Alem n'avait visiblement pas compris le propos de l'espion. Il ne lui proposait pas d'épouser n'importe quelle femme, pourvu qu'ils s'entendent. Non, Wylan avait dans l'idée de dégotter au gamin une femme atteinte du même trouble, ou au contraire libérée des mêmes besoins, selon les points de vue.
« Non, mais si tu te trouves une femme comme toi, sur tous les points, elle ne risque pas d'aller voir ailleurs, vu que cela ne l'intéressera pas...»
Et qui sait, peut-être qu'une solide amitié pourrait déboucher sur un amour platonique, qui lui-même pourrait encourager un amour plus charnel?
:Je ne te connaissais pas cet intérêt pour les affaires conjugales des autres.:
:C'est un truc que tous les nobles développent avec le temps, je crois.:
:Ça explique donc que ça ne me soit jamais arrivé.:
:Je crois plutôt que tu évitais de t'intéresser aux autres en espérant qu'ils ne s'intéresseraient pas à toi.:
:Gna gna gna:
En fait, le statut marital d'Alemdar intéressait assez peu Wylan. Mais politiquement, cela simplifierait la vie de tous s'il se mariait. Un bon nombre de petits complots mesquins n'auraient alors plus lieu d'être. Et les Hérauts de tous bords sauraient que l'Élu de Taver n'était pas un corps à prendre.
L'espion se doutait bien que la nouvelle de sa paternité aurait fait le tour du royaume avant la tombée de la nuit, et sans doute grâce au réseau même qu'il avait mis en place. Mais il préférait éviter pour le moment de se confronter à cette dure réalité.
«Oui, mais sérieusement... Tu te verrais te pointer avec ton môme dans une auberge où tu seras forcément accueilli avec force moqueries et plaisanteries? Je ne serai sans doute jamais un bon père, mais je peux quand même lui épargner ça.»
: Et t'épargner ça.:
« Et sérieusement, tu ne l'as pas vue. Je doute qu'elle ait été ivre une seule fois dans sa vie. Elle a hérité du côté trop sérieux de la famille... tu sais, cette tare qui traîne chez mon cousin. Enfin, elle me surprendra peut-être en bien, qui sait?»
Maintenant qu'il y réfléchissait, la ressemblance avec Beltran était évidente. Même raideur, même humour pas drôle... Heureusement qu'elle n'avait pas hérité de sa stature (et de celle de Wylan!), sinon il aurait douté de sa propre paternité et renvoyé la faute sur son cousin.
Le Héraut fut presque blessé devant la réaction d'Alemdar à sa proposition. N'était-ce pas là une marque de confiance? Certes, il ne connaissait sa fille que depuis le matin et elle était adulte, mais tout de même!
« Je sais pas. Il me semble que je suis censé donner un parrain à ma fille. Et je ne crois pas qu'elle ait un. D'après ce que je sais, elle a grandi avec sa mère et son grand-père, dans une ferme paumée. Et si je visualise bien ladite ferme, c'est vraiment vraiment paumé. »
En fait, il n'avait aucune certitude sur l'identité de la mère d'Isibeal. Cela remontait à trop loin. Wylan avait une bonne mémoire des visages, mais de là à se souvenir d'une femme qu'il avait côtoyée moins d'une décade... Cependant, au début de sa carrière de Héraut, il avait parcouru nombre de hameaux et de fermes reculées, pour prendre le pouls de la population. La mère de la petite avait probablement dû être une de ces femmes qui vivaient loin de tout.