Blessure ou non, finalement l'essentiel, c'est que Beltran était rentré en vie. Irmingarde essayait de ne pas penser à la façon dont il avait été blessé, et combien il avait du avoir mal, malgré l'habitude, malgré son métier. Elle essayait de cloisonner correctement tout ça dans son crâne, pour ne pas se laisser déborder, dépasser, influencer. Quand il n'était pas là bien sûr, car là, ses lèvres sur les siennes, elle goûtait pleinement l'instant présent.
Mais nul n'était à l'abri de se faire du souci, ni elle, et ni lui, manifestement troublé à l'idée qu'elle parte en probation.
Cela la touchait.
"Non, je l'ignore. En général, on est apparié à un Héraut confirmé qui repart sur son secteur. Donc cela dépend parfois du hasard des retours, mais aussi des dons des Hérauts en probation. Je suis la seule Boutefeu, je suppose que ça aura peut-être une influence. J'en suis même sûre, car mon don décidera de ma spécialisation. Sans compter la guerre... Certaines missions ont fait valeur de probation parfois, alors peut-être que ça recommencera..."
C'était beaucoup de suppositions, mais même si la jeune femme angoissait, elle était à la fois sereine. Elle savait exactement qu'elle ferai ce pour quoi elle était faite. Et elle avait conscience que tout le monde n'avait pas sa chance.
Beltran s'assit à ses côtés visiblement satisfait de se poser, ce qui en disait beaucoup sur son état de fatigue.
"Liane sera ravie de te voir, j'en suis certaine. Dis-lui que si elle le souhaite, je pourrai l'emmener faire un tour sur le dos d'Ezarel."
Irmingarde avait du mal à définir sa relation avec la fille de Beltran et Riannon. En fait, l'enfant, charmante, touchante, la mettait mal à l'aise par la puissance de ses dons. Les révélations qu'elle faisait souvent spontanément étaient-elles du à un instinct naturel ou à ses dons? Que savait exactement la petite fille à son sujet?
Mais Liane adorait les Compagnons qui le lui rendaient bien. Et il fallait que Beltran s’habitue à voir sa fille juchée sur une de ses créatures, car à n'en pas douter, ce serait son destin !
"Des congés?! Je ne crois pas me souvenir t'avoir vu en congé. Je demande à voir."
Elle avait du mal à imaginer Beltran sans occupation, c'était même incongru. En dehors de ses appartements, où il était son compagnon et son amant, il était le Capitaine des Armées de Valdemar, même à ses yeux.
Mina tendit la main vers son visage et passa ses doigts dans ses cheveux blonds, dans un geste qu'elle espérait tendre.
"Et ca ressemble à quoi, un Beltran en vacance? Tu dois reprendre tes... comment dire, tes fonctions de fils du Seigneur de Greenhaven? Ou tu voyages?"
Même si elle doutait qu'il ai l'aval de la maison de Guérison pour repartir sur les routes tout de suite, vu son état de santé, ou qu'il profite d'un congé exceptionnel pour se plonger dans des intrigues de cour.
D'ailleurs, il s'excusa du manque de nouvelles parvenues jusqu'à elle et avoua ignorer ce qui pouvait s'y raconter. Mina haussa un sourcil surpris et s'étonna:
"Vraiment? Tu ignores ce que ce panier de crabe aime colporter? C'est pas tant des rumeurs qui viendraient jusqu'ici, mais ce qu'en font ce qui les entendent et les répète... Du genre que tu es mort, ou que les officiers sont trop occupés à... à la bagatelle avec les filles qui tournent autour des camps militaires, pour se concentrer sur les combats..."
Mina avait entendu ce genre de chose, une fois, en passant devant un groupe de demoiselle bleues. Plus précisément, ce n'était pas des officiers qu'elles parlaient, mais bel et bien du Capitaine, et le tout avait été dit assez fort pour qu'elle l'entende et qu'on puisse observer sa réaction. Exactement le genre de comportement et de piques contre lesquels Wylan l'avait mis en garde.
Malheureusement pour les jeunes femmes en question, Mina n'avait rien laissé paraître, et pas seulement par orgueil, mais aussi et surtout parce qu'elle savait que c'était faux, et qu'elle avait toute confiance dans la fidélité de Beltran. Il avait attendu des saisons entières avant de pouvoir la toucher, ce n’était pas pour aller batifoler avec la première catin de camp militaire venue, non?
En revanche, quand il évoqua son envie de passer son temps libre avec elle, Mina s'affola un peu même si elle tenta de ne rien montrer:
"Du temps avec moi? Et nous ferions quoi?"
La question avait du sens pour elle, vraiment. En fait, les choses telles qu'elles étaient convenaient parfaitement à Mina. Beltran avait ses fonctions prenantes, et elle sa formation et ses corvées, ce qui leur laissait peu de temps à partager ensemble, souvent uniquement des nuits à dormir l'un contre l'autre. Pas qu'elle ne voulait pas passer plus de temps avec lui ni qu'elle n'apprécie pas ces moments ensemble, loin de là, seulement, elle se sentait incapable de faire autre chose. C'était assez complexe.
Elle savait qu'il l'aimait, et se sentait tellement valorisée à ses yeux, il la respectait, la considérait comme son égale. Et si, au prix de gros efforts et d'un travail sur elle-même considérable (et d'un harcèlement quotidien de son Compagnon), Irmingarde avait réussit à admettre sa propre valeur, elle ne se considérait absolument pas au même niveau que Beltran. Il était instruit, cultivé, charismatique, et noble par dessus le marché, et elle... elle essayait de donner le change avec ses qualités qui lui paraissaient un peu faibles à coté, mais qui semblaient lui convenir, du moins dans le cadre plutôt fermé de leur relation.
Elle avait mis sous clef ce sentiment d'infériorité qui ne portait pas à conséquence lors de leurs rares rendez-vous ou nuits passées ensemble, mais s'il voulait passer plus de temps avec elle, sortir, parler, débattre... elle avait peur de passer pour une idiote.
:Ce n'est pas faire honneur aux sentiments de Beltran de penser qu'il puisse en venir à te mépriser parce que vous n'avez pas eu la même éducation: intervint Ezarel, dont la réprobation s'était jusque là fait sentir silencieusement. :Dois-je te rappeler qu'il est tombé amoureux de toi telle que tu es, et non de celle que tu aurais pu être si... Sans compter la mission à Sironis ou il t'a fréquenté quotidiennement. Il se moque de ça: assura le Compagnon.
:Ha... je sais tout ça. Mais ce n'est pas tant lui que les autres...:
:Nous y voilà, encore et toujours le regards des autres... Tu vaux mieux que la plupart, c'est toi que j'ai élue, pas eux, ça devrait te suffire:
:Je le sais, mais je n'y arrive pas, voilà, j'essaye...:
:Tu essayes? En te cachant dans une écurie pour le retrouver? Belle tentative en vérité!:
:Niania...:
Mina s'en voulait d'être si pénible avec elle-même et les autres, surtout quand Beltran lui répéta qu'elle lui avait manqué, vraiment beaucoup manqué. Elle tourna son visage vers la droite et embrassa le dessus de sa main posée sur son épaule. Elle laissa ses lèvres un moment contre sa main, goutant sa peau avec plaisir. Puis elle releva la tête et sourit faiblement:
"Je comprends les nobles finalement, qui ne voient dans leur mariage que des alliances sans que les sentiments ne comptent. Au moins, quand un des deux doit risquer sa vie, l'autre s'en fiche, il continue sa vie en attendant que ça passe. C'est assez confortable... Alors qu'aimer.... c'est terriblement compliqué."
Elle se tut quelques secondes avant de réaliser que sa déclaration pouvait avoir été mal comprise et précisa:
"Je préfère être moi, évidemment! Je n'échangerai pour rien au monde ma place contre un nom à particule et un manoir à la campagne. D'ailleurs..."
Mina n'avait jamais vraiment parlé à Beltran de ses recherches généalogiques. Mais comme celles-ci se précisaient, elle lui avoua:
"Selon Isabeau de Girier, il serait possible que je sois l'enfant illégitime d'une des filles de la famille Sadare, c'est à vérifier, ce que ton cousin a très aimablement accepté de faire s'il le pouvait. Donc si ça se trouve, j'ai du sang noble dans les veines!"
L'expression amusée qu'elle arborait montrait néanmoins que cela l'indifférait totalement. Ce n'était pas parce que le rang social des nobles l'intimidait parfois que celui lui donnait envie, c'était même le contraire.