«Ils n'imaginent que parce qu'ils ont fini leur apprentissage obligatoire, ils sont donc aussi doués que Jarhindel ou moi. Sérieusement, regarde-les... 'Rhindel pourrait les battre avec une main dans le dos.»Et elle aussi. «Le grand, je lui ai mis une raclée il y a une dizaine. Armée uniquement de mon stylet d'entraînement.»
Ce crétin l'avait sous-estimée. Parce qu'elle était une femme. Parce qu'elle était souriante et vive. Parce qu'avec ses jolis cheveux soigneusement coiffés, elle n'avait pas l'apparence qu'on attendait pour une combattante aguerrie. Il avait payé chèrement sa leçon. Elle l'avait croisé le lendemain, et il se traînait péniblement. Naïvement, elle avait pensé que l'épisode lui servirait de leçon...
Puis Alemdar lui demanda de remplacer Jarhindel pour une séance d'entraînement. Elle le fixa, un large sourire sur les lèvres.
«Tu sais que je suis censée aider notre honoré maître d'armes à donner son cours?» Elle jeta un regard amusé aux élèves. «Bon, en même temps, je pense que ça va durer encore un moment, vu que 'Rhindel s'amuse à les faire tourner en bourrique.»
Elle jaugea l'Attitré du regard. Elle ne devait pas prendre le risque de le sous-estimer. Il avait été un des meilleurs guerriers de son pays, et même s'il s'était un peu ramolli depuis son Élection, il restait un combattant d'exception. Méra, elle, pouvait tout juste prétendre au titre de femme d'armes la plus polyvalente du pays. Elle savait que ce n'était pas tant pour ses qualités de combattante que pour sa maîtrise d'armes très diverses qu'Alemdar avait pensé à elle comme seconde. Certes, elle était très bonne. Dans ses bons jours, elle parvenait même à tenir tête à Jarhindel. Mais elle était clairement désavantagée par sa morphologie. Elle était à la fois trop grande et trop mince. Plus petite, elle aurait pu jouer sur l'allonge. Plus lourde, elle aurait pu concurrencer les hommes sur la force. Alors elle avait opté pour une troisième voie et elle avait appris autant de techniques de combat que possible. Et Wylan lui avait appris à se battre salement. Il lui avait montré les pires coups bas, les techniques les plus viles. Méra s'était demandé à l'époque d'où le Héraut tenait un tel savoir. Car elle était à peu près certaine que ce n'était pas au Collegium qu'il avait appris cela.
Contre Alemdar, il lui faudrait cependant utiliser sa meilleure arme, la rapière. C'était une bonne occasion de l'utiliser. Elle restait au fourreau depuis trop longtemps. Méra préférait ne pas l'employer avec les manches qui lui servaient d'élèves. Ils auraient risqué de s'y blesser seuls.
«Attends-moi là, je vais chercher mon arme.»
D'un pas nonchalant elle se rendit dans les appartements de Jarhindel, qui étaient attenant à la salle d'armes, et revint avec un baudrier lesté de trois armes: à gauche, dans un fourreau ouvragé, une fine et élégante rapière, à droite, une longue dague dans une gaine râpée et dans le dos un stylet au manche usé, dans un étui plus simple. Elle finissait de le boucler autour de sa taille quand elle arriva à la hauteur d'Alemdar.
«On parle bien d'un entraînement à armes réelles, non? Ne t'inquiète pas, je vais mettre un bouchon sur la pointe de ma rapière. Sinon tu seras plein de petits trous partout.»
En effet, la rapière s'utilisait presque exclusivement en estoc. Sa lame fine et souple n'était pas conçue pour frapper de taille.
«Tu as besoin d'une tenue de protection?» demanda-t-elle, en enfilant ses gants de cuir.