5ème jour de la deuxième décade d'été 1485
On aurait pu croire que Dyalwen se ferait vite à Haven. Après tout, son frère et son grand-père étaient déjà là, n’est-ce pas ? Et puis, elle avait été élevée pour ça, non ? Pour se présenter un jour à la capitale, finir ses apprentissages et… faire ce qu’on attendait d’elle. Et il fallait reconnaître que la plupart des cours au Collegium étaient plus un complément à ce qu’elle avait déjà appris que de pures nouveautés. Même si Mère n’avait pas forcément tout géré comme il l’aurait fallu, Dyalwen avait eu des leçons de maintien, d’étiquette, d’histoire et tutti quanti. Elle savait à peu près comment gérer une maisonnée et, contrairement à certains de ses camarades Bleus, elle ne s’offusquait pas de devoir participer aux corvées du Collegium. Pour pouvoir diriger ta maison, tu dois savoir exactement ce que doivent faire ce que tu emploies, avait dit Mère un jour. À l’époque, elle avait donc un peu partagé les différentes tâches des domestiques… et, objectivement, ce n’était pas plus salissant de passer un coup de balai que de brosser sa jument – même si c’était moins agréable, certes.
Les leçons pour lui apprendre à maîtriser son Don était déjà un peu plus particulières. Pour le coup, ce que lui avait enseigné sa mère n’était clairement pas suffisant et elle devait donc mettre les bouchées doubles. Ce n’était pas facile. Se barricader, ce n’était pas facile. Pense à un mur, lui avait dit Mère ; construis-le avec ton esprit, avait dit son professeur. Ça, c’était facile. Le truc, c’est que c’était beaucoup plus difficile de garder le mur debout en pensant à autre chose. Et il était difficile de ne pas penser à autre chose au milieu du Collegium et de ses camarades qu’elle avait pour certains beaucoup de mal à supporter. Alors, pour éviter d’émettre ses pensées à tout va, la rouquine s’était-elle repliée vers les jardins. Elle se serait bien dirigée vers les écuries mais elle avait déjà entendu quelques remarques sur le temps qu’elle y passait et elle ne voulait pas risquer que ça remonte aux oreilles de Grand-père. Non, les jardins, c’était bien.
Elle déambulait donc dans les allées, entre les parterres de fleurs et les arbres, en essayant de construire son mur mental. Qui était constitué, évidemment, des mêmes pierres que les bâtiments de Bordebure. Ce qui l’amena irrémédiablement à penser au domaine. Surtout qu’un des rosiers avaient des fleurs de l’exacte nuance que Mère aimait. Et que les petites pensées violettes lui rappelaient celles qui poussaient dans les pâturages. Comment ça se passait là-bas ? Est-ce que Mère réussissait à tout gérer toute seule ? Les domestiques savaient ce qu’ils faisaient bien sûr, mais Derlyth ne pouvait pas l’aider. Ni veiller sur l’élevage. Lorsqu’elle était partie, la plupart des juments pleines avaient déjà mis bas mais il en restait deux ou trois à pouliner. Est-ce que les poulains étaient nés ? Est-ce que ça s’était bien passé ? Et les deux poulains à débourrer ? Etaient-ils bien avancés ? N’avaient-ils pas eu peur ?
Plantée devant un rosier, Dyalwen effleurait machinalement les pétales des fleurs, tandis que ses pensées dérivaient vers toutes les tâches qui devaient occuper les gens du domaine et sur lesquelles elle ne pouvait pas veiller…