Date: début de la 5ème décade d'été 1480
Lieu: Prébois, petit hameau aux portes de Haven
Fiersaule pestait un peu tout seul. Évidemment, cela aurait été encore plus désagréable en plein cœur de l'hiver, mais même à la belle saison, le beau mâle rechignait à sortir du Collegium. Il était devenu terriblement pantouflard.
Seul un événement d'importance pouvait le faire quitter ses appartements en toute hâte, à peine coiffé, et mal vêtu. Et c'était une situation bien grave qui l'avait forcé à abandonner son fauteuil et son verre de jus bien frais.
En effet, dans un petit village aux abords de Haven, dont le Trondi'irn n'avait jamais entendu parlé, on avait trouvé au petit matin trois cheveux morts et un poulain très mal en point. Or, dans ce même village une étrangère avait halte la veille. La foule était à deux doigts de la lyncher, et il fallait un guérisseur capable de poser un diagnostique pour des animaux et la disculper… ou pas. On avait donc mandé le très valdemarien Taleydras et devant l'ampleur de l'événement, il avait à peine pris le temps de peigner ses cheveux avant de partir. Il avait aussi attrapé un gilet Vert Guérisseur à mettre sur sa chemise écrue et ses chausses brunes. L'ensemble n'était pas très harmonieux, mais il survivrait. Sa sacoche de Guérisseur sur l'épaule, il s'était précipité aux écuries.
Son cheval préféré étant libre, il l'avait sellé et avait traversé la cité au triple galop, malgré le risque non négligeable que le vent le décoiffe. Il était arrivé sur la place d'un petit hameau, sur laquelle tous les habitants du coin semblaient s'être rassemblés. L'ambiance était électrique. Malgré ses barrières presque totalement relevées, il sentait la haine des habitants. Et cette haine était dirigée vers… mmhhh… beau brin de fille. Un peu trop sombre pour lui par contre. Il les préférait fraîches et lumineuses. Elle était solidement tenue par deux villageois baraqués.
Il démonta et confia son cheval à un jeune garçon désoeuvré. Un potentiel lynchage publique n'était pas un spectacle pour un enfant; ainsi il aurait de quoi occuper son jeune esprit ailleurs.
"Prends-en soin. Si tu le négliges, il me le dira." Ce qui était évidemment un mensonge, à son grand regret.
Il se dirigea vers celui qui semblait détenir l'autorité, un villageois un peu mieux habillé que les autres, d'âge moyen, l'air calme.
"Que se passe-t-il ici? On m'a parlé de chevaux morts et d'un poulain agonisant. "
Il jeta un regard à la jeune femme.
" Elle a avoué? Pourquoi a-t-elle fait cela?"
"Guérisseur, nous avons trouvé ce matin les meilleurs chevaux du village mort, et notre plus beau poulain étendu dans la paille, tirant la langue, en sueur. Elle a passé la nuit ici, dans la salle commune de la taverne, qui se trouve juste à côté des écuries. C'est forcément elle. Regardez-là, avec ses cheveux étranges, c'est forcément une sorcière!"
Fiersaule haussa les sourcils. Il était toujours étonné de constater à quel point les compagnes de ce pays était primitive au regard de la capitale.
" Je comprends bien. Mais avant d'accuser quelqu'un, il faut des preuves. Menez-moi aux chevaux, et surtout au poulain. Et confiez-moi la garde de la jeune fille. Si vraiment c'est elle, peut-être parviendrais-je à apprendre ce qu'elle leur a donné. "
Sans même attendre la réponse de l'homme, il se dirigea d'un pas rapide vers la jeune femme et la libéra de l'emprise des deux montagnes de muscles qui lui servaient de gardes. Il repéra les écuries et s'élança dans leur direction. Il put constater que son cheval était bien soigné, le jeune garçon le bouchonnant avec attention. Il n'eut même pas à demander où était la stalle du poulain. On entendait les lamentations de l'éleveur jusqu'à l'entrée du bâtiment.
Il se tourna vers la jeune femme.
" Je suis Fiersaule, trond'irn et Guérisseur du Collegium. Je suis ici pour voir si je peux sauver ce poulain, et pas pour te juger. Aussi, si tu es coupable, dis-moi ce que tu leur as donné, que je puisse au moins sauver le jeune. Sinon, tiens-toi tranquille et aide-moi quand je le demanderai. Si tu es innocente, tu repartiras avec moi…. comme ça je serai certain qu'ils ne t'ont pas lynchée. "
Le sort de ces pauvres bêtes mettaient le Guérisseur de très mauvaise humeur. Ce qui était rare, extrêmement rare. Son ton était cassant, mais calme, sans aucune agressivité.
Il allait rejoindre le pauvre éleveur désespéré et le fit gentiment sortir de la stalle.
[Tu es innocente... cette fois. Tu as le choix de répondre à Fiersaule et de l'aider, ou de l'envoyer se faire voir et tenter de t'échapper]