"Non"
La réponse était courte, mais le regard de la barde fulminait. Elle enrageait encore lorsqu'on se méprenait sur ces envies. Et encore plus sur ce qu'elle avait vécue. Bien sûr elle était partie, elle n'avait plus voix aux chapitres, et ce qui avait été marqué dans son dossier n'était qu'une seule et unique vision, celle des gens qui l'avaient mise de côté. Pas la sienne.
"J'ai à une époque détesté l'idée de m'embrigader, je ne l'ai jamais caché. Mais si j'ai rejoint le collegium c'est parce que je rêvais de faire une différence, aider des gens en tant que Barde, je ne supportais plus la barbarie de ce monde, l'horreur que l'on laisse à nos enfants, ce qu'on leur fait subir. Je ne suis pas partie par caprice. Je suis partie pour qu'un petit nobliau de bas étage arrête de colporter que j'utilisais de mon don pour charmer des hommes, je suis partie car mes pairs l'ont cru plutôt que de me croire, je suis parti pour qu'on arrête de me regarder comme si j'étais une paria incapable de me contrôler, je suis partie car je ne supportais plus l'idée qu'être une barde c'était simplement être un instrument qu'on dépouille de ses cordes. Je suis partie car je voulais pouvoir faire de la musique, vivre avec elle comme je l'ai toujours fait, la vivre car sans elle je ne suis qu'une coquille vide, je suis parti car je ne voulais pas avoir à me taire quand je ne désirais que chanter."
Molly était bien plus fermée que précédemment, le regard froid. Elle détestait à l'époque cette rigidité imposée par le cercle, et cela n'avait pas changé. Elle se releva, tournant le dos à la doyenne. La rigidité encore et toujours, les bardes et leur pouvoir de diffusion se contentaient d'être des homme et des femmes qui n'osaient plus ressentir de peur de contaminer, ou d'utiliser.
"Je suis partie car je ne voulais pas vivre dans cette peur du ressenti. Et pourtant tout ce temps, je n'ai jamais, vous m'entendez, JAMAIS fait de tort à l'ordre. Le cercle est et restera ma famille, qu'il m'aime ou pas. Nous sommes tellement obnubilés par le contrôle de nos dons, que la musique n'en devient qu'accessoire."
Ses épaules s'affaissèrent cependant, alors qu'elle se retournait pour venir s'assoir face à la barde, et c'est une Molly transformait qui lui faisait face. Il y avait de la nostalgie dans sa voix, ses doigts jouaient sur ses genoux, pianotant sur un instrument invisible, elle était à nue, comme à chaque fois qu'elle parlait de musique, comme à chaque fois qu'elle ressentait les notes, qu'elle cherchait à écouter ce qu'elles avaient à lui dire, qu'elle se laissait emportée un instant dans cette indicible et merveilleux ouragan.
"Depuis combien de temps n'avez vous pas chanté à gorge déployée ? N'avez-vous pas juste pris le temps de ressentir ce que l'instrument vous fait lorsqu'il est dans les mains ? Depuis quand n'avez vous pas caressé son bois comme si il était votre amant ? Depuis combien de temps avez vous laissé le monde vous enfermer tellement dans le rôle qu'il attendait de vous que vous en avez oublié de simplement laissez vos sentiments aller à votre musique ? Peu importe vos dons, depuis quand n'avez vous pas eu une relation avec ce qui nous anime l'une comme l'autre: la musique ? Nous acceptons d'être des instruments de la couronne, cela me convient parfaitement, à condition que la couronne nous permette de rester les êtres de musique et de sentiments que nous sommes."
La barde soupira, un sourire triste sur les lèvres. Voilà pourquoi elle s'était exilée, recluse dans sa tour, juste pour pouvoir vivre sa musique sans que personne ne l'accuse. Une barde sans musique est un soldat sans arme. Quel tristesse.
"Je ne pouvais juste pas me résoudre à être amputée de la plus belle partie de moi. Mais je n'ai jamais fait de tort au cercle, et si c'est ce qui est marqué dans mon dossier, alors je ferai tout aussi bien de retourner chez moi. Arrêtez de me voir comme un boulet attaché à votre cheville, et tentez plutôt de voir en moi l'alliée et l'outil qui vous manque."
Elle balaya l'air d'une main.
"Vous ne me rendrez pas mon titre, j'ai bien compris, et comme les nobles de haut rang, ceux qui sont les plus susceptibles d'avoir les informations que je cherche, n'embauchent pas de barde sans étiquette, cela fait pauvre, je devrai utiliser tout ce que les dieux m'ont offert pour être convaincante, et donc mériter, sûrement, d'être définitivement bannie de ma famille. J'ai déjà pris des risques en revenant ici, et j'en prendrai encore par la suite, je ne devrai pas être la seule à le faire. Sinon cela ne marchera jamais, et au vu de votre intelligence, vous le savez tout autant que moi."