Palais - Collegia > Palais

Regarde moi, même si je me cache dans les ombres...

<< < (2/2)

Aaron Greystoke:
Aaron perçut le sursaut de la karsite lorsqu'il posa ses mains sur les siennes, et il hésita à retirer ses doigts des siens. Qu'elle réagît ainsi lui fendait le coeur, mais il résolut de n'en rien laisser paraître, espérant qu'effectivement, ce n'était dû qu'à la nervosité dont elle faisait preuve depuis qu'elle était venue vers lui. Les larmes qui pointaient aux coins de ses yeux aussi et il eût aimé trouvé les mots parfaits pour la rassurer, mais il n'était absolument pas certain d'y parvenir. Pourtant il s'efforça de répondre avec autant de douceur, et d'honnêteté aussi, qu'il lui était possible de le faire. Et quand la jeune femme hocha simplement la tête, puis qu'elle lui sourit, il n'était pas certain d'y être parfaitement parvenu, mais il songeait que c'était au moins un peu le cas, en partie toujours. Il sentit la main d'Enju quitter les siennes pour venir se poser au-dessus d'elles, et un sourire tendre étira ses lèvres.

« Tu ne me perdras pas définitivement, tu sais. Pas tant que mon coeur battra encore. »

Il tenait beaucoup trop à elle pour ça. Un an, ça avait été beaucoup, beaucoup trop long. Il ne pouvait pas promettre qu'ils ne seraient plus jamais séparés aussi longtemps, physiquement, géographiquement, leurs différentes affectations pouvaient très bien le nécessiter un jour et même avec son Don premier, il n'était assuré de pouvoir réduire suffisamment la durée de certains voyages, sans risque tout du moins. Il eût aimé pouvoir le faire, cependant, et en tous les cas, était persuadé qu'elle aurait toujours sa place dans son coeur, à sa manière. Et si même une blessure comme celle-là ne parvenait pas à mettre un point final à leur amitié, à l'affection qu'il avait pour elle - il n'était pas vraiment capable d'en déterminer exactement la nature à présent mais ça n'avait guère d'importance -, il ne voyait pas comment ce pourrait être possible.

L'espace de quelques instants, il lui sembla donc que la secrétaire se détendait quelque peu. Pourtant, sa nervosité revint au galop, alors qu'elle s'apprêtait à reprendre la parole, et alors qu'il n'en déterminait pas encore la cause, il exerça une légère pression sur ses mains, cherchant silencieusement à l'encourager. Son hésitation l'inquiétait quelque peu, et quand il décrypta les premiers mots qu'elle prononçait presque péniblement, il dut bien admettre qu'il ne savait guère comment réagir. Il espérait seulement que la gêne de sa protégée n'était pas dû à la nature de sa relation avec Manuchan.

* Que ferais-tu si c'était le cas ?
- Je suppose que j'essaierais de lui montrer les choses sous un autre angle... Mais je dois bien admettre que... je crois que je serais un peu déçu... *

Après l'enthousiasme de Jalena auquel il ne s'attendait pas le moins du monde, il n'était pas sûr de bien encaisser une réaction opposée de la prêtresse de Vkandis.

« J'ai rencontré quelqu'un, oui. On plus exactement, j'ai fait plus ample connaissance avec un autre homme. Ca fait un moment que Manuchan est au service de Valdemar, mais au départ, c'était un Mage parmi les autres... Et parfois, le hasard fait bien les choses, il faut croire... »

Un hasard qui les avait menés tous deux dans la même taverne. Hasard qui avait voulu qu'ils eussent à peu près le même état d'esprit à ce moment-là. Hasard qu'il eût hérité d'un Don d'Empathie très peu maîtrisé aussi... et...

« Le hasard, un Don non maîtrisé et un certain destrier blanc, aussi, en fait. »

Le souvenir le fit sourire. Raïna l'avait littéralement poussé dans les bras de l'Adepte, et il ne s'en plaignait pas le moins du monde, mais il fallait bien admettre que ce n'était pas vraiment la façon la plus banale de le faire. Il allait cependant falloir qu'il explicite pas mal de choses, il le sentait bien. Il n'était pas certain que son interlocutrice eût vent de l'apparition de son Empathie et il ne doutait pas une seconde que ces quelques bribes ne l'éclairaient pas beaucoup. Mais n'étant pas très à l'aise avec les longs discours et ne sachant pas non plus par quoi commencer, il lui laissa le soin de poser les questions qu'elle jugerait nécessaire de formuler.

Enju Rakel:
Le soulagement. Voilà l'émotion qui prenait de plus en plus de place dans le coeur de la secrétaire karsite. Enju craignait de perdre Aaron plus que tout autre personne. Bien entendu, elle avait côtoyé nombre de personnes à Haven, et les avait toutes plus ou moins appréciées. Mais Aaron, c'était celui qui avait fait montre d'une patience à toute épreuve, d'un tact constant à son égard. Elle l'aimait bien trop pour pouvoir le perdre. Instinctivement, Enju respira mieux, effectuant sans même s'en rendre compte un rythme apaisant, comme lorsqu'elle méditait.

Bien entendu, son couple restait pour elle quelque chose qu'elle voulait accepter, mais elle avait beaucoup de mal à y parvenir. Il lui parla donc de ce mage - de ce Manuchan - et Enju éprouva encore une fois cette espèce de dégoût face à cette relation qui n'était pas entièrement acceptable. Pourtant - fait exprès ? - Aaron utilisa les mots justes. "Le hasard fait bien les choses". Enju tiqua sur ses mots, comme s'ils réveillaient quelque chose en elle. Mais Aaron semblait attendre quelque chose de sa part, et une fois son trouble éphémère passé, elle soupira :

- Tu te souviens de tout ce que l'on m'avait fourré dans la tête, Aaron ? Que les Prêtres actuels étaient corrompus jusqu'à la moelle, que Vkandis brulerait tous ceux qui étaient contre nous ?

Ce n'était jamais bon signe quand Enju commençait à répondre à une question, même muette, en prononçant le nom de Vkandis. Elle ferma les yeux, et ses mains se posèrent sur ses genoux. Aaron avait été mis sur sa route par hasard - elle y voyait un signe de Vkandis, mais pas le héraut - et cette rencontre avait sans doute été la plus bénéfique qu'elle ait faite de toute sa vie. Pourquoi ça ne pourrait pas être le cas pour lui avec ce Manuchan ? Pourquoi

- J'ai vu des couples... composés d'hommes ou de femmes, être battus et brulés vifs. J'ai toujours appris que l'homosexualité était un crime qui devait être purifié par Sa Flamme. Depuis cette époque, je n'ai jamais été confrontée à ce genre de personnes. Enfin non, pas ce "genre de personne", mais des couples ainsi... Ma religion désavoue ces relations... Je t'avouerai que j'ai été profondément choquée et horrifiée de te voir avec...

Elle sursauta, comme si elle venait de comprendre quelque chose. Les pièces du puzzle se mettaient en place. Enju regarda Aaron droit dans les yeux, elle-même surprise. Puis elle se pencha en avant pour prendre son visage entre ses mains :

- J'avais peur pour toi !! Inconsciemment, ce qui me rongeait, c'était la peur que tu finisses sur un bûcher ! Ce n'était pas seulement de perdre ton amitié ou d'être délaissée, mais... Je suis tellement désolée, Aaron !

Elle s'était fait tant de soucis, égoïstement. Enju avait voulu refuser, de toutes ses forces, que cette union puisse être "normale", surtout si elle impliquait un Héraut. Pauvre Isabeau, qui avait dû l'écouter pleurer à la bibliothèque sur ses malheurs... Alors qu'elle avait la réponse depuis le début. Enju se sentit libérée d'un poids immense, et de nouvelles perles au coin des yeux, un immense sourire rayonnant sur le visage, elle murmura :

- Je suis si soulagée... Et si heureuse pour toi, mon Aaron... Je le suis sincèrement, même si ce fut difficile à accepter... Je voulais que tu sois heureux, vraiment...

Enju s'inclina, son front touchant pratiquement ses genoux, tandis qu'elle continuait à se confondre en excuses.

Aaron Greystoke:
Ca ne lui échappait pas. Le soulagement de la karsite était presque palpable, comme il lui assurait de sa présence à ses côtés, tout comme le dégoût qui l'assaillit à l'évocation de son « Mage ». Et il ne pouvait pas vraiment dire que ça lui faisait plaisir. Pourtant, il ne releva pas, des réactions homophobes, finalement, il s'était attendu à en subir quelques unes. Il avait seulement espéré que ce ne fût pas le cas de ses proches. La jeune femme reprit la parole cependant, et c'était sans doute une très bonne chose, parce qu'elle expliquait, finalement, son ressenti. Il se souvenait parfaitement de son état d'esprit, de ses convictions, lorsqu'il l'avait rencontrée. Il n'avait peut-être pas souvenir de tous les détails du lavage de cerveau dont elle avait été victime, mais ce qu'elle évoquait expliquait pas mal de choses. Et comme elle relevait finalement le regard vers lui, semblant avoir compris quelque chose sur l'instant, il hocha seulement la tête. Ce qu'elle lui racontait et ses sentiments mêlés lui donnaient suffisamment d'indices pour qu'il suivît son cheminement de pensée. Et finalement, il ne pouvait que comprendre qu'elle eût peur pour lui, et qu'elle s'inquiétât ainsi lui confirmait l'affection qu'elle avait toujours pour lui. Rien que ça, ça valait plus que n'importe quoi d'autre.

Il posa ses propres mains sur celles qu'Enju avait elle-même posées de chaque côté de son visage, un sourire effleurant ses lèvres, attristé cependant par les larmes qui perlaient aux coins de ses yeux.

« Enju... »

La jeune femme se confondait presque en excuses à en juger par la position qu'elle venait de prendre, et ce fut son tour de poser finalement les mains de chaque côté de son visage pour le relever vers lui.

« Ne me présente pas d'excuses pour t'être inquiétée pour moi, ça n'a pas lieu d'être, bien au contraire. »

Il lui adressa un sourire tendre, et déposa un baiser sur son front.

« Je serai ravi de te le présenter... Quand tu te sentiras prête à le faire. »

Il ne doutait pas un instant qu'il faudrait un peu de temps à la secrétaire pour encaisser les révélations qu'elle venait de se faire à elle-même et ne souhaitait aucunement la brusquer. Cependant, partager son bonheur avec la jeune femme qui comptait tant pour lui lui tenait à coeur, et il espérait qu'elle ne s'y opposât pas. Quand elle s'en sentirait prête, donc.

Enju Rakel:
Enju se sentait libérée d'un poids immense. En même temps, la culpabilité continuait de l'étreindre tendrement. Comment avait-elle pu infliger cela à Aaron ? comment en était-elle arrivée à se montrer si égocentrique ? Jamais elle ne pourrait se pardonner à elle-même, alors comment espérer avoir celui de son ami - et plus encore celui de Vkandis, qu'elle avait sans doute déçu ! Tandis qu'elle se préoccupait de détester et de juger la romance que vivait son meilleur ami, avait-elle pris le temps de se tourner vers la prière, la méditation ?

Divine Flamme ! Plus elle y pensait, plus Enju se détestait !

Dès qu'Aaron posa les mains sur son visage, et que leurs regards se croisèrent, elle ressentit encore un peu de honte, même si elle obtenait tacitement son pardon. Elle lui rendit son sourire, ses lèvres tremblants légèrement. En cet instant, elle prit une décision importante : elle devait se recentrer sur sa foi, sur elle, sur son entourage... Mais surtout sur Vkandis. Une fois de plus, elle s'était égarée, se plongeant uniquement dans son travail. Quand Enju avait eu des soucis, elle avait préféré se refermer sur elle-même plutôt que de demander conseils à ceux qui auraient pu l'aider Nul doute qu'elle demanderait quelques jours à Chelmak ambassadeur karsite, afin de s'enfermer dans la méditation.

Alors qu'elle s'apprêtait à faire part à Aaron de cette décision, le voilà qui la prend de court. Sa respiration se bloqua un instant, trahissant combien elle fut prise de court. Pourtant, elle sentit que son ami ne la forçait ni ne la brusquait. Comme toujours. Son sourire s'élargit un peu, et son nez se fronça :

- J'espère être prête très vite, Aaron. Même si j'ai un peu le trac, je veux connaître celui qui te rend heureux. Parce que c'est important pour moi de savoir que tu vas bien, Aaron.

A son tour, elle se pencha en avant pour l'embrasser sur le front, puis, mal à l'aise, lui avoua :

- Regarde-moi... Je me suis encore perdue sur un chemin obscur, et tu m'indiques quelle voie suivre... Qu'ai-je bien pu faire pour mériter un ami tel que toi, Aaron !

Navigation

[0] Index des messages

[*] Page précédente

Utiliser la version classique