Cette sympathie fut réciproque : dès le début Elke sentit qu'elle allait bien s'entendre avec cette mage. Peut-être parce qu'elle n'essayait pas de contenir le flux de questions qu'elle posait, ou bien parce qu'elle y répondait sans éluder ni passer par quatre chemins. Ça pouvait sembler étrange, surtout vis-à-vis du fait qu'elle n'ait jamais vécu une telle connexion avec un animal, mais elle voyait ce qu'Elbereth voulait dire. C'était quelque chose de spectaculaire, tout en étant invisible, et parfaitement effrayant... dans le bon sens ! Oh bons dieux, la magie était vraiment quelque chose de formidable pour mettre à de tels liens d'exister.
« ''Le temps est trop précieux pour le gaspiller en séchant ses cheveux !'' comme on le dit d'où je viens. » s'exclama-t-elle dans sa langue maternelle avant de lâcher un petit rire.
Proverbe plutôt inutile en d'autres circonstances, d'autant plus qu'elle venait tout juste de l'inventer. Mais eh, ça rimait ! Que demander de mieux ? Peut-être qu'à l'avenir, quand elle deviendra une mage connue et respectée, ce genre de citation serait apprise dans les livres. À cette pensée, elle rit de nouveau : ce serait si ridicule que bons dieux, elle voulait que ça se produise !
Elle suivait la compagnonne dans les couloirs, essayant de se concentrer un peu sur les chemins à prendre pour éviter de se perdre plus tard. Ce serait triste de la voir paumée entre le réfectoire et sa chambre, tiens ! Mais c'était assez labyrinthique ici, et bien qu'elle était certaine que l'architecte n'avait pas construit ces lieux sans logique, elle allait devoir faire jouer sa bête mémoire pour se souvenir de quels couloirs prendre.
« On ne te l'a pas dit ? Je viens de Rethwellan. J'y suis née, et j'y ai appris la magie. C'est pour ça que j'ai eu le droit à un long interrogatoire quand je suis arrivée dans cette ville ! Ils ont cru que j'étais une espionne, tiens... C'est vraiment... Hum, en fait si, c'est plutôt crédible. Si tu veux, quand je suis arrivée, il y avait une puissance magique ici. C'était... wow ! Puissant, enfoui, et je me suis approchée. Un peu trop. J'ai percuté un homme. C'était messire Arbretempête. Ah, quelle classe, je t'assure ! »
Elle ironisa sa dernière phrase. Oh que non, c'était tout sauf classe. Elle, une petite mage pleine de crasse et de boue, elle n'avait pas vu ce mage respectable et elle lui avait foncé dessus sans le vouloir. Le moins qu'on pouvait dire, c'est que c'était une rencontre renversante.
« Finalement, il a décidé que je n'étais pas dangereuse – je ne sais pas si c'est une bonne chose ou bien la preuve que je suis loin de lui arriver à la cheville – et il m'a proposé de venir ici. Tu sais, j'ai déjà eu mon lot de cours de magie, de cours sur ''oh combien la magie est dangereuse et doit être utilisée avec parcimonie''... J'ose espérer que je ne passerai pas tout mon temps sur un banc à écouter de vieux mages aigris réciter le Cantique encore et encore... »
Après un léger soupire à cette époque ennuyeuse à mourir, elle releva la tête quand Elbereth lui indiqua la porte de sa chambre. Elle ne savait pas si la perceptive d'avoir un nouveau « chez-elle » était une bonne chose ou une mauvaise chose, elle qui avait horreur de se sentir enfermée quelque part. Mais elle devait bien admettre que c'était plutôt... chaleureux. Les pierres de ses murs avaient une belle couleur. Elke s'avança alors en silence, ouvrant la fenêtre en grand pour découvrir les jardins devant elle, et le ciel, qui s'étendait à perte de vue. Elle huma un grand coup l'air de l'extérieur, avant d'éternuer et de rentrer à l'intérieur. Fichu pollen. Mais au moins, l'air frais sentait toujours aussi bon.
« C'est petit... » commenta-t-elle finalement en passant sa main sur tout ce qui se trouvait à sa portée : le bureau, la cheminée... « Mais c'est différent de ce que j'avais connu. À Pierre-de-Shor, il n'y avait que des dortoirs collectifs. De toute façon, on n'était pas beaucoup, et de nombreux lits étaient vides. Tu m'as demandé si ça faisait longtemps que je savais que j'avais un don ? J'étais gamine à l'époque, ça remonte un peu. »
Elle l'invita alors d'un geste à s'asseoir où elle voulait. La chaise sonnait comme une évidence, mais Elbereth pouvait bien s'asseoir sur son lit, ce serait sûrement bien plus confortable. Et puis elle, ça ne la gênait pas. Après tout, elle n'avait même pas encore dormi dedans !
« Je suis née dans un village paumé, il ne s'y passait jamais rien. J'avais un frère, mais il ne me supportait pas, et je lui rendais bien. Et puis un jour, j'étais gamine, j'ai mis le feu à la grange ! Fiouuuurch, comme ça, tout s'est enflammé d'un coup. Sur le coup, je n'avais rien compris, mais tout le monde autour de moi, eh bien, pour eux ça ne faisait pas l'ombre d'un doute. Alors mon père m'a conduit à Pierre-de-Shor. J'avais pas le choix. Ah je te jure, si tu avais écouté un seul de leurs cours, tu aurais eu envie de te pendre d'ennui ! Le mieux, c'est quand même la pratique, tu n'es pas d'accord ? Sentir entre ses doigts quelque chose que toi seule peut sentir, hmmm... Rien que j'y penser, j'en ai des frissons ! La magie, c'est vraiment formidable. »
Oh il y avait des risques, bien sûr. Des mages noirs, des mages assez pervertis pour utiliser la magie dans des atrocités sans nom... Mais la magie, ça se vivait et ça se ressentait, c'était instinctif ! Tenter de contrôler ça avec de belles paroles, Elke s'était toujours demandé où était l'intérêt. Il n'y en avait aucun. Du moins, pas à ses yeux.
« Et toi, alors ? Je ne veux pas être la seule à raconter ma vie dans cette pièce. Raconte-moi un peu... Tu es de Valdemar ? Quand as-tu rencontrer ta ratha ? Et ce lien, comment as-tu fait ? Oh et pour commencer, comment as-tu découvert que tu étais mage ? Tu ne m'as pas l'air d'être une... flambeuse de grange. »