Elle avait passé presque toute l'année en selle avec seulement des petits arrêts ici et là. La guerre s'était terminée quelques mois auparavant, mais la diplomatie, elle, ne faisait que commencer. Les informations circulaient dans tout le pays et chacune était d'une importance vitale pour le royaume, alors autant dire que pour les flèches, il n'y avait pas de vacances. Elle s'arrêtait tout au plus quelques jours à certains endroits, le temps de recevoir ses messages, ou attendre les contacts qu'elle devait rencontrer. Mais depuis l'automne, elle cavalait sur les routes à grande vitesse.
Seulement, cette fois, on lui avait dit que son retour annonçait une semaine sans lettre à poster, et qu'elle pouvait prendre son temps pour revenir. Elle avait bien sûr quelques lettres à ramener, pour conserver la couverture des flèches, mais rien de pressant. C'était bienvenu, car Enora sentait l'épuisement gagner Jorel et elle. On ne pouvait pas maintenir ce genre de rythme, à manger en selle, dormir très peu et dans les refuges, pendant trop longtemps. Ça usait et on n’était plus en guerre. Il y avait quelques années, la jeune femme ne l'aurait pas fait remarquer et aurait tenté de cacher son épuisement, mais elle était beaucoup plus consciente de ses limites et de ce qu'elles pouvaient entraîner. Elle en avait donc fait part lors de sa dernière visite rapide à Haven et on lui avait signifié que ce serait son dernier message à livrer avant d'avoir quelques semaines de repos.
Cependant, le chemin du retour ne s'était pas passé tout à fait comme elle l'aurait cru. Elle était presque rendue à Haven quand son Don lui avait fait entrevoir un attelage dans la difficulté au loin. Bien qu’étant en "vacances" et dans des temps moins dangereux désormais, Enora avait conservé l'habitude de vérifier ses environs régulièrement grâce à sa vision à distance. Ce fut salutaire à une famille de nobles pourchassée par un taureau. Enora se lança à la poursuite de l'attelage, sous une pluie battante, mais elle arriva trop tard pour les sauver d'un bourbier. Cependant, elle connaissait bien les taureaux, ayant grandi sur un domaine fermier, et réussi à ce qu'il pourchasse Jorel, beaucoup plus rapide, et à semer la pauvre bête.
Ils revirent ensuite vers les nobles en difficulté. Il s'agissait de la famille Brolin, des gens qu'elle connaissait de nom, mais n'avait jamais rencontrés personnellement. Pour le moment, il y avait la doyenne et son petit-fils, un gamin charmant d'ailleurs. Il ne fallut pas long à Enora pour se faire raconté l'épopée, Enora reparti donc vers un petit village des environs qu'elle connaissait bien depuis qu'elle avait passé son blanc.
Une demi-marque de chandelle plus tard, elle revint avec des gens du village, ainsi que le propriétaire du taureau, pour sortir la Dame et le garçon du pétrin. Il ne fallut pas très long, tous ensemble et surtout aidé d'un compagnon, pour sortir la voiture de la boue et constaté les dégâts. Impossible de réparer la voiture ni de retrouver les chevaux enfuis dans le déluge actuel. Elle leur offrit de les escorter en ville, mais la Dame préférait nettement rejoindre Haven. Finalement Enora retourna chercher une voiture de location dans le village et escorta la famille jusqu'au domaine.
Elle aurait bien offert au jeune garçon un tour de compagnon, mais le temps était si exécrable qu'elle s'abstint. Déjà qu'elle sentait les premiers symptômes d'un bon rhume pointé le bout de leur nez. Rien de grave, mais elle allait sans doute passé sa semaine dans sa chambre à se remettre. Bah, les vacances des hérauts étaient faites pour ça quelques parts, et elle était heureuse que ça n'arrive pas sur les routes sans autres humains pour l'aider. Au moins au collégium, elle aura des repas fournis et elle sera dans une vraie chambre avec un vrai lit.
Ele n'était pas mécontente de voir arriver le domaine cependant, elle se sentait gelée malgré la chaleur que dégageait Jorel, et cela voulait dire qu'elle allait bientôt pouvoir se réchauffer et aller se reposer. Les gens devaient s'être inquiété pour les rescapés, car sitôt arrêter dans la cour, la famille déjà au domaine sortait pour venir à leur rencontre. Cela fit sourire Enora, elle connaissait les liens souvent ténus entre membres des familles nobles. C'était donc une vision réconfortante de voir que les gens qu'elle avait secourus étaient accueillis avec un amour non factice, quoiqu'un peu froid et protocolaire entre le seigneur et la vielle dame.
Celui qui semblait être le chef de famille et que Enora connaissait de vu pour l'avoir croisé à la cour quelquefois s'approcha d'elle. Elle fouilla sa mémoire pour se souvenir de son nom, elle n'était pas attachée à la cour après tout et ce n'était normalement pas dans ses attributions de connaître toutes les familles et leurs noms... mais elle avait été élever comme une noble et avait longtemps désiré devenir diplomate, alors elle avait conservé quelque notions d'étiquette et d'héraldie.
"Sieur Brolin, je n'ai fait que mon devoir, c'était un plaisir d'avoir pu être utile sur mon retour vers Haven. Remerciez les dieux de votre choix plutôt, car je n'étais ni en mission, ni pressé par le temps, et j'ai donc pus les aidé."
Le thé serait sans doute bienvenu, mais Enora ne voulait pas s'imposer. Mais l'idée de rentrer à l'intérieur un moment pour se réchauffer et sécher ses vêtements était des plus tentante. Comme à propos, un petit vent froid se leva et fit frissonna la Héraut. Et cela ne ferait pas de mal de faire un peu de diplomatie avec des gens reconnaissants qui saurait sans doute se souvenir de cette soirée si d'aventure la couronne où un autre héraut aurait besoin de leur aide. Ce genre "d'amitié" était toujours utile.
Il lui restait peut-être un uniforme de présentable dans ses sacoches qu'elle pourrait revêtir pour ne pas salir ou mettre de l'eau partout, tant que la bienséance lui laissait quelques minutes pour mettre Jorel à l'aise, puis se changer discrètement à l'écurie. Elle espérait que l'offre n'était pas uniquement de principe, car le maître des lieux serait peut-être moins heureux qu'elle accepte son offre que si elle avait été formulée de bon coeur... mais ne connaissant pas les de Brolin plus que de vu, elle n'avait aucune idée si elle devait accepter ou refuser.
Elle prit le temps de réfléchir quelque seconde, de peser les pour et les contres, avant de répondre à l'offre, mais le froid ainsi que le fait que personne n'est pris la peine de la saluer avant d'entré à l'intérieur la décidèrent à accepter l'offre. On s'attendait à ce qu'elle le fasse, il faisait froid, elle était trempée, elle n'offenserait sans doute pas outre mesure ses hôtes en acceptant.
"Je ne voudrais pas m'imposer, surtout dans l'état de mes vêtements et de ma personne, mais je dois vous avouer que l'idée d'une tasse de thé, et peut-être un endroit où mon compagnon pourrait se réchauffer et se reposer quelques minutes, ne serait pas de refus. Je vous remercie de votre invitation. Si vous m'indiquez ou je peux m'occuper de Jorel et me changer, je serais heureuse de prendre le thé avec vous et votre famille."