Délicieuse journée qui se terminait. Déjà son amant n’était pas contre sa première suggestion de s’établir ensemble dans des quartiers communs.
Ceux de Manuchan, il s’y était habitué mais disons qu’il pouvait aisément s’adapter à n’importe quelle habitation du moment qu’elle comportait un bureau, un lit et de quoi se laver. Qu’il s’agisse d’un lit feuilles et d’une rivière ou d’un édredon confortable et d’un baquet, qu’importait ? Enfin, il devait bien avouer qu’avançant en âge, l’Adepte avait fini par apprécier son confort et les avantages à vivre dans la civilisation.
Sa rencontre avec Aaron par exemple.
Qu’il était bien ainsi, blotti dans les bras du héraut. Comme souvent il se surprenait à se dire qu’il pourrait rester toujours ainsi, imprégné de l’odeur de son amant et sa chaleur se diffusant dans tout son être, physiquement et mentalement.
Qui eut put croire un tel miracle ? Un tel changement dans la vie de Manuchan ? Lui-même avait encore parfois – bien que rarement - du mal à y croire. Il s’était tellement enfoncé dans la dépression quelques années auparavant…. Tant et si bien qu’il ne voyait plus qu’elle, allant jusqu’à faire le vide autour de lui, jusqu’à refuser toute aide apportée et prêt à se sacrifier à la moindre occasion. Il en était arrivé à négliger sa santé, son sommeil, sa vie….
Et enfin, il l’avait rencontré. Cet homme aussi brisé que lui, son miroir d’émotions et son contraire tout autant. Un homme capable de comprendre ses sentiments, par son empathie, certes, mais aussi par sa propre vision de l’amour. Un homme capable de s’investir, même follement, dans leur relation et de faire fi de ce que les autres pourraient en penser.
Aaron était son tout, son autre lui-même et son complément. Aussi sage que Manuchan pouvait être impulsif, aussi inquiet qu’il pouvait être insouciant mais partageant un amour incongru qui était venu au moment ou tous deux en avaient le plus besoin.
Là, dans les bras du blanc, le monde pouvait s’effondrer, tout pouvait arriver, il se sentait en sécurité.
Lui, l’un des plus puissants Adeptes de Haven, qu’aurait-il eu à craindre ? La vie, les gens, le jugement….
Les mots, les sentiments. Voilà des choses qui étaient aux yeux du Mage plus dangereuse pour lui que ne le serait jamais une armée.
Mais il n’avait plus peur.
Depuis plus de quatre années, leur relation perdurait, augmentait en intensité
.Oh ! Bien sûr qu’il y eut quelques emportements, bien entendu, que tout n’avait pas toujours été rose entre eux, justement car ils étaient complémentaires et donc, différents sur certains points. Mais ils étaient parvenus, grâce à l’aide de Raïna, de Pluichantante et de leur amour réciproque à dépasser tout ça. Désormais ils se connaissaient assez pour savoir à quoi s’attendre l’un de l’autre même s’ils avaient certainement encore beaucoup à apprendre. Quatre ans, dans une vie, ce n’est rien.
- Bien. Je n'ai pas eu le temps d'aller voir Raïna encore, mais ça a été... et il faudra que je passe par le Champ des Compagnons avant la nuit, donc...
Rien de bien surprenant, Manuchan savait l’importance que revêtait Raïna aux yeux du héraut et ne se formalisait jamais qu’il aille la voir. Il le savait déjà avant même d’en faire son amant : un héraut et son compagnon son unis par des liens que rien ne saurait défaire si aisément. De toutes les façons, il n’aurait jamais songé à le tenter. En réalité, il aimait bien le compagnon. A fortiori car elle avait été un atout majeur dans le début de leur relation, poussant littéralement Aaron dans ses bras. Il ne l’en remercierait probablement jamais assez.
- « Tu veux que je vienne avec toi ou vous préférez restez seuls tous les deux ? »
Mieux valait demander que s’imposer. C’était leur relation et il n’avait rien à y redire, quand bien même il voulait le plus souvent son héraut à lui tout seul. Mais il le retrouverait à son retour, ou encore se réveillerait à ses côtés le lendemain s’il s’était endormi auparavant. C’était ça l’important.
- Tu as l'air songeur... finit-il par laisser entendre, sans toutefois se laisser aller à épier les émotions de l'homme qu'il aimait. Quelque chose te préoccupe ?...
Ah, effectivement, ils commençaient à bien se connaître. Certes, Manuchan était songeur, mais ne pensait pas que ça se verrait si aisément. Bien qu’il ait toujours soupçonné que le héraut se servait de son don d’empathie sur lui, surtout au lit, il ne pensait pas que c’était quelque chose d’habituel. Peut-être l’avait-il simplement senti ou remarqué sur son visage. Parfois, les autres nous connaissent mieux que nous-mêmes. Relevant les yeux pour accrocher ceux du blanc, il répondit :
- « Préoccupé… C’est un grand mot. Disons que j’ai un projet dont je souhaitais te parler, mais je ne veux pas non plus t’embêter avec…»
Conscient qu’il en avait trop dit ou pas assez, Manuchan prit sur lui de finalement donner de plus amples explications.
- « En fait, j’ai envie de retourner dans mon pays natal… En Rethwellan. Pas pour m’y installer rassure toi. Simplement, retrouver cet air, ce paysage, ces gens et peut-être même mes parents. Je ne sais même pas s’ils sont encore en vie. Peut-être que je m’en veux un peu finalement de ne pas être revenu vers eux. »
Oui, c’est vrai. Une fois qu’il avait quitté son école des Vents-Blancs, Manuchan aurait pu – aurait dû ? – revenir vers eux. Ils étaient de bons parents qui avaient fait ce qui leur semblait le mieux pour lui et comment les avait-il remerciés ? En disparaissant…. Autant cela lui semblait presque normal à l’époque, autant il commençait doucement à s’en vouloir, à se mettre à leur place.
Quand bien même il n’aurait probablement jamais d’enfant, il imaginait fort bien ce qu’il pourrait ressentir s’il n’avait aucune nouvelle. Ne pas savoir, être dans le doute, n’est-ce pas pire que tout ? Lui qui avait tancé Glenn pour être parti avec Perle sans donner plus de nouvelles jusqu’à leur retour. Quel hypocrite il avait été.
Le Mage poussa un léger soupir et pour se donner une contenance, esquissa un sourire avant de demander.
- « Viendrais-tu avec moi ? »
Il connaissait les obligations d’Aaron, et sa dévotion à celles-ci. Ce ne serait pas forcément une partie de plaisir mais s’il retrouvait ses parents, il voudrait leur présenter Aaron, leur dire à quel point leur fils était heureux désormais grâce à eux. Et faire amende honorable en souhaitant qu’ils ne le rejettent simplement pas.
S’il devait assumer seul, il le ferait de toute manière. Que le héraut soit présent ou non, il irait car il estimait que c’était son devoir…. Et qu’il en avait le temps.[/justify]