Ce qui était sympa, avec Isabeau, c'est qu'elle avait beau venir d'une honorable famille, elle n'avait pas les manières ampoulées typique des jeunes filles privilégiées - et ennuyeuses. Non, elle avait son franc-parler, jamais vulgaire cependant.
"Ce n'est pas con, c'est... romantique. Votre mariage est à présent votre choix et plus celui de vos famille, je suppose que ça change les choses. Et tu n'as pas de bague?" demanda Mina avec étonnement.
Une jeune femme originaire d'une grande famille de joailler sans bague de fiançailles! Curieux...
Puis Isabeau finit par avouer qu'ils s'étaient embrassés et Irmingarde lâche un sifflement appréciateur et amusé:
"Ooooh... Voyez-vous ça!"
Elle ne comptait rien rajouter quand son amie se moqua gentiment d'elle et de son entrevue avec Thalyana. Du coup, elle continua avec malice:
"Et bien puisque tu te retrouves dans la même position que moi, plus sérieusement encore attendu que tu vas te marier, je ne peux que te conseiller d'y aller à ton tour. Tu verras... Thalyana est très au fait de ces choses et prodigue de conseils!"
Elle repensa à sa gêne immense quand la guérisseuse avait entamé le sujet de la sexualité et de la découverte de soi. Connaissant la pudibonderie encore plus prononcée que la sienne d'Isabeau, il y avait fort à parier qu'une éventuelle consultation serait encore plus rocambolesque que la sienne.
Puis, plus sérieusement, Mina demanda:
"Et... c'était bien? Le baiser?"
La jeune femme n'avait pas tellement l'occasion de parler avec qui que ce soit de ce que pouvait provoquer un baiser. Oh, elle en avait parlé vaguement avec Thalyana, mais c'était plus... médical. En posant cette question, elle voulait savoir si... si c'était aussi bien pour les autres que ça l'était pour elle. Par curiosité.
Mais Isabeau dévia sur un sujet plus sérieux auquel Mina ne s'attendait pas. A vrai dire, elle avait oublié que son amie avait promit de se renseigner sur qui était sa mère. Malgré toute la confiance qu'elle plaçait en elle, elle doutait sérieusement que quiconque se souvienne de qui avait disparu il y a dix-neuf ans.
"Trois femmes? Seulement trois femmes? Allons, il y a des milliers de femmes qui disparaissent chaque année..." rétorqua Irmingarde, incrédule.
: Pas chez les nobles, ils sont moins nombreux, donc tout se sait...: corrigea Ezarell dont l’intérêt avait été éveillé par la conversation.
"Pas dans ton milieu, certes..." concéda alors son élue.
Sérieusement, se pourrait-il que la réponse à la question qu'elle se posait depuis toujours, Isabeau l'ait trouvé juste en posant les bonnes questions aux bonnes personnes? Ce serait si simple que ça?
:En général, c'est la méthode la plus logique, et la plus efficace, oui.: réagit son Compagnon.
Mina pensa alors à cette femme. Si c'était vraiment sa mère... Elle avait été déshonorée et punit à passer les derniers mois de sa vie à l'écart de la vie qu'elle avait connu, à cause de son père qui l'avait embobiné comme il savait si bien le faire. Et elle était morte dans la douleur, peut-être seule, et elle avait du avoir si peur, si peur de mourir, sans le pardon de ces proches, et en laissant seul son bébé, un bébé qu'elle avait du aimer, malgré tout.
Un soir, quand Irmingarde avait neuf ans, on l'avait envoyé donné un coup de main pour l'accouchement d'une cousine. Cela s'était très mal passé, et celle-ci avait contracté une infection puerpérale. Et Mina l'avait vu mourir dans une souffrance atroce. Dieux, ses cris avaient si longtemps hanté ses nuits... Et son teint blafard, tandis que la vie la quittait sans qu'on puisse l'en empêcher, comme celle de l'enfant qu'elle avait mis au monde...
Les doigts d'Irmingarde se refermèrent sur le papier qu'elle avait dans la main, le froissant. Elle tremblait.
Si Kylbeth Sadare était bien sa mère, alors, elle était morte en lui donnant la vie. Et alors, Mina n'avait aucune chance de la retrouver. Et c'était étrange, parce qu'au fond d'elle-même, même elle était venu à Haven dans l'espoir de l'y retrouver, elle s'était toujours douté que sa mère était morte. Sinon, elle aurait essayé d'avoir de ses nouvelles non? De sa fille, sa chaire et son sang!
Mais entre ses suppositions et la réalité, il y avait un gouffre. Un gouffre extrêmement douloureux. Et cette douleur, la violence de ce chagrin soudain la prit au dépourvu tant elle ne s'attendait pas à en souffrir. Pourquoi souffrir pour quelqu'un qu'elle n'avait jamais connu?
Des larmes lui vinrent aux yeux, elle qui ne pleurait jamais. Et la présence mentale réconfortante d'Ezarell ne l'aida pas non plus à les empêcher de couler. Rapidement, elle les essuya d'un revers de sa manche et demanda, la gorge serrée:
"Ta tante... elle est sûre de ce qu'elle dit?"
Si ça se trouve, son père lui avait dit des bêtises et sa mère n'était qu'une pauvre fille de la campagne...
Non, c'était impossible. Elle savait le montant de la somme que sa famille avait donné pour son silence, et ce n'était pas n'importe qui qui pouvait payer ça. Et Kun', qui savait repérer le mensonge, l'avait toujours cru. Son père n'avait juste jamais su qu'elle était morte, pour le peu qu'il s'en intéresse. Probablement que la famille de sa mère n'avait pas jugé important de le lui dire.
Et Kouvrat avait dit à Mina ce qu'il en savait parce que ses questions d'enfant l'avait fatigué. Sa mère venait d'une famille de petite noblesse et n'avait pas su résister à son charme (pouah!). Elle n'avait pas voulu de ce bébé et l'avait envoyé ici, en payant pour qu'on l'accepte, alors que personne ne voulait d'elle dans les Holds non plus. Et si elle ne voulait pas s'en prendre une, il valait mieux qu'elle se taise et qu'elle retourne aider aux champs. Rien de cela n'était un mensonge, non. Il lui avait dit la stricte vérité, pour la blesser. Et lui avait répété au fil des ans pour la faire se sentir encore plus minable...
Finalement, peu satisfaite des mauvais souvenirs qui affluaient, elle déplia le papier pour y voir ce qu'Isabeau jugeait d’intéressant. Elle mis quelques minutes à comprendre comment l'arbre était fait et à distinguer les noms qui y apparaissaient. Grâce aux nombreux cours d'histoire qu'elle avait suivit, elle avait appris à interpréter un arbre généalogique correctement.
Sous le nom de sa supposée mère, rien. Aucune mention de la naissance d'une obscure et illégitime Irmingarde, bien sûr, juste l'année de la mort de la pauvre fille-mère. A côté, il y avait le nom de son frère, plus vieux de quelques années, Orderic. Au dessus, les parents de Kylbeth, Aspar et Liobbe Sadare. Plus d'autres aïeuls, dont les noms l'importaient peu. Qu'est-ce qui était intéressant alors? A part le fait qu'elle avait des grands-parents et un oncle encore en vie qui avaient laissé mourir sa mère qui avait eu le malheur de tomber amoureuse d'un salaud?
Elle regarda de l'autre côté de l'arbre, dans les branches voisines. Et soudain, un nom lui sauta aux yeux. De Girier.
A gauche du nom de sa possible grand-mère se trouvait celui d'un De Girier. Un De Girier qui avait donné naissance à un certain Sertan, le père d'Isabeau.
Une petite gymnastique mentale et elle s’exclama:
"Isabeau... Liobbe Sadare était la tante de ton père! Et ton père, le cousin de... de ma mère, si c'est bien elle! Isa! Si on découvre que Kylbeth Sadare est bien ma mère, alors nous sommes... cousines!"
Alors là... Cette révélation-là balayait un peu sa peine. Si sa mère était bien Kylbeth, alors elle perdait une mère, mais gagnait une cousine, son amie. Le monde ne pouvait tout de même pas être aussi petit!