«C’est probablement le seul qu’elle a. Tu sais, les Holds sont très bizarres, et surtout, très très terre-à-terre. Alors je doute qu’elle ait même songé une fois qu’avoir un collier puisse lui être utile. Je parie que si tu lui donnes de l’argent pour qu’elle s’offre quelque chose, elle choisira une nouvelle paire de botte, ou une meilleure cape, ou un truc du même goût. En même temps, je la comprends, être confortable dans ses chaussures ou avoir plus chaud prime sur l’apparence, surtout quand tu as passé ton enfance à pieds nus ou dans des chaussures trop petites, ou que tu as eu froid presque tous les hivers. Je me rappelle ce que c’est, d’avoir froid. Ça te marque à vie. Jamais je n’ai privilégié l’apparence sur le confort. Sérieusement, tu as vu la bâtisse de ma famille, tu te rappelles la tête qu’elle avait avant qu’on y fasse des travaux? J’ai passé mes automnes à vider des seaux et mes hivers à tenter de boucher les courants d’air. Alors ne t’étonne pas qu’elle ne ‘‘se permette pas’’ un bijou de temps à autre. Je parie qu’elle se permet des bas plus chauds et des capes plus épaisses.»
Comment Beltran, programmé pour conter fleurette à des nobles sans cervelle, en était-il venu à faire la cour à une des filles les plus terre-à-terre du Collegium? Il devait apprécier de se compliquer la vie.
« Sérieusement, quand tu vois ces jeunes nobles vêtus de manière parfaitement improbable, tu ne les envies pas, tu ne te dis pas que tu devrais toi aussi t’offrir de tels atours. Tu te dis que ça doit être singulièrement mal pratique ou ridicule. Irmingarde se dit sans doute pareil de la plupart des parures de dames.»
Ce qui serait la meilleure preuve de son bon sens. Wylan abhorrait les bijoux clinquants, les robes extravagantes et les visages fardées des dames de la cour. Quant aux tenues de certains jeunes nobliaux, elles le faisaient hurler de rire.
La famille Greenhaven constituait à elle seule un sujet de conversation des plus commodes, tant il y avait à dire. Et parmi les branches cadettes, le seigneur et sa dame étaient un sujet de moquerie permanent.
« C’est certain que cela ne te conviendrait pas du tout. Tu es connu partout dans le royaume pour ton humour, ta camaraderie et ta légèreté.»
Lui-même avait beaucoup participé à la création de la réputation de son cousin.
« Je doute qu’ils laissent Liane en hériter. Et je doute qu’elle en ait envie. Elle sera Élue, cela ne fait aucun doute. Alors il vaut mieux que Ronan hérite du titre. Et puis, il a une femme, lui, et des enfants, même si j’en ai perdu le compte. La dernière fois que je les ai vu, sa femme venait d’accoucher du premier, alors tu vois... Et puis, honnêtement, il est bien mieux dans les vêtements de ton père que toi. Il a déjà tout du patriarche. En fait, il a toujours eu un comportement de patriarche, quand on y repense.»
Wylan sourit. Oui, on retrouvait l’opiniâtreté partout chez les Greenhaven, de la branche de la plus humble de la famille au Seigneur lui-même. On disait dans les campagnes que les bâtards de la famille se reconnaissaient par ce trait de caractère si célèbre.
« Tu vas pas me faire croire que tu as peur de ta mère. Elle fait au moins une tête de moins que toi. Et sérieusement... je doute qu’elle te batte. Elle préférera te présenter à toutes les gamines nubiles du coin à ta prochaine visite.»
Ainsi le message serait clair, ne te mêle pas de ma vie si tu ne veux pas que je me mêle de la tienne.
« Et je crois que ma mère avait de toute manière l’intention d’aller leur dire bonjour, donc il suffit d’entretenir cette idée.»
Wylan était content de pouvoir parler de ses soupçons à Beltran loin de toute oreille indiscrète. Ce n’était que des pressentiments, des impressions, des craintes, des choses qu’il ne pouvait décemment pas mettre dans un rapport.
« Sérieusement, ici tout le monde pense que la guerre est loin. Regarde les nobles, pour eux, cette guerre ne les concerne pas. Mais je compte sur toi pour en parler à Arthon. Moi tu sais, je passe mon temps à aller et venir, je ne le vois que très rarement. Souvent c’est au Doyen que je parle, à Joald, à toi et parfois à Aranel, quand elle a le temps... Mais c’est certain que cette guerre a une finalité qui nous échappe encore...»