Elle était gentille. Très gentille. Il voyait bien qu’elle lui cherchait des excuses pour son passé.
- J’ai abandonné mon enfant
Sa voix grave remplit l’espace, il ne dit que ça, ces simples mots résonnèrent dans la pièce, et il les laissa s’éteindre. Il voulait qu’ils imprègnent les murs, de ce qu’ils étaient. Une vérité implacable et froide contre laquelle on ne peut rien.
On pouvait lui trouver toutes les excuses du monde, il les avait lui-même cherché pendant des années : la guerre, la famine, la peur, les missions, l’insouciance, la jeunesse, l’incapacité. Il ne restait au final que ces 5 mots qui étaient le seul et unique fait :
j’ai abandonné mon enfant.
- Ne t’en fais pas Enora, je ne cherche pas à être consolé, ni même à refaire le passé. J’ai depuis longtemps accepté. Je ne me cherche pas d’excuse, j’ai eu 12 ans pour m’en trouver, et aucune n’a jamais valut le coup. Peu importe mes raisons, elles n’étaient pas bonnes.
Il connaissait la situation qui se dessinait devant eux, ils s’engouffraient tous à pieds joints. Cette guerre sanglante qui verrait des morts, et des mutilés. Il savait aussi qu’il pouvait ne jamais en revenir comme tant de ses frères d’armes. Il mourrait alors là, seul, sa hache à la main et son regard vers le ciel en pensant uniquement à deux personnes. Sa femme qu’il abandonnait, et son enfant qu’il avait déjà laissé.
Voilà pourquoi aujourd’hui, voilà pourquoi ce soir.
- J’y pense beaucoup en ce moment, et je t’en parle car sa mère est décédée il y a peu. Une fièvre la prise, ça a été rapide. Ma fille est maintenant uniquement avec ses cousins, ses oncles, des gens qui ont autant de respect pour moi que de la paille sur une botte. Autant te dire, qu’en plus de l’abandon, elle doit avoir une vision de moi que je ne souhaite pas à mon pire ennemi.
Il prit une gorgée et reposa de dépit son gobelet sur la table. Celui-ci était déjà vide. Ils les faisaient moins grand qu’avant ou avait-il eu plus soif que d’habitude ? Peu importe, il fixait le bois de la table, son regard un peu perdu, il ne semblait pas triste, il souriait.
Il pensait aux jouets, à ses centaines de jouets qui dormaient dans une armoire. Peut être qu’il aurait du laisser tout cela dormir dans une armoire avec eux, bien au chaud.