Inconsciente des questions que se posait son interlocuteur sur ses motivations, Dyalwen essayait déjà de faire le tri dans ses propres interrogations. Ce n’était pas le fait de savoir si une balade était une bonne idée ou pas qui lui posait question – Tisia soutenait que non mais la Grise ne voyait vraiment pas où se trouvait la contre-indication du moment qu’elle ne forçait pas sur sa jambe ; on ne lui avait pas interdit de marcher après tout – mais plutôt le comportement du jeune homme. Aux écuries, pendant l’attaque de la ville, il avait été particulièrement mal aimable et la rouquine l’avait d’office catalogué dans les personnes non fréquentables, à éviter. Mais là, elle était obligée de réviser son jugement. Depuis le début de leur conversation, il s’était montré parfaitement poli et avait même laissé couler son indélicatesse à elle. C’était sans doute le stress qui avait modifié son comportement le jour de l’attaque.
Résolue à repartir sur de bonnes bases, même si elle se sentait toujours un peu mal à l’aise, et malgré la fatigue et cette fichue blessure qui la démangeait toujours, Dyalwen tâcha de raffermir son sourire. Un nouveau coup d’œil à Veladora lui apprit que le forgeron avait terminé de modifier son fer et qu’il était en train de le clouer au pied de la jument.
« C’est parfait comme ça, » acquiesça-t-elle simplement quand le jeune homme proposa qu’ils se retrouvent à la porte du château après qu’elle eut ramené Vela à son box.
Une petite pointe d’inquiétude fit toutefois son apparition quand il déclara qu’il préférait une sortie en ville plutôt qu’ailleurs. La ville était en contre bas du palais et plus loin que les jardins ou le Champ des Compagnons, et…
Tu ne devrais pas y aller.
La remarque du Compagnon suffit à raviver l’agacement de la Grise… et son esprit de contradiction.
Je ne vois pas pourquoi.
Tu ne dois pas forcer.
Je ne vais pas forcer, je vais juste marcher.
Et, pour ne pas laisser le temps à Tisia de répondre, elle revint aussitôt à son interlocuteur… qui se présentait et reparlait de la balade et lui demandait son nom. Tout ça dans le désordre. Un peu surprise, Dyalwen garda le silence le temps qu’Allister précise sa pensée. Bon. Si elle était fatiguée, elle n’était peut-être pas la seule. Et, pour le coup, toutes les réserves qu’elle pouvait encore conserver suite à leur première rencontre s’évanouirent.
« En ville, ce sera très bien. Je n’y suis pas allée très souvent depuis mon arrivée à Haven. »
D’abord, il y avait eu son adaptation au Collegium, puis son Élection, puis son recrutement comme assistante du Héraut du Roi, puis la préparation de l’attaque sur Haven. Son temps libre s’était réduit comme peau de chagrin et le peu qu’elle pouvait grappiller, elle le réservait à Vela.
« Il faut juste que je sois revenue dans deux heures. Pour mes corvées. »
Elle tenta un nouveau sourire, un peu moins hésitant que le précédent, cette fois.
« Et je m’appelle Dyalwen. »
Le forgeron reposait le sabot de Veladora, et la rouquine se détourna donc de son interlocuteur pour revenir à sa jument. Elle lui flatta l’encolure en remerciant l’artisan, puis décrocha la longe avant de se tourner à nouveau vers Allister.
« À tout de suite. »
Et tâchant d’ignorer la gêne de ses bandages, elle prit la direction des écuries. Comme à l’aller, l’alezane calqua son allure sur la sienne, et la Grise atteignit sans encombre sa destination. Si on excluait la désapprobation palpable de Tisia dans son esprit et ses quelques commentaires désagréables.
Tu n’es pas raisonnable.
Quoi ? Tu devrais être contente, je ne m’occupe pas de Vela.
En effet, après avoir remis la jument dans son box et lui avoir caressé une dernière fois le chanfrein, elle quitta le bâtiment pour prendre la direction de la porte qui donnait vers la ville.
Au moins, avec ELLE, tu ne marcherais pas.
Oh, c’est bon ! Si je t’écoutais, je resterais assise dans un coin en attendant l’heure de rejoindre le bureau d’Alemdar.
Ça, ce serait raisonnable.
Agacée, Dyalwen haussa les épaules, aussi bien physiquement que mentalement et s’appuya contre le mur, près de la porte, en attendant qu’Allister arrive. S’il arrivait.