Les trois marchands buvaient les paroles de Barrn. Ils avaient besoin d'entendre que quelqu'un faisait quelque chose pour eux. Ils avaient connu tant d'ennuis ces derniers temps.
Fidus eut cependant l'air un peu déçu quand l'ambassadeur parla d'envoyer un élève-Héraut.
«Un élève Héraut seulement?» Il eut l'air gêné.«Je veux dire, c'est déjà bien, un élève Héraut, mais un vrai Héraut, ça aurait été plus impressionnant.»
Bratan sembla hésiter quelques instants avant de prendre la parole.
«Et puis... Il m'est arrivé un drôle de truc l'autre jour. À Valdemar, j'aurais pensé que quelqu'un m'a fait une mauvaise blague, mais ici... ici c'est trop bizarre. J'avais un lot de magnifiques placets brodés avec des scènes champêtres. Et, l'autre jour, alors que je les montrais à une cliente, j'ai réalisé que les scènes avaient été changées. Je les ai pris avec moi pour vous montrer.»
Il sortit d'un sac de jute quelques placets brodés de couleurs vives.
«Là, regardez.»
Aénor s'approcha pour jeter un coup d'œil. Sur la première pièce, on pouvait voir une jolie scène champêtre, avec au premier plan une jolie vachère et en arrière-plan des... des monstres? Là où on aurait attendu des vaches se trouvaient un troupeau de créatures modifiées du genre qu'on pouvait trouver dans les Pélagirs. Elle eut un mouvement de recul inconscient quand elle crut voir une de ses horreurs tourner ses yeux fous vers elle.
«Quelle horreur! Ils sont tous comme ça?»
«Regardez, dame Héraut.»
Il montra la seconde broderie. Sur celle-ci, des ouvriers travaillaient dans des champs et en arrière-plan, un moulin se détachait sur le bleu du ciel. Mais dans les champs en arrière-plan, les plantes n'étaient plus d'une espèce normal. C'était des épis d'un jaune maladif, tordus, presque menaçant. Et les pales du moulin se révélaient être déchirées.
Il sortit encore un placet. Sur celle-ci, la modification sautait aux yeux. La pièce aurait dû représenter la famille royale. On aurait dû y voir Arthon, entouré de sa femme et de son fils. Mais à la place d'Arthon se tenait un homme aux traits flous, vêtu d'une robe de mage noire. Et là où aurait dû se trouver une Saskia rayonnante, on pouvait voir un Héraut femme, non identifié clairement, qui semblait tenue en laisse par le mage au centre.
«Je vous jure qu'à Valdemar, ils étaient parfaitement normaux ces placets! Et personne n'aurait osé broder des horreurs pareilles. On a tous beaucoup de respect pour les Hérauts, et pour le Roi.»
Fidus ajouta:
«Le pire, c'est le dernier. À la base, c'est un Héraut avec son Compagnon. Et là, enfle... vous voyez...»
Aénor se saisit du dernier placet. Il lui fallut toute sa discipline pour ne pas montrer son dégoût. À nouveau, le thème de base était un sujet habituel de l'art de Valdemar: un Héraut et son Compagnon, dans une verte campagne. Or là, le Héraut et son Compagnon mâle étaient intimement liés. Trop intimement.
«Objectivement, c'est sans doute le meilleur. La personne qui a conçu ça parvient à critiquer deux aspects de notre culture. Les Hérauts et notre ouverture quant aux orientations sexuelles...»
Elle ne commenta pas la caricature de la famille royale, elle avait parfaitement compris le message. Ces broderies malsaines s'apparentaient presque à une déclaration d'intention, voire à une déclaration de guerre. Quant à l'ennemi, il ne faisait aucun doute pour Aénor.