6ème décade d'automne 1481Après l'étrange découverte du Glaive, le petit groupe avait eu des dizaines - peut-être des centaines - d'entraînements ensemble. Combat, maîtrise des Dons - autant pour la Guérisseuse que pour les Mages et l'élève Héraut ... et l'entraînement de Fitz avec son Glaive inattendu avec Ludmilla et Glenn pour lui apprendre à canalyser son Don au travers de l'arme. Il y avait eu aussi les entretiens pour savoir comment chacun vivait l'aventure à venir, et ceux où ils apprirent tout simplement à se connaître. Il y eut les entrainements à la vie à la dure - comment allumer un feu, se préparer un abri, ... Rien ne fut laissé au hasard, et ceux qui savaient déjà tout ça eurent pour mission d'aider ceux qui avaient eu la vie un peu plus facile. L'accent fut largement mis sur l'aspect ésotérique de leur quête cependant.
Presque tous les soirs, Ludmilla leur avait parlé d'Aanor. Elle leur avait raconté les multiples légendes de l'amante de Vkandis. L'une d'elle revenait sous plusieurs formes, selon qu'elle était racontée dans la version des femmes de Sironis et celle du peuple d'où venaient les prêtresses... et celle qu'Isabeau de Girier leur avait traduit de parchemins très anciens rapportés avec la dernière mission.
Et puis alors que tout le monde s'impatientait, le Roi Arthon et son Conseil eurent tellement à faire avec la guerre que leur mission passa un peu à la trappe... jusqu'à ce que le Capitaine Beltran, blessé mais toujours aussi vif, fasse remarquer aux autorités qu'il ne pouvait gérer l'aspect technique de la guerre si personne ne s'intéressait à l'aspect religieux et ésothérique. Un soir donc, il reçut Fitz et lui donna ses ordres: il partait enfin avec son groupe pour Karse, sur la piste, maintenant un peu plus étoffée, du Voleur de l'Orbe. Il avait comme ordre supplémentaire d'analyser la situation militaire de leur allié et de voir si l'aide valdemaranne serait nécessaire dans des temps à venir.
La veille du départ, Beltran avait fait ses adieux à Irmingarde avec solennité et beaucoup d'amour. Il regrettait de ne pas pouvoir l'accompagner mais savait que l'élève Héraut avait des choses à accomplir par elle-même. Et maintenant qu'elle savait utiliser parfaitement son arbalète, il était plus rassuré.
Keldran eut à peine le temps d'envelopper tout ce qu'il avait besoin pour composer et passer pour un Barde initérant qu'il était mis à la porte - d'une énième amante - et rejoignait le petit groupe au lever du jour.
Ludmilla vint faire ses adieux aux jeunes gens et leur laissa Maya avec une réticence à peine camouflée. Sa successeur fut mise sous la protection rapprochée de Fitz et Mina.
Puis ils passèrent tous les portes de Haven et s'en furent.
* * *
Sur le chemin, Maya se lança à son tour dans le remake d'Aanor et la dernière croisade. Elle récita pour Keldran ce qu'elle avait appris par coeur des parchemins d'Isabeau.
"
Certaines histoires commencent par une belle nuit d'été. Cette histoire-ci peut être racontée de nuit, car elle est aussi chaleureuse qu'une soirée d'été, mais elle commence au petit matin, un matin pluvieux même, sur une île éloignée de tout pays civilisé, au Nord. Il ne faut cependant pas croire que les gens qui habitent cette île sont des barbares. Au contraire, leur art est des plus raffinées, leurs politesses en remontreraient aux plus nobles, et plus que tout, le coeur des habitants est pur.
L'île où commence l'histoire n'est habitée que par des femmes, et côtoie une autre île, habitée elle uniquement par des prêtres. Elles s'appellent soeurs et mères entre elle, et elles vénèrent toutes la vie. Chacune d'elle promet sa vie et son corps pour une année, et à chaque Solstice d'Hiver, elle se donne à l'homme de son choix. Si un enfant est conçu, on le célèbre avec les rituels de la vie, avec des offrande à l'Arbre, et des chants plusieurs fois par jour. Lorsqu'elle le décide, elle peut retourner dans la communauté mixte sur le continent, son service rendu, et reprendre une vie civile normale.
La vie suit tranquillement son cours depuis des siècles, et l'étrange communauté perdure sans changer, accueillant parfois un visiteur, parfois un novice étranger séduit par leur philosophie et leurs croyances.
Mais ce matin pluvieux, une femme revient. Elle a les cheveux noirs, le regard aussi noir et profond mais les yeux qui brillent. La jeune femme revient d'une aventure de plusieurs centaines de kilomètres: elle et son compagnon de route ont été envoyés en émissaires et diplomates une année chez les étranges créatures qui vénèrent le Soleil. Ils ont été bien reçus mais n'ont pas compris tout ce qui se passait dans cette étrange contrée. C'est cependant séduits et heureux qu'ils reviennent dans leur communauté.
La jeune femme a quitté son compagnon quand il a fallu traverser les eaux. Chacun a pris sa route, promettant de se revoir au solstice et de s'écrire. La jeune prêtresse débarque sur l'île alors que la pluie commence à tomber dru. Ses soeurs l'attendent et lui ouvrent les bras. Les festivités commencent dès qu'elle s'est réchauffée.
Mais si la jeune femme est heureuse d'être de retour, elle est aussi immensément triste. Elle a touché du doigt un mystère qui la dépasse, et son envie de comprendre et de savoir lui tourbillonne dans la tête sans répit. Et à peine quelques jours après son arrivée, elle va s'isoler dans le lieu le plus sacré, le centre de l'île. L'immense arbre qui y pousse donne son énergie sans compter - bien qu'elle lui soit rendue de même par ceux qui s'occupent de lui.
La jeune fille s'allonge à son pied et médite de longues heures. Quand elle rouvre les yeux et regarde le ciel, le rideau de pluie s'affine et un rayon de soleil vient lui caresser le visage.
"Je T'attendais."
De derrière l'arbre sort un homme. Il est étrange, portant à la fois les attributs humains, griffons, et de milles autres créatures. L'oeil ne s'attarde guère sur elles, simplement détournée par son aura trop brillante.
Vkaendis s'avance et prend la femme dans ses bras. Ce n'est pas le Solstice, il respecte ses croyances et ne la touchera pas plus. L'étrange homme a les yeux d'or, et semble rayonner. Il reste longtemps à discuter avec sa compagne. Il lui faut cependant repartir dès qu'il commence à devenir trop brillant.
Plusieurs mois durant, il vient rejoindre au lieu sacré celle qui le vénère en secret. Enfin, en secret... Quelques unes d'entre nous se doutaient de ce qui se passait. Mais puisque cela faisait partie de la vie, et que notre soeur respectait nos principes...
Vint le temps du solstice. Miraculeusement, les alentours proches de l'arbre réagissaient comme en plein été. Le soleil y faisait toujours parvenir ses bienfaits quand la neige recouvrait le reste de l'île.
Et le soir de l'Amour, Vkaendis revint. Il lui fit don de sa semence peu après qu'elle ait reçu l'étreinte de son compagnon de voyage. Avant de prévenir qu'il ne reviendrait pas au petit matin. Au lever du jour, la jeune femme se leva, sachant déjà ce qu'elle portait en elle.
Elle se mit à dépérir de mois en mois. Plus son ventre grossissait, plus la jeune femme se languissait de son compagnon solaire. Elle arrêta de chanter aux cérémonies, arrêta même de parler. Pourtant plus la vie en elle grandissait, et plus elle s'attristait, plus elle sentait son coeur grandir, aimer, jusqu'au plus profond d'elle même.
Il fut bientôt temps de donner naissance à l'enfant du soleil. La jeune femme s'éclipsa une nuit pour rejoindre son endroit préféré, sous l'Arbre. Elle y donna naissance, seule et muette, à une minuscule fillette aux yeux d'or.
"Je te nomme Maya." chuchota-t-elle d'une voix rauque après des mois de silence.
Des prêtresses vinrent chercher la mère et l'enfant et les soignèrent. Maya put commencer à grandir sereinement, aimée passionnément par sa mère. Cette dernière continua à augmenter sa capacité d'aimer, englobant dans cet amour toute la communauté qui ne l'avait pas abandonnée.
Pourtant, chaque jour, elle passait des heures à regarder au loin, portant même son regard sur le soleil sans protection. Elle en devint aveugle.
Maya avait seize ans quand Aanor disparut. Elle vint chercher sa fille, et elles partirent un matin au pied de son Arbre, l'une tatonnant, ne voyant dans son esprit que le Soleil, l'autre silencieuse et sereine. On ne revit jamais l'amante de Vkaendis. Pourtant sa fille revint un peu plus tard, portant dans ses bras la tunique rouge, ensanglantée, que sa mère portait le jour de sa naissance.
"Elle l'a rejoint, et sera toujours avec nous." expliqua-t-elle simplement.
Après le deuil cérémoniel, la vie reprit son cours. Mais bientôt les femmes commencèrent à rêver d'Aanor, flottant entre Ciel et Terre, un bras tendu vers le Soleil. Elle voyait l'Arbre Sacré grandir, grandir, jusqu'à entourer amoureusement la prêtresse. Celle-ci se tournait alors vers elle, l'appelant ma soeur ou ma fille, et souriait en soufflant doucement un vent aimant pour les rassurer.
Le premier Solstice après la disparition d'Aanor, les rêves prirent de l'ampleur, et atteignirent les hommes de l'autre moitié de la communauté. Et quand le grand feu rituel fut allumé, tous se figèrent, regardant avec stupeur le vent se lever, et Aanor, vêtue de rouge, apparaitre. Elle leur parla longuement mais personne ne se rappela vraiment les paroles. Quand elle s'en fut et retourna dans le monde des dieux, une étrange pierre luminescente trônait devant l'Arbre, et ses racines avaient bougé pour l'entourer, protectrices.
Maya était restée prostrée. Mais elle entendait mieux que les autres les paroles de sa mère, et même parfois elle se doutait que Vkaendis lui apparaissait en rêve. Il n'était pas son père, elle ressemblait bien trop au prêtre pour le croire - mais elle avait ses yeux d'or et voulait se croire protégée de lui comme il lui avait pris sa mère.
Aanor se fit plus présente au fil du temps, parlant aux croyants par l'intermédiaire des rêves et de l'Orbe que le temps enfouit sous l'Arbre. Elle y déposait son amour, sa force, et bientôt Aanor fut célébrée comme une déesse tutélaire, amante du Soleil et mère du Vent. Les siècles passèrent, et l'île, avec l'Arbre et le fruit de la Déesse en son centre , devinrent sacrés. Les prêtresses s'habillèrent de rouge en son souvenir, et les deux communautés arrangèrent leurs rites pour inclure Aanor dans leurs prières. Elle prit son rôle au sérieux, intercédant jusqu'à égaler le Dieu Soleil dans son pays. Mais Aanor était une déesse d'amour, qui n'aimait pas s'éloigner de son coeur, et elle ne gagna que peu de fidèle à l'étranger. Cependant l'Orbe acquit, on ne sait comment, une réputation de puissance extrême, et plusieurs fois l'ordre des choses fut bouleversé quand on essaya de la voler."L'adolescente commença alors une discussion théorique avec le Barde et s'y plongea pour oublier que son derrière était maltraité par leur allure à cheval.
Plus loin, Glenn s'était mis à chevaucher à côté de Fitz et de Feuillemalice . Il mit du temps puis finalement se lança, incluant les deux dans son résumé de ses découvertes:
"Je crois que j'ai compris comment marche ton Don... commença-t-il.
Ta Marque te permet de "voir" les choses que cachent les gens. Elle fonctionne comme un Enchantement de Vérité mais sans les vrondis... Dans le cas où la personne a des choses à cacher, tu "violes" ses barrières et c'est ce qui lui cause de la douleur. Visiblement, tu es "branché" à la Marque donc tu ressens aussi cette douleur. Cette force peut tuer. Elle peut même ramener un mort pour le forcer à dire la Vérité. Mais je pense que ce n'est que lorsqu'un Dieu intervient pour ça. Ta Marque te protège aussi de la magie véritable, en partie. Je pense qu'elle t'évite t'être trop blessé. Et quand tu as le Glaive, tu peux même l'utiliser en partie pour te regénérer en cas de besoin. Tu réagis à la magie environnante et tes problèmes venaient sûrement de la Pierre-Coeur instable. De ce que nous avons testé, si tu tiens et maîtrises le Glaive, tu peux inverser des sortilèges pour récupérer l'énergie pour ton arme. En gros toi tu n'as pas de pouvoirs magiques mais tu as le Don d'empêcher la magie de te faire du mal et celui d'utiliser le Glaive qui lui utilise la magie. J'y ai beaucoup réfléchis. Je crois que j'écrirais un livre dessus en rentrant. s'enthousiasma le Mage avant de continuer:
Ton Glaive, si on en croit les écrits et nos exervices, c'est un canal "aspirant" la magie environnante, bloquant les attaques voire les utilisant contre leur auteur. Il déteste la magie du sang, il la transforme en magie ... disons normale... Il peut créer un champs de force, genre barrière mentalement pour te protéger, et il accentue les caractéristiques de ta marque. Tu es décidément... unique."Quant à Irmingarde, son Compagnon insistait régulièrement pour qu'elle s'entraîne sans le pendentif - et bizarrement, le fait d'avoir récupéré des forces avait semblé fonctionner et la jeune femme avançait bien. Perle, qui au dernier moment s'était décidée à venir car Manuchan n'était pas en état de les accompagner, vint se mettre à la hauteur de leur "protectrice" improvisée.
"Comment tu t'en sors?" demanda-t-elle.
"Ca fait longtemps que je n'étais pas repartie sur les chemins, j'en suis toute excitée... et je meurs de trouille qu'on ne trouve pas l'Orbe..." avoua la jeune fille.
La Maître se sentait souvent seule. L'Adepte Glenn était son frère et son maître, mais elle avait parfois envie d'amies de son âge, et si Irmingarde l'impressionnait à sa manière, Perle savait qu'elles avaient toutes les deux des pouvoirs défiant l'imagination. Elle appréciait la jeune femme posée et osait tenter un premier contact lors du voyage.