Auteur Sujet: Yvelin et Micha à Londres, dans un XXIe siècle un peu différent...  (Lu 1862 fois)

Thalyana

J’appréciais la musique. Surprenant. Certes, c’était très différent de ce que j’écoutais habituellement. Mais la virtuosité de l’interprétation, et sans doute aussi de la composition, rendait l’ensemble particulièrement magnifique.

Je n’avais jamais vu la plupart des instruments présentés. Je ne connaissais pas les compositeurs des différentes oeuvres. Le jeune protégé de Micha, un certain Yvelin Lambert — il devait être français — jouait du luth principalement. Mais il proposa aussi des oeuvres pour guitare baroque et joua une fois la partie soliste d’une pièce avec un théorbe. C’était un musicien talentueux. Cela ne faisait aucun doute, même pour une profane comme moi.

Le cadre contribuait aussi à l’ambiance particulière. Le concert se tenait dans une ancienne salle de danse d’un grand hôtel londonien. La pièce était de taille modeste, mais on m’avait expliqué que cette musique ne se prêtait pas aux grands espaces. Les chaises anciennes, dépareillées mais soigneusement accordées, et les décors de stuc des murs ajoutaient au charme de la musique. Les tenues des convives paraissaient presque trop moderne pour l’événement.

Le concert se termina sur une oeuvre particulièrement émouvante. William, à ma gauche, sécha discrètement une larme. Je serrai sa main dans la mienne. Sans rien dire. Je le trouvais très beau à cet instant, avec ses cheveux roux soigneusement peignés et ses yeux marrons qui brillaient de plaisir et d’émotion. Je déposai un rapide baiser sur sa joue.

Le public applaudit chaleureusement. C’était mérité. Puis les gens quittèrent leur siège pour aller saluer un musicien ou une connaissance dans la foule. William s’était levé et regardait autour de lui. Micha nous avait offert les places, mais lui-même était assis ailleurs pendant le concert. Or nous avions prévu d’aller manger ensemble. Avec sa grande taille, William n’eut aucune peine à repérer son ami. Il signala sa position d’un geste et se rassit à côté de moi.

— Je crains qu’il ne soit illusoire d’espérer le rejoindre tant que les spectateurs ne seront pas partis.

— Nous ne sommes pas pressés de toute manière. (Je souris.) J’ai cru comprendre que le concert t’avait plu?

— C’était magnifique. J’ai trouvé l’interprétation des musiciens particulièrement touchante. Un délice pour les oreilles. Et je n’ai pas pu manquer de constater que sous ton habituel air blasé, cette musique est parvenue à t’émouvoir!

— En effet! (Je ris.) Ces jeunes musiciens sont tous très talentueux. Et le protégé de ton ami plus encore que les autres. On aurait pu croire qu’il avait ensorcelé la salle. Le public était captivé.

— Au point que même toi, tu le fixais, bouche bée.

Je haussai un sourcil.

— Bouche bée? N’exagère pas, tout de même. Je garde toujours contenance, qu’importent les circonstances.

— Vraiment? (Il avait un petit air coquin.) Qu’importent les circonstances?

J’affichai mon air le plus sérieux.

— Tout à fait.

William se pencha sur moi.

— J’ai des preuves du contraire…

Son souffle caressa mon oreille et je frissonnai. Je sentis la pointe d’une langue taquiner mon lobe.

— William, sérieusement… nous sommes en public.

Il s’écarta avant d’éclater de rire.

William, malgré son ton cérémonieux et ses attitudes d’aristocrate, pouvait parfois se montrer agréablement scandaleux.

Micha arriva à ce moment-là, entraînant dans son sillage le jeune musicien vedette de la soirée. Micha était  un homme d’une carrure impressionnante, aux cheveux blonds soigneusement coupés et aux yeux bleus. Il avait un air mutin et un sourire séducteur qui devaient faire des ravages. Presque aussi grand que William, mais bien plus larges d’épaules. Je l’aurais plus volontiers imaginé judoka que bijoutier. Le jeune Yvelin, quant à lui, était très grand, debout. Il devait flirter avec les deux mètres. Mais il ne pesait sans doute guère plus lourd que moi. Ses cheveux étaient un amoncellement de boucles châtain et il avait des yeux que je devinais bleus derrière ses grandes lunettes.

Les deux hommes se tenaient par la main. Yvelin paraissait un peu mal à l’aise, mais je devinais que c’était là son air habituel. Micha lâcha le jeune homme pour saluer William. Puis il se tourna vers moi.

— Micha Parry, pour vous servir, lady Jocelyn.

— Mes amis m’appellent tous Jo. (Je lui tendis la main.) Ravie de faire ta connaissance.

— C’est réciproque, Jo. Et laissez-moi vous présenter Yvelin, notre jeune prodige.

Yvelin sembla s’offusquer du terme, mais il ne dit rien. Il se contenta de murmurer “enchanté” tandis qu’il nous serrait la main.

— J’ai réservé directement au restaurant de l’hôtel, pour quatre. J’espère que ça ne vous dérange pas? (Je lui assurai que non d’un sourire.) Je vous en prie, allez-y déjà. Je vais aider Yvelin à ranger son matériel.

Je me retins de faire le moindre commentaire. Je ne croyais pas un instant qu’il restait pour l’aider. Il était assez clair qu’il souhaitait féliciter chaleureusement l’artiste. Sans témoin.

Je souris et entraînai William derrière moi. Nous prîmes la direction du restaurant. J’attendis d’être assise pour questionner William sur son ami.

— Tu ne m’avais pas dit que Micha et son protégé…

— Je ne le savais pas moi-même. Tu crois vraiment que je questionne mes amis sur leur vie sentimentale?

— J’imagine que non. (Je soupirai.) Je ne comprends pas. Il n’y a pas de honte à s’intéresser à la vie de ses amis. (Je ne comprenais pas que William ne fût pas plus curieux.) Ils sont étrangement assortis, ces deux-là. Yvelin a l’air très jeune. Mais je trouve cela rassurant de voir qu’ils osent s’afficher devant nous.

— Je suis surpris. Jusqu’à peu, l’homosexualité de Micha était un secret. Je crois que son père n’était pas très ouvert sur la question.

Je secouai la tête, lasse.

— Encore un qui pense que sa virilité est menacée par l’orientation sexuelle de son fils?

— En l’occurence (Micha nous avait rejoint, Yvelin toujours accroché à son bras.) c’est plutôt l’avenir de son entreprise, que cela menaçait, selon lui. Il se supportait pas l’idée que je ne lui donne jamais de petit-fils pour perpétuer le nom.

S’il s’était senti insulté que l’on parlât de sa situation dans son dos, il n’en montra rien. Je lui souris, amusée.

— Et? Il a fini par comprendre que ces notions-là étaient dépassées?

— Non. On s’est engueulé encore et encore. Jusqu’à ce que ma soeur annonce sa grossesse. Yvelin a composé une petite chanson pour le bébé, qui s’est révélé être un garçon. L’existence d’un héritier mâle semble avoir calmé ses craintes. D’autant plus que ma soeur n’est pas marié à son compagnon, et que l’enfant porte donc notre nom. Et mon père a énormément apprécié Yvelin. Alors quand je lui ai dit que entre lui et moi… Il n’a pas voulu de détails, mais au moins, il a arrêté de penser que c’était une honte d’aimer les hommes. Surtout un homme aussi talentueux.

Yvelin devint rouge vif. Je le trouvai charmant, dans sa timidité.

Micha tira la chaise d’Yvelin et s’assit ensuite. Je trouvais ce genre d’attentions charmantes chez un couple gay. En revanche, j’aurais détesté que William en eût fait de même, quelques minutes plus tôt.

Micha passa les minutes suivantes à faire l’éloge de son compagnon. Yvelin devenait à chaque instant plus rouge. Pourtant, il regardait Micha avec une sorte d’adoration. Ils formaient un couple charmant tous les deux. Leur amour était manifeste et faisait plaisir à voir. Il avait quelque chose de contagieux. Sous la table, je me saisis de la main de William. Celui-ci m’adressa un sourire ravi. Je n’étais pas toujours très démonstrative en public. J’avais entretenu des relations purement charnelles pendant plusieurs années et je ne m’étais toujours pas faite à l’idée d’être officiellement en couple. Surtout avec William. Notre histoire semblait sortie tout droit d’un roman pour adolescentes.

Micha et Yvelin, eux, ne semblaient pas s’embarrasser de ce genre de préoccupations. Maintenant qu’il était remis de ses émotions, le jeune musicien était plus bavard. À part le très léger accent qui trahissait ses origines, son anglais étais excellent.

— Si on m’avait dit un jour que je sortirais avec un homme riche, un mage qui plus est…

Je lançai un regard surpris à William. Micha éclata de rire.

— Évidemment, je l’ai mis au courant! Je n’allais pas lui mentir. Je n’en avais pas envie.

— C’est ton droit. Je suis juste un peu surprise qu’il n’ait pas hésité un instant avant d’en parler devant deux inconnus!

— Inconnus? (Les yeux de Micha pétillaient.) Le Mana News parle de toi au moins une fois par mois. Et il me semble avoir lu un article cette semaine annonçant vos prochaines fiançailles?

— Je lis très souvent les journaux des Ombres, vous savez. Je trouve ça passionnant. Micha me les donne toujours. Ça me rappelle les parties de jeux de rôle que je faisais adolescent.

J’adressai un sourire au jeune homme.

— Je suis heureuse que notre presse te fascine. Mais à ta place, je ne croirais rien de ce qu’avance la section people. (Je me tournai vers Micha.) L’as-tu annoncé officiellement? Sinon, il va falloir. Comme tu le sais…

— Jo… (William secoua la tête, amusé.) Tu n’es pas en mission pour le Cercle. Je suis certain que Micha a fait tout ce qu’il fallait. Et si ce n’est pas le cas, il ne tardera pas à le faire, je n’en doute pas un seul instant.

L’orfèvre éclata de rire. Je fusillai William du regard. Il semblait prendre ses aises dans notre couple récemment. Il me taquinait souvent en public. Je n’étais pas certaine d’apprécier cela. Certes, dans le cas présent, sa remarque était justifiée.

Je vérifierais néanmoins qu’Yvelin se trouvait bien mentionné quelque part. Nous gardions trace, dans la mesure du possible, des éclairés. Il était toujours utile d’avoir les noms de nos potentiels alliés. Il était bien plus simple de traiter avec eux qu’avec des gens ignorants tout de notre monde. Ainsi, si un mage, un vampire ou une fée recherchait un musicien de talent pour une occasion spéciale, il pourrait faire appel à Yvelin plutôt qu’à un autre. C’était avantageux tant pour lui — il aurait davantage d’opportunités — que pour nous.


— Yvelin, parle-moi un peu des compositeurs dont tu as joué les morceaux? (Je lui souris.) J’avoue ma parfaite inculture dans le domaine et ça me ferait plaisir de t’entendre m’en dire plus.