Le plat de Mari était délicieux, mais c'était plus fort qu'elle, Loelia prêtait une attention toute particulière aux paroles de Liam. Elle l'écoutait, sa fourchette en suspension au-dessus de son assiette, prenant une bouchée de temps à autres. Elle était heureuse qu'il prenne le temps de répondre à ses questions sans s'offusquer de sa curiosité et elle eut soudain envie de l'entendre jouer. C'est pour cela que, quand il lui proposa d'écouter de la musique après le repas, elle ne se fit pas prier.
"Je dois avouer que je meurs d'envie de vous entendre jouer, de voir quel instrument vous pratiquez et d'avoir un aperçu des airs que vous connaissez. Il faut dire que jusqu'à présent, je n'ai pas vraiment encore rencontré de musicien de talent, ce qui doit être votre cas vu que vous entrez au Collegium."
Elle prit une autre bouchée de son plat en considérant la proposition du jeune homme.
"Même si ça me fait un peu peur, je suis prête à tout pour progresser.... si vous avez la possibilité de me faire passer une sorte d'audition au Collegium, j'en serais vraiment très heureuse, car si je suis venue ici, à Haven, c'est notamment pour avoir un avis extérieur sur ma musique. A force de pratiquer seule, sans réel public de gens connaisseurs, on ne se trouve plus vraiment capable de juger de ses compétences. Les gens de mon village aiment m'écouter, c'est un fait ! mais c'est différent de jouer pour un public d'"initiés", je pense...."
Elle poursuivit son repas en écoutant les réponses de Liam quant au Don, à la Créativité et au Talent. Ça l'amusa assez de savoir de quelle manière le jeune homme avait été repéré et elle sourit à l'évocation du barde enlevant littéralement Liam pour le présenter au Collegium.
"Je pense plus ou moins comprendre ce que vous voulez dire en parlant de la Créativité... Parfois, je prends mon instrument sans avoir une idée précise de ce que je vais jouer et soudain, une note en appelle une autre et il m'arrive de pouvoir en quelques sortes improviser un morceau, que je pourrai rejouer quelques jours plus tard. J'ai parfois des mélodies dans la tête, qui me viennent naturellement alors que j'aide mes parents au champ, par exemple, comme une litanie qui rythme mon travail. Malheureusement, ces airs restent dans ma tête, car je ne suis pas capable de les écrire, alors je range tout dans une espèce de petit casier mental."
Elle prit une autre bouchée de son plat :
"J'aimerais beaucoup apprendre à écrire la musique, en fait, ce serait tellement pratique."
Elle reporta son attention sur Liam, alors qu'il continuait de répondre à ses questions. Elle savait qu'elle était capable de composer ses propres airs et aussi de poursuivre un morceau inconnu sans problèmes. Si c'était une partie de ce que le Collegium demandait de ses élèves, c'était un bon signe. Quand Liam parla ensuite de la réaction des gens à sa musique, elle resta suspendue à ses mots.
"Vous dites que votre musique influence sur le comportement des gens ? Pardonnez mon étonnement... c'est juste que, parfois, il me semble aussi que les personnes qui m'écoutent réagissent à ma musique... je ne sais pas comment l'expliquer, parce que c'est confus... mais parfois, quand je joue pour ma mère - ou d'autres personnes, c'est un peu comme si je sentais quel genre de morceau je dois lui jouer à tel ou tel moment. C'est difficile à expliquer, en fait..."
Elle se souvenait d'une fois où sa mère était malade. Celle-ci gardait le lit, épuisée et, pour lui donner du baume au coeur, Loelia avait joué des airs pour elle toute la soirée, à son chevet. Elle avait choisi des morceaux enjoués et avait mis tout son coeur dans leur interprétation, en priant pour que sa mère se rétablisse vite.
Le lendemain, la femme était sur pieds.
*Si je lui raconte ça, il va me prendre pour une folle.... c'était sans doute le fruit de mon imagination. Les médicaments avaient bien fait leur travail, voilà tout.*
Mais sa curiosité était trop forte ; de fait, elle chercha plus de précisions :
"Quand vous dites que vous arrivez à leur faire faire des choses, vous avez des exemples ? j'ai peut-être vécu quelque chose de similaire, mais je ne veux pas trop m'avancer...."
Elle remarqua les signes de Mari à l'intention du jeune homme ; elle rougit, confuse, et se concentra sur son plat. Toutefois, elle releva la tête à la question d'Hubert.
"Moi ? je ne sais pas trop en fait... j'ai grandi dans une famille qui n'est pas du tout musicienne, à vrai dire. Mais depuis petite, je suis fascinée par les sons, ceux de la nature, par exemple. Le bruit de l'eau coulant dans la rivière, le vent dans les feuilles des arbres. Pour vous dire la vérité, mes parents ne sont pas mes vrais parents."
Elle s'arrêta, cherchant ses mots.
"Ma mère adoptive ne m'a jamais caché la vérité. Dès que j'ai été en âge de comprendre, elle m'a expliqué comment elle m'avait trouvée, bébé, dans un couffin au bord de la rivière. J'avais un médaillon autour du cou, portant mon nom ; et à mes côtés, il y avait un traverseau ouvragé en bois, celui qui ne me quitte pas aujourd'hui encore. En jouer me paraît naturel depuis que je suis enfant. Je dois avouer qu'en fait, toutes les mélodies que je peux interpréter dessus viennent de mon esprit, car aucun musicien ne passe par chez nous...."
Elle réalisa alors à quel point son bagage était mince, composé de ses uniques connaissances.