
Vraiment, la fillette était trop mignonne. Elle insistait pour chanter maintenant, comme si la vie de quelqu'un (la sienne probablement) en dépendait. Son Empathie rendait son discours plus convainquant encore, car elle avait dû percevoir quelque chose qui la poussait à vouloir aider tous ces gens... ou pas.
« On peut aller dans la salle de repos si tu veux. Tu pourras chanter pour ceux qui sont là. Et ensuite tu rentreras avec ton père, d'accord? Je suis certaine qu'il a très envie de chanter avec toi. Ou de te donner des cours de danse.» Elle lança un regard malicieux à Beltran.
Beltran tentait vainement de garder la main mise sur la conversation, et malgré les interruptions incessantes de l'enfant, il continuait à se remettre gentiment du choc que lui avait causé la révélation de sa grossesse. Au moins se montrait-il serviable. Elle était heureuse de trouver chez le chef des armées un peu du bon sens qu'il manquait aux autres. Elle avait craint qu'il insiste lui aussi pour la renvoyer à des tâches plus en accord avec l'idée que les gens se faisaient de la maternité.
«D'autant qu'en tant que Guérisseuse, il me semble que je suis mieux renseignée sur ce que peut ou ne peut pas faire une femme enceinte. Merci.»
Thalyana trouvait le Capitaine et sa fille vraiment touchants ensembles. Pas étonnant que les soldats deviennent un peu gâteux avec ses deux-là à la caserne. Et elle ne doutait pas que Liane profite de toute la sympathie qu'elle attirait pour les mener par le bout de nez. Une vraie petite femme.
«Les soldats font de très bons pères. Ils connaissent la valeur des enfants, et ça leur donne une raison de se battre... et de survivre. Pour autant, je crains qu'ils ne soient déçus. Elle aura très vraisemblablement de l'Empathie, alors la vie de mercenaire... Mais elle apprendra les bases du combat, j'en suis certaine. Entre un père et un grand père combattant, elle n'aura guère le choix.» Elle poussa un long soupir. «Sans compter effectivement ses nombreux parrains auto-proclamés. Et son éventuel parrain, vu que je suis certaine que ce sera forcément un soldat. Je laisse à Kalaïd le soin de le désigner.»
Elle avait déjà choisi la marraine. Enfin, elle s'était un peu choisie seule, ou par le biais du hasard. Bref, le petit têtard avait une marraine.
Le jeune femme dut contenir un éclat de rire quand Liane affirma que la nourrice ne savait pas faire les bébés. Elle ne connaissait peut-être pas la théorie, mais la pratique, par contre... Elle lança un regard amusé au Capitaine alors qu'elle rougissait un peu, sans trop savoir pourquoi.
Liane revint s’asseoir à ses côtés, après un duel de haute lutte avec son père, duel qu'elle remporta sans coup férir. Sa question fit rire Thalyana, et la réaction de Beltran plus encore. Elle s'amusait beaucoup, finalement.
« Je ne vois aucun problème à cette question.» Elle se tourna vers Liane. «Tu sais, dans beaucoup d'endroits, un bébé ne reçoit pas tout de suite de prénom. On attend qu'il naisse, et souvent encore quelques jours, pour le connaître, tu vois...» * Enfin... surtout pour voir s'il va survivre* Répondre sérieusement à une question n'impliquait pas forcément de tout révéler.«Mais comme je la connais déjà...» *et qu'elle devrait survivre vu qu'elle est en très bonne santé, et moi aussi*«...j'ai déjà pu choisir son nom. Elle s'appelle donc Amalia. Comme ça on reste avec les voyelles "a" et "i" dans la famille.» Elle sourit. Elle n'avait réalisé ce fait qu'après avoir décidé de lui donner ce nom. «C'est un nom de noble. J'espère qu'avec lui elle aura une bonne vie.»
Elle n'était pas certaine de croire à ces histoires de prénoms qui influençaient le caractère. Pas contre, elle était persuadée qu'un nom de noble ouvrait les bonnes portes.
Elle se releva en proposant sa main à la fillette.
«On va dans la salle de repos alors?»
Demander l'avis de Beltran ne lui avait même pas effleuré l'esprit.